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Culture - Exposition

La peinture en eaux troubles

Si les silhouettes et les visages qu'Annie Kurkdjian donne à voir dans « La mer à boire », chez Art Circle*, expriment un indescriptible naufrage, c'est que l'artiste effectue une plongée en apnée dans les tourments et les souffrances de l'âme humaine.

Annie Kurkdjian s’intéresse à l’intérieur de l’homme.

Disons-le tout net. En Kurkdjiannie, point d'approche objective et souriante du visible. L'artiste s'intéresse, depuis ses débuts, depuis ses premiers croquis, à la vie intérieure de l'homme. Ce qu'elle y trouve n'est pas vraiment «joli joli ». Dans ses représentations imagées, elle n'a jamais fait dans la dentelle. Plutôt dans le genre cru, provocateur, violent même. Dans «La mer à boire», cependant, la nuance est perceptible. Ici, plus de personnages voraces, ou de monstres qui s'autodévorent. Annie Kurkdjian semble être parvenue à un état d'esprit moins orageux. Moins hostile aussi. Attention, tout de même. Les habitants de ses toiles sont toujours aussi grotesques. Toujours aussi pathétiques. Ils traduisent toujours un certain mal-être de l'individu. Voyez ces femmes aux grosses poitrines (féminité triomphante dont elles ne savent que faire, exhiber, assumer ou cacher) et ces hommes aux attributs minuscules et pointus, à portée des regards, mais inutiles et ridicules. Le tout trempant dans des eaux opaques et planes ou mouvementées et en zigzag.
Alors, faut-il y voir une certaine pathologie? Le doute persiste et flotte. Car l'artiste est une jeune femme lucide, cultivée, consciente et réfléchie. Et en dépit de la torture morale dont ses sujets semblent être la proie propitiatoire, elle n'est ni décadente ni nihiliste. « Loin de n'être qu'un objet purement décoratif, la peinture demeure un moyen d'expression. La mienne n'est que le reflet du monde, un écho de la double nature de l'homme, porté au mal comme au bien. Je ne fais qu'exprimer ce qui se passe en lui.» Pour elle, peindre peut aussi être une manière de faire sa catharsis. « Le jour ou j'arrêterai de peindre, je pourrai commettre un crime», affirme-telle, péremptoire. Un ange passe, en faisant du surf sur une lame de fond. «On peint avec son corps, vous savez », avoue encore l'enfant solitaire qui se décrit comme une phobique sociale. D'une nature que l'on devine hypersensible, Kurkdjian, qui n'endosse aucune panoplie, aucun artifice à la mode, est un être d'introspection. « Ma vie, mes affects sont à la source de mon travail. Mes personnages sont l'illustration d'une pensée. Je peins ce que mes personnages ont dans la tête. Un monde plus ou moins chaotique. »
De la vanité à la dérision, l'artiste traite de la vie humaine avec une pointe de véhémence. Sans oublier d'être drôle. Sans être ironique, dit-elle. Mais avec de l'humour. Beaucoup d'humour.
Rimbaldienne en diable (« La tête plongée dans l'eau, l'œil cible une vision, celle de la mosquée sous-marine de Rimbaud ou plus loin encore », écrit-elle dans son Artsist Statement), Annie Kurkdjian joue. Avec les métaphores, les signes, les codes et les mots. Et l'eau aussi, puisque dans l'exposition intitulée « La mer à boire », elle se mouille avec un thème aux multiples interprétations et représentations.
Origine de la vie, régénération corporelle ou spirituelle, fertilité, sagesse, grâce, vertu, compréhension, cohésion, l'eau se fond partout. S'infiltre partout. N'oublions (surtout) pas qu'elle a un côté sombre, dangereux. Elle noie, étouffe, emporte, dissout, désintègre aussi...
Avec ses dessins solides, ses couleurs crayonneuses et ses personnages difformes trempant dans des eaux troubles, Annie Kurkdjian offre là un pied de nez aux tabous et aux conventions sociales. « La mer à boire » ouvre assurément de nouveaux horizons.

* Jusqu'au 28 octobre, Hamra, rue Antoine Gemayel, immeuble Assaf, du mardi au vendredi de 11h à 19h, samedi de 11h à 15h. Tél. : 03/027776.
Disons-le tout net. En Kurkdjiannie, point d'approche objective et souriante du visible. L'artiste s'intéresse, depuis ses débuts, depuis ses premiers croquis, à la vie intérieure de l'homme. Ce qu'elle y trouve n'est pas vraiment «joli joli ». Dans ses représentations imagées, elle n'a jamais fait dans la dentelle....

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