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Culture - Talents confirmés

Thomas Quasthoff, un baryton à la voix plus forte que son handicap

Quand on dit de Thomas Quasthoff que c'est un baryton-basse pas comme les autres, ce n'est ni une figure de style ni une élégance littéraire. Et il ne s'agit pas seulement d'évoquer la beauté et l'ampleur de sa voix incomparable et exceptionnelle. Mais aussi et surtout la victoire sur ses malformations (nabot et manchot) congénitales. Lumière sur un parcours hors norme en tout point.

Thomas Quasthoff

Le regard brillant, la bouille sympathique et l'allure d'un joyeux et exubérant personnage échappé d'une toile de Goya ou de Vélasquez. C'était bien difficile pour ce chanteur, aujourd'hui bel et bien arrivé et au faîte de la consécration, de s'imposer sur le marché de l'art lyrique où paraître est aussi essentiel qu'être et avoir.
Né en 1959 à Hildesheim, en Allemagne, Thomas Quasthoff appartient à cette malheureuse génération d'enfants handicapés à cause de l'utilisation de la «thalidomide» par leur mère. Après divers tâtonnements pour des formations professionnelles, allant des études de droit au marketing, en passant par l'animation radio, le jeune homme revient à ses premières amours pour la musique. Amours vite détectées et encouragées par un père lui aussi épris de musique.
Batailles acharnées et combats incessants pour Quasthoff car toutes les portes, si elles ne se ferment pas, ont de la difficulté à s'ouvrir (l'École de Hanovre lui claque la porte au nez!)... Entre-temps, faute de pouvoir faire du piano qu'il aime pourtant passionnément, le jeune homme, avenant, laborieux, d'un esprit joyeux, doté d'humour et d'un remarquable sens de la sociabilité, se fraye un chemin dans les cours de chant.
Sa voix (cette célèbre «Stimme», qui sera d'ailleurs le titre à succès d'une autobiographie écrite avec l'aide de son frère Michael), sa profonde curiosité intellectuelle à aborder les partitions les plus variées, ses époustouflantes performances d'acteur et sa présence sur scène, malgré ses handicaps physiques, étonnent plus d'un.
Pourtant, de son propre aveu, plus tard, après l'humiliation des attentes pour des auditions presque toujours refusées ou acceptées avec réticence, lorsque, avec plus de quarante-cinq concerts par an, du Carnegie Hall à New York aux salles combles de San Francisco et Los Angeles, les applaudissements pleuvent, il dira, en toute sincérité: «Je n'ai jamais voulu faire carrière...»
Récemment, on l'a vu sur la chaîne «Mezzo» accompagné au clavier par Hélène Grimaud (Festival de Verbier), la pianiste virtuose qui parle aux loups en toute amitié comme à des bêtes domestiquées. Par-delà la difformité de l'interprète et l'émotion qu'elle suscite (et qu'on oublie presque tant la voix est envoûtante et le chant prenant), moment saisissant et bonheur total de la musique et d'un talent infini que les mélomanes reçoivent comme un don de Dieu, une bénédiction, un vrai moment de grâce.
Si Thomas Quasthoff, aujourd'hui enseignant à l'École supérieure de musique de Hans Eisler à Berlin et concertiste courtisé par les scènes les plus internationales, est sacré «roi des lieders», ce n'est que justice! Son Winter Reise de Frantz Schubert (quoique précédemment déjà servi par différentes prestigieuses interprétations) reste un authentique morceau d'anthologie où nuance, respiration, puissance, inflexion de la voix et mélodie fusionnent comme eau de source.
Commencée en 1984 à l'église Saint-Jean de Brunschwig, la carrière de Thomas Quasthoff continue sur sa lancée en 1987 avec la Messa Brevis de Mozart où il chante en soliste, avec le chœur de garçons de la cathédrale «Limburg an der Lahn», au grand plaisir de l'auditoire, subjugué par la révélation d'une voix d'airain.
Depuis, des œuvres de Mahler (il triomphera d'ailleurs au Carnegie Hall avec Des Knaben Wanderhom de Mahler) aux pages de Schumann, Schubert, Liszt, Buxtehude et Brahms, les succès se multiplient.
Non content d'annexer à ses innombrables tours de chant ces seuls compositeurs, il en rajoute d'autres dont Duparc, Ravel, Debussy, les cantates de Bach et Chostakovitch, dont il obtient avec distinction le prix à Moscou!
On ne peut parler du parcours de Quasthoff sans évoquer sa présence, de plus en plus importante, du côté des rampes de l'art bel cantiste. Quelles sont pour lui les qualités d'un interprète des partitions lyriques? «Tout doit être en place, dit-il, le legato, l'approche émotionnelle et les mots que vous chantez...»
Après des débuts plus que prometteurs en 2003 à Salzbourg avec le Fernando de Fidelio et un puissant Amfortas (vocalement bien entendu!) dans le Parsifal de Wagner à Vienne, il s'est illustré avec Falstaff et Don Carlos de Guiseppe Verdi et Der Rosenkavalier de Richard Strauss. Et ses ambitions ne s'arrêtent pas là... Il aimerait chanter Rigoletto et rêve d'incarner Wojcek ou Leporello.
Grandi avec les airs de Charlie Parker et Jeff Coltrane, le jazz a pour lui des vibrations séduisantes et il ne dédaigne pas de tomber parfois dans le chaudron des «blues» et des rythmes syncopés et «groovy». À son actif, pour ceux qui l'ignorent, deux albums de jazz!
En tant qu'homme et musicien, les propos des «grands» sur lui sont plus que réconfortants et chaleureux. Il faut écouter les réflexions de Daniel Barenboim, Simon Rattle et Seiji Ozawa (entre autres) pour comprendre comment la lumière peut émerger des zones d'ombre les plus redoutables chez cet être compagnon indéfectible de l'humilité, de l'abnégation, du labeur et du travail acharné.
La meilleure illustration pour cerner cette personnalité, parrainant aujourd'hui généreusement la fondation des «Enfants de Tchernobyl», est le témoignage d'Ara Guzelimian, directeur artistique du Carnegie Hall, qui dit en substance: «Quand Tommy est ici au Carnegie Hall, même dans les coulisses, nous avons le sentiment que la lumière est un peu plus intense.»
Le regard brillant, la bouille sympathique et l'allure d'un joyeux et exubérant personnage échappé d'une toile de Goya ou de Vélasquez. C'était bien difficile pour ce chanteur, aujourd'hui bel et bien arrivé et au faîte de la consécration, de s'imposer sur le marché de l'art lyrique où paraître est aussi...

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