Cela a été illustré quotidiennement autant dans le débat récent sur les droits des Palestiniens au Liban que ceux des Roms en France, le débat sur la burqa ou celui concernant la vie du Christ sur les chaînes de télévision NBN et al-Manar...
Certes, les droits de l'homme mettent en avant en priorité les libertés individuelles de manière quasi absolue, d'où l'attitude de la Commission européenne des droits de l'homme à Bruxelles, concernant l'expulsion des Roms et le démantèlement de 55 de leurs 300 camps, ainsi que l'attitude attendue du Conseil constitutionnel en France, concernant la loi sur la burqa. Quand les droits de l'homme sont considérés comme universels et absolus, toute restriction des libertés individuelles est perçue comme un manquement à ces droits. Mais d'autre part, avec la mondialisation et l'ouverture des frontières, nos sociétés d'aujourd'hui sont confrontées aux droits culturels et politiques des groupes, qu'ils s'appellent minorités, communautés ou autres, et qu'il s'agisse de groupes linguistiques, religieux, sexuels ou raciaux. D'ailleurs, nous avions déjà constaté depuis le siècle dernier une nette évolution de la conception libérale des droits de l'homme, entre la déclaration de 1789 à la suite de la Révolution française et celle des Nations unies de 1948 à la suite de la Seconde Guerre mondiale : la première se penchant uniquement sur les droits des individus et le démantèlement du système patriarcal (révolution) et la seconde plus attentive aux droits des minorités (guerre mondiale).
Il me semble donc impératif, avant d'entamer un jugement de valeur hâtif, de poser la problématique dès le départ de la priorité des libertés individuelles et des libertés collectives, les unes parfois se développant au détriment des autres.
Concernant le Liban, qu'il s'agisse des droits des Palestiniens (en tant que groupe) ou de la diffusion de la vie du Christ sur les chaînes télévisées d'une communauté spécifique donnée (chaînes communautaires) et qui touche l'espace du sacré d'une autre communauté, il faudrait prendre en considération l'anxiété identitaire de chaque minorité. Pour tout débat portant aujourd'hui sur les droits et les libertés, il faudrait garder en perspective l'équilibre à observer entre les deux types de libertés, individuelles et collectives. Certes, la prépondérance des droits collectifs pourrait entraîner la dérive vers des régimes totalitaires, niant les droits individuels, mais la négation des droits collectifs au titre des libertés individuelles pourrait entraîner le démantèlement des structures sociales et le déséquilibre par le renforcement d'un groupe qui exercerait, de fait, une pression idéologique ou un diktat sur la majorité ou sur les autres minorités. L'enjeu donc n'est pas de faire prévaloir à tout prix les libertés individuelles si elles ne s'insèrent pas, au final, dans un cadre collectif de cohésion sociale ou si elles sont le prétexte d'un rapport de force entre les différents groupes culturels et politiques, formant une même entité. Au Liban, le rapport de force (déguisé ou ouvert) est quotidien et chaque communauté poursuit son projet en mettant en avant ses moyens démographiques, géographiques, économiques, politiques, militaires et culturels. Le cadre référentiel (et identitaire) n'est toujours pas clairement défini. Il faudrait certes un dialogue, mais il est essentiel que les conditions saines du dialogue soient réunies. Ce qui ne semble pas encore le cas.
C'est pour cela que nous continuons à osciller entre le compromis-trêve provisoire et le dialogue de sourds.