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Liban - Coopération

Les dirigeants iraniens à Chami : Entre Téhéran et Beyrouth, une relation stratégique

Le ministre des AE, Ali Chami, s'est entretenu hier à Téhéran avec le président Ahmadinejad ainsi qu'avec son homologue iranien, Manouchehr Mottaki, et avec le président du Conseil national iranien de sécurité, Saïd Jalili, qui a déclaré à cette occasion que « l'Iran, la Syrie et le Liban représentent le triangle de la résistance et constituent un noyau auquel les autres pays arabes devraient se joindre ».

Le ministre des Affaires étrangères chaleureusement accueilli par le président iranien à Téhéran.

Nous voici au cœur de « l'axe du mal » tel que défini par l'ancien président américain George W. Bush. Téhéran semble s'étendre à l'infini dans un cordon de lumières qui éclairent la nuit mais n'allègent pas la chaleur. Les voitures mises à la disposition de la délégation libanaise présidée par le ministre des Affaires étrangères, Ali Chami, ont l'intérieur recouvert de tapis et une climatisation maximale. Le cortège escorté par des voitures de police traverse la ville du sud au nord après un rapide passage devant le mausolée consacré à l'imam Khomeyni pour s'arrêter devant l'hôtel Esteklal, jadis le Hilton, qui n'a plus rien de la chaîne américaine mais conserve un luxe persan raffiné. La visite proprement dite commence. Elle sera courte mais intense avec des entretiens serrés avec le ministre iranien des AE, Manouchehr Mottaki et le président du Conseil national de sécurité, Saïd Jalili (responsable du dossier nucléaire), et en soirée avec le président Ahmadinejad.
D'emblée, l'ancien ambassadeur d'Iran à Beyrouth, Mohammad Chibani, très jovial, qui a accueilli le ministre à l'aéroport (ainsi que l'ambassadeur du Liban Zayd Moussawi et l'équipe de l'ambassade), explique que les relations entre le Liban et l'Iran ne cessent de se renforcer et vont connaître une dynamique nouvelle avec les visites programmées de nombreux responsables libanais en Iran et de responsables iraniens au Liban, notamment la visite du président Ahmadinejad prévue à la fin du mois de ramadan, et celle du Premier ministre Saad Hariri, que les Iraniens attendent avec enthousiasme.
En dépit d'une certaine différence entre le nord, cossu, et le sud, plus peuplé, la ville est d'une propreté impressionnante et, surtout, l'abondance de sa verdure saute aux yeux. De prime abord, elle ne semble rien avoir avec l'agglomération immense et triste, grise et terne, où les gens défilent comme des ombres. Les rues y sont animées et les femmes arborent de moins en moins le tchador, trouvant des variantes au foulard (l'orange est désormais un signe d'élégance dans les restaurants chics du nord) et aux tuniques longues et amples qui doivent dissimuler les formes. Le chauffeur mis à notre disposition, ma collègue du Safir et moi-même, accepte volontiers notre curiosité. Blond, le type slave, il ressemble à un espion du KGB. Devant notre remarque, il se contente d'un placide : « Pourquoi, vous en connaissez, vous, des espions du KGB ? » et il se lance aussitôt dans des prouesses routières dignes d'un chauffeur de taxi libanais.

Téhéran et le TSL
Tous les responsables rencontrés, notamment l'équipe du ministère iranien des AE, font assaut d'amabilité, soucieux de donner une bonne image de leur pays et de montrer combien est grande la place du Liban dans le cœur des Iraniens.
Devenu responsable de la région du Moyen-Orient, de l'Asie centrale et du Caucase au ministère iranien des AE, Chibani suit de très près les détails de la vie politique libanaise. Dans une conversation à bâtons rompus, il confie ainsi que depuis le début de sa mise en place, le Tribunal spécial pour le Liban ne fait pas preuve d'une grande crédibilité et son action est controversée. Il est en quelque sorte devenu un instrument entre les mains de ceux qui, selon lui, ne veulent pas le bien du Liban. Chibani, qui parle un arabe parfait, comme tous ceux qui ont escorté le ministre Chami dans sa visite, considère que l'objectif de l'utilisation de cet instrument n'est pas le Hezbollah, mais la sécurité et l'entente internes libanaises.
Tout au long de ce voyage et au cours de toutes les rencontres, avec des responsables de différents niveaux, les Libanais entendront la même insistance de la part de l'Iran à considérer que le danger qui menace leur pays vise l'ensemble de la population, et en soutenant la résistance, l'Iran soutient toute la population, sans distinction entre les communautés ou les régions. Saïd Jalili le répétera à plusieurs reprises, pour l'Iran, ses relations avec le Liban sont stratégiques et la fameuse équation de l'armée, la résistance et le peuple, confirmée selon Chami par les derniers incidents de Adaïssé, est la garantie de la stabilité du Liban.
Chibani explique de son côté que, pour qu'Israël tente une nouvelle agression contre le Liban, trois éléments doivent être réunis : il doit s'agir d'une opération de courte durée, les Israéliens ne voulant pas rééditer l'expérience des 33 jours de 2006 qu'ils ont dû, selon lui, prolonger à la demande des Américains, que les résultats soient garantis, et que l'intérieur d'Israël ne soit pas la cible de bombardements. Or ces trois éléments ne sont pas réunis. C'est pourquoi la guerre ne lui semble pas imminente et les ennemis du Liban cherchent à la remplacer par la discorde ou les troubles.
Le ministre iranien des AE, Manouchehr Mottaki, qui s'est entretenu pendant près de deux heures avec le ministre Chami, a réaffirmé de son côté le soutien de l'Iran au Liban face à toutes les agressions israéliennes. En réalité, M. Mottaki avait contacté le ministre libanais à la suite de l'affrontement de Adaïssé entre l'armée libanaise et les soldats israéliens et c'est à la suite de cet appel téléphonique que Chami a décidé d'effectuer cette visite à Téhéran. Il s'agit donc essentiellement de remercier la République islamique, de préparer la visite du président Ahmadinejad à Beyrouth à la fête du Fitr, et encore de renforcer les liens de coopération entre les deux pays.

Les entretiens de Chami
Contrairement à ce qu'on pourrait croire, la colonie libanaise en Iran n'est pas très importante : elle comporte 98 cheikhs, cinq hommes d'affaires, dont Louis Gemayel, et deux Arméniens, trois médecins, et près de deux cents étudiants. En réponse à une question, des sources de l'ambassade libanaise précisent que les membres du Hezbollah ne sont pas comptés dans ces chiffres...
Avec son homologue iranien, le ministre Chami a évoqué les accords qui sont sur le point d'être conclus entre huit ministères libanais et huit autres iraniens, comme l'Économie, le Tourisme, etc. Il a aussi été question de renforcer le Conseil des hommes d'affaires libano-iraniens qui regroupe actuellement 15 hommes d'affaires libanais et seulement 9 iraniens. Chami a aussi parlé de l'élargissement de la zone exemptée de visa qui regroupe actuellement la Syrie, la Jordanie et l'Irak, à laquelle le Liban vient de se joindre, et il souhaite que l'Iran et la Turquie en fassent aussi partie. Chami a encore présenté à son homologue des plans de coopération concernant le réseau routier libanais, la construction de barrages pour retenir les eaux et même la réhabilitation du chemin de fer qui passerait du Liban vers l'Iran via la Syrie et même la Turquie.
Chami a résumé à son homologue iranien le climat libanais de détente qui a suivi la visite des dirigeants arabes à Beyrouth, tout en estimant que la visite attendue d'Ahmadinejad ne peut que renforcer ce climat.
Au cours de la conférence de presse qui a suivi l'entretien, Mottaki a confirmé que la visite du président Ahmadinejad au Liban - la première d'un président iranien à Beyrouth depuis celle du président Mohammad Khatami en mai 2003 - aura lieu après le ramadan, et il a refusé de considérer que le rapprochement entre la Syrie et l'Arabie saoudite pourrait se faire aux dépens de l'Iran et du Hezbollah, déclarant que l'Iran appuie tout rapprochement entre les Arabes, d'autant qu'il est basé sur la sagesse. Selon lui, les visites des dirigeants arabes à Beyrouth consolident la stabilité et l'entente interne au Liban. En réponse à une question de L'Orient-Le Jour sur la détermination de l'Iran à fournir des équipements à l'armée comme elle le fait pour d'autres formations libanaises, Mottaki s'est contenté de dire que l'Iran appuie le Liban face à toutes les agressions. Il a précisé qu'Israël cherche à provoquer des guerres pour fuir ses propres problèmes. Et quand il n'y a pas de guerre, il y a des crises secondaires, dans le but de gagner du temps et de vendre des armes aux pays de la région.

La mission de la Finul
À une autre question de L'Orient-Le Jour sur le rôle que pourrait jouer l'Iran si le plan visant à susciter une discorde entre sunnites et chiites au Liban se précise, Mottaki a appelé les Libanais et les peuples de la région à rester vigilants, rappelant que cette région est aujourd'hui au cœur de l'intérêt international. Si Israël ne peut pas y provoquer une guerre, il cherchera à semer la discorde. Mottaki a ensuite évoqué les derniers incidents au sud du Liban, saluant la détermination de l'armée. Il s'est posé des questions sur l'utilité de la Finul si elle ne peut pas remplir sa mission.
Cette mission a été définie par le ministre Chami qui a précisé que la force internationale doit se défendre si elle est attaquée et aider l'armée libanaise dans la sauvegarde de la sécurité. Mottaki a encore rappelé que l'alliance avec la Syrie est stratégique, affirmant que ce pays est un pilier incontournable. Tout en assurant que tous les scénarios doivent être envisagés, il a rappelé que la résistance est le seul moyen de s'opposer aux plans israéliens et de remporter des victoires. Il a rappelé l'échec des Américains en Afghanistan et en Irak, ajoutant que si Israël tente une nouvelle guerre, celle-ci sera très destructrice et modifiera les équilibres actuels dans la région. Il a enfin affirmé qu'il existe encore des sages aux États-Unis pour comprendre les risques d'une telle initiative.
Dans les coulisses, Mottaki a évoqué les contacts discrets pour une reprise du dialogue entre l'Iran et les États-Unis, autour notamment de l'Irak et de l'Afghanistan.
Cette réunion terminée, le cortège a pris la direction du siège du président du Conseil de la sécurité nationale, Saïd Jalili, après un rapide déjeuner.
Situé dans une sorte de périmètre de sécurité qui regroupe de nombreux sièges officiels, dont celui de la présidence de la République, le Conseil de la sécurité nationale est installé dans un vieux palais qui a gardé sa majesté tout en ayant perdu les ors et les décorations. L'heure est à une certaine austérité. L'atmosphère feutrée du lieu est renforcée par Jalili lui-même qui s'exprime à voix basse en pesant chaque mot. On dirait un vieux marchand de tapis, avec l'intelligence et la patience d'un sage. Au ministre Chami et à la délégation qui l'accompagne, il insiste sur l'importance de l'unité interne des Libanais et sur l'importance de l'entente entre les pays de la région qu'Israël perçoit comme une menace. C'est l'occasion pour le ministre Chami de relancer l'idée du forum arabo-régional, soulevée par le secrétaire général de la Ligue arabe au cours du dernier sommet de Libye. Jalili a demandé des précisions sur la dernière visite du roi Abdallah et du président Assad à Beyrouth, assurant que l'Iran, la Syrie et le Liban représentent désormais le triangle de la résistance et constituent un noyau auquel les autres pays devraient se joindre. Chami rappelle de son côté que les violations israéliennes de la 1701 s'élèvent désormais à 6 950, avec une nette recrudescence depuis février, et Jalili a rappelé que la solidarité entre les Libanais reste le meilleur moyen de déjouer les plans israéliens.
Des discours officiels convenus donc, mais un message fort qui montre l'intérêt que porte l'Iran au Liban et son souhait de renforcer encore plus les relations entre les deux pays. Grâce au Hezbollah, le Liban est devenu un atout maître pour l'Iran, qui en a aussi bien d'autres. Comme l'a dit un Iranien : « Nous vivons comme s'il n'y a aucun risque de guerre et en même temps nous nous tenons prêts à tout. Le temps est notre meilleur allié. » Le temps a pour ces tisserands de tapis au long souffle une valeur stratégique.
Nous voici au cœur de « l'axe du mal » tel que défini par l'ancien président américain George W. Bush. Téhéran semble s'étendre à l'infini dans un cordon de lumières qui éclairent la nuit mais n'allègent pas la chaleur. Les voitures mises à la disposition de la délégation...

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