Au départ, c'est le chef du PSP Walid Joumblatt qui est à l'origine du retour de ce dossier au premier plan de l'actualité interne. Pour Joumblatt, il s'agissait d'une initiative tout à fait naturelle qui s'inscrit dans la continuité de sa nouvelle tendance politique ; et l'on sait ce que la cause palestinienne représente pour lui et ce qu'elle représentait pour son père. Il voyait donc dans le projet de loi, destiné à accorder des droits civils aux réfugiés palestiniens, une démarche nécessaire pour confirmer son retour à ses thèmes de base, d'avant 2005. Mais sans doute mal préparée et peu coordonnée avec ses partenaires, l'initiative s'est heurtée à une violente opposition, notamment de la part de tous les partis chrétiens, y compris le bloc Aoun. Dans le climat actuel de tension, chaque camp a voulu utiliser ce dossier pour consolider sa crédibilité interne, et le dossier des droits civils des réfugiés palestiniens est devenu un nouveau sujet de polémique. C'est alors que l'ancien Premier ministre Fouad Siniora, désormais chef du bloc parlementaire « Liban d'abord », a repris le sujet à son compte et il a entrepris de préparer un autre projet de loi, plus « soft », mais dans la même direction. Son projet comporte toutefois un point très délicat qui consiste dans la définition du réfugié palestinien et qui peut être considéré comme un précédent dangereux vis-à-vis de la communauté internationale. Dans le projet, sont ainsi considérés comme réfugiés bénéficiant des droits civils les Palestiniens de 48, mais aussi ceux de 67 et de 70, ainsi que les non-inscrits et les résidents permanents. En d'autres termes, le Liban devient responsable de tous les réfugiés palestiniens sur son sol et pas seulement ceux de 48... Siniora a ensuite entamé une campagne auprès de ses alliés et des autres parties libanaises pour pousser vers l'adoption du projet de loi. Le député Nohad Machnouk s'est chargé d'en convaincre certains, alors que Fouad Siniora a préféré en parler directement avec les Forces libanaises et les Kataëb. Les premières ont accepté la nouvelle version, ou en tout cas ont assoupli leur position, mais les Kataëb ont maintenu leur refus. Ils étaient d'ailleurs catégoriques, notamment à travers le député Samy Gemayel, qui n'a rien voulu entendre. Il a ensuite tenu une réunion avec son collègue du Bloc du changement et de la réforme, Ibrahim Kanaan, dans une volonté évidente de coordonner les positions avec les aounistes sur cette question. En attendant, le président de la Chambre a choisi de ralentir le processus d'étude de ce projet par les commissions parlementaires, pour permettre aux positions des uns et des autres de se décanter.
Mais au-delà de cette chronologie des faits, les interprétations commencent à se multiplier. Selon de nombreux observateurs, ce dossier reflète en réalité la tension sous-jacente entre la Syrie et l'Égypte. Des sources proches de la Syrie révèlent ainsi que, depuis le sommet de Libye en mars dernier, les relations entre les deux pays se sont détériorées. À cette époque, le président Hosni Moubarak se remettait, à Charm el-Cheikh, des suites d'une intervention chirurgicale subie en Allemagne et le président Bachar el-Assad avait émis le souhait de lui rendre visite pour lui souhaiter bon rétablissement. Mais lorsqu'il a téléphoné pour parler à son homologue égyptien, il lui a été répondu sèchement que ce dernier est étendu et ne pouvait pas lui parler pour l'instant. Assad n'a jamais été rappelé, et, selon les mêmes sources, il se serait promis de ne plus tenter de voir le président Moubarak.
Entre-temps, et dans une tentative de renouer les liens coupés, le général Omar Sleimane s'est rendu à Damas pour évoquer entre autres quatre dossiers en suspens entre les deux pays : la réconciliation interpalestinienne, la formation du gouvernement irakien, le nucléaire iranien et la situation libanaise. Sur les quatre dossiers, les positions étaient divergentes et la visite a été un échec.
Les sources proches de la Syrie estiment ainsi que depuis ces développements et alors que l'Égypte est dans une mauvaise posture en Afrique, à cause de l'indépendance du Sud-Soudan et la nouvelle politique de l'Éthiopie de construire des barrages pour obtenir ses droits sur les eaux du Nil, Le Caire aurait choisi de revenir en force sur la scène libanaise, pour ne pas la laisser entre les mains de la Syrie, maintenant que l'Arabie saoudite a plus ou moins levé le pied face à Damas. Les mêmes sources ajoutent ainsi que la décision de recevoir le chef des Forces libanaises Samir Geagea au Caire, ainsi que la récupération du dossier des droits palestiniens par l'ancien Premier ministre Fouad Siniora s'inscriraient dans ce cadre, comme la reprise de service du mufti du Mont-Liban, cheikh Mohammad Ali Jouzou, considéré comme proche de l'Égypte.
Selon les sources proches de la Syrie, les Palestiniens proches de l'Égypte, dans les camps du Liban et en particulier à Aïn el-Héloué, seraient aussi en train de se réorganiser, face aux partisans du Hamas et des organisations prosyriennes, au cas où...
Dans ce contexte de lutte sourde entre Damas et Le Caire, le dossier des droits palestiniens prend une tout autre dimension et ce serait pour bien expliquer sa position, rejetant toute politisation de la question et toute tentative de lui donner une dimension régionale, que le chef du PSP Walid Joumblatt a rencontré le chef du CPL le général Michel Aoun, lundi soir, au domicile du député Naji Gharios à Hazmieh. Joumblatt ne veut pas que son initiative alimente le bras de fer entre la Syrie et l'Égypte, et il insiste sur le fait qu'elle a des objectifs essentiellement humanitaires. C'est sans doute ce qu'il a répété au général Aoun. Mais au Liban, en l'absence de consensus interne, la guerre des autres se poursuit de façon continue sur son territoire, même si les protagonistes changent de manière tout aussi permanente.