Rechercher
Rechercher

Culture - Exposition

La complexe légèreté de l’être

Un dialogue s'est instauré à la galerie Pièce unique. Entre le textile et le métal, le grouillant et le silencieux, le matériel et le spirituel. Une coexistence conflictuelle à laquelle Lulu Yammine et Rita Awn ont donné un souffle nouveau.*

«L’homme tiraillé entre le pouvoir et la force», une sculpture signée Rita Awn.(Marwan Assaf)

C'est Lulu Yammine, curatrice de cette exposition de «suzannis», qui donne le ton de l'intemporalité en déployant une partie de sa collection privée de tapisseries de soie murales. Ce travail artisanal minutieux et sophistiqué tient lieu d'écrin au travail de Rita Awn, qui se décline en sept sculptures en métal (bronze, argent et or). Cette artiste diplômée de l'École nationale supérieure des beaux-arts à Paris, qui a toujours laissé voguer son intelligence artistique et sa sensibilité sur des univers différents comme la sculpture et la peinture, invite par cette démarche appelée «Symétries» à réfléchir sur l'être et son équilibre.
Ainsi, cette pause spatiotemporelle permet un saut dans l'histoire pour comprendre l'imaginaire des suzannis, tissus brodés d'Ouzbékistan et, par extension, de l'Asie centrale. Il faut savoir que c'est le mot «suzan», qui signifie aiguille en persan, qui a donné son nom à ces travaux d'aiguille traditionnels. Ces ouvrages de broderie ont constitué depuis des centaines d'années la dot des futures mariées de l'Ouzbékistan, qui se situe au cœur de l'Asie centrale et qui était une étape majeure sur la route de la soie. Sur des bandes étroites de coton, de tissu en lin ou en soie temporairement cousues ensemble pour former un grand panneau, un artiste y dessine des motifs de fleurs ondulantes, des bouquets, des flammes ou encore des grenades (pommes d'amour ou de fertilité). Ces bandes sont par la suite rassemblées dans un grand panneau formant une œuvre où tout l'imaginaire créatif et les pigments végétaux nourris de la terre se mêlent dans des entrelacements colorés.
Véritables œuvres d'art, légères et évanescentes, presque immatérielles, les suzannis sont un hommage rendu à la mémoire collective des peuples d'Asie centrale et au travail de l'homme qui transcende le vécu terrestre. Lulu Yammine, qui a grandi avec un amour particulier pour le textile, a pu, par ses différents voyages dans cette partie du globe, choisir des pièces qui illustrent ces valeurs en voie de disparition afin de les partager avec les autres.

Le lien indicible
Elle va par ailleurs établir cette conversation intimiste virtuelle, pourtant si tangible, entre ces œuvres manuelles et celles de Rita Awn, lesquelles, isolées ou en groupe (édition de huit), traduisent elles aussi un parcours humain.
D'abord ses trois personnages en bronze debout et se tenant la main illustrent les tiraillements de l'homme entre la force et le pouvoir. Au centre, deux autres figures mi-humaines, mi-bêtes, dans une sorte de combat de cerfs, entrechoquent leurs neurones. Identiques, similaires et donc symétriques, ces «minotaures» «sont destinés à s'annuler avec le temps s'ils ne cessent de se battre», signale l'artiste. Enfin, les sculptures qui détiennent la médaille d'or et polies, comme à l'occasion de cette couleur dorée, sont trois petits personnages en mutation qui aspirent à parfaire leur entité, à réaliser leur bien-être (terme employé à la légère, mais aux lourdes significations). «Dans ce processus de "morphing", souligne Rita Awn, on n'est plus dans la confrontation avec l'autre, mais avec soi-même.» C'est cette lutte constante de l'homme avec son asymétrie génétique, afin d'atteindre une certaine symétrie, que Awn a voulu illustrer. «Cet être entier qui a enfin achevé son parcours ainsi que la réalisation de soi ne mériterait-il pas la Palme d'or?», dit l'artiste en souriant.
Après un an de travail, mais des années de réflexion, l'artiste qui taille dans le cru, dans la chair de l'existence accomplit au bout du compte une œuvre silencieuse, mais tellement éloquente. Loin du bavardage de la peinture, dit-elle, je plonge sans me disperser dans la sculpture. Cette sculpture dont la beauté endiguée s'accorde parfaitement avec le silence grouillant des suzannis et scelle ce lien indicible de la chaîne du temps.

* Galerie Pièce unique, Saifi Village, jusqu'au 4 juillet. Du lundi au samedi, de 10h00 à 18h00. Tél. : 01/975655.
C'est Lulu Yammine, curatrice de cette exposition de «suzannis», qui donne le ton de l'intemporalité en déployant une partie de sa collection privée de tapisseries de soie murales. Ce travail artisanal minutieux et sophistiqué tient lieu d'écrin au travail de Rita Awn, qui se décline en sept sculptures en métal (bronze, argent et or)....

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut