Rechercher
Rechercher

Culture - Signature

Ce pays que l’on ne quitte jamais...

À un âge vénérable, Etel Adnan s'active ferme et propose son œuvre littéraire, sa palette d'aquarelle et son chevalet de peinture. Pour l'occasion, en devanture des librairies, deux rééditions libanaises de ses anciens ouvrages, « Sitt Marie Rose » et « Au cœur du cœur d'un autre pays ». En langue anglaise ou française, en phrases concises et percutantes, voilà le retour d'une femme de lettres à un pays qu'on ne quitte jamais.*

De la poésie libre au récit, en passant par de petits essais de tous crins, des correspondances, des impressions de voyage, des réflexions de vie et d'altérité, depuis 1966, Etel Adnan plonge sa plume dans l'encre des préoccupations du monde arabe. Presque un demi-siècle pour dénoncer les blessures des Palestiniens, mais aussi de tous les damnés et les souffrants de la terre. Ceux qui sont mal dans leur vie, leur cœur et leur peau.
Sitt Marie Rose, paru en 1977 aux Éditions des femmes (et aujourd'hui édité par Tamyras, 111 pages), écrit directement en un français limpide, lyrique, mais sans emphase, reste un émouvant témoignage sur la folie de la guerre libanaise. Mais aussi l'esprit de clans, les milices, la brutalité des armes, la manipulation de la religion, la condition de la femme, le machisme des hommes, l'absence de dialogue et l'absurdité de la mort.
Inspiré d'un vrai fait divers où une directrice d'école pour enfants handicapés rencontre la mort sur un chemin de montagne, ce mince roman, trente-trois ans après sa parution, jette un éclairage toujours vif sur les mentalités libanaises. Notamment cette scandaleuse scène de chasse qui ouvre le livre où les « chabab », en toute impunité, virilité musclée et délice barbare, font leur carnage sur les oiseaux...
Tout en renouant avec les thèmes de l'identité qui lui sont chers, l'auteur de Beyrouth Express Enfer (fallait-il être prophète pour prévoir à l'âge d'or de notre capitale, en 1973, croulant sous les pétrodollars, l'inévitable chute qui guettait tant de frivoles frénésies pour une insatiable nouba?) revisite ses «options» pour une traversée humaine.
Pro-arabe, anticléricale, anticonformiste, gauchisante, bohème chic, révoltée contre les nantis (curieux paradoxe pour une personne qui vit entre la Californie, Paris et Beyrouth), âme sensible qui s'émeut pour un chat, un oiseau, un pauvre ou une amie, Etel Adnan croise sur un rayon de librairie l'ouvrage de William H Gass, In the heart of the heart of the country. Titre lumière qu'elle s'approprie avant de mettre le cap sur Beyrouth, un retour aux sources, après des années de désertion et d'abandon.
Excellemment traduit de l'anglais au français par Éric Giraud (édité dans sa seconde version par Tamyras, 167 pages), cet ouvrage (Au cœur du cœur d'un autre pays) est un texte groupant un ensemble de réflexions, méditations, analyses, aphorismes et boutades. Texte poétique ramifié, à la fois dense et faussement léger, oscillant entre absurde et surréalisme scannant la réalité. Un texte fantaisiste (d'une structure quand même secrète) pour s'entretenir de soi - avec pudeur et un certain humour, sans pour autant céder à la chronologie et aux détails autobiographiques -, de la politique (antagonisme Orient-Occident), du temps qu'il fait, des pommes du jardin, du lifting des Beyrouthines (un nez français à des femmes arabes), de la surconsommation, des maisons qu'on habite, des fenêtres qui nous livrent des paysages, des personnes qu'on rencontre, de nos amis les arbres, de la terreur de la guerre et des rêves de la nuit.
Entre vie américaine et chaleur levantine, Etel Adnan évoque le passage du temps. Et Beyrouth la désole, car «trop préoccupée pour connaître la beauté de la mer. Beyrouth, la ville la plus cruelle au monde». Vraiment?
Écrire, dit-elle. Mais qu'écrit donc Etel Adnan?
Quelqu'un lui aurait posé la question suivante: «Vous écrivez de la fiction?» Et l'éternelle voyageuse, à l'enseigne de l'inversion, des mots et des images, a répondu: «Pas du tout, ce que j'écris est la réalité, ce que je fais est de la fiction.»

* Rencontre ce soir au Beirut Art Center.
19h00 : lecture de poèmes
19h30 : signature des deux ouvrages.
De la poésie libre au récit, en passant par de petits essais de tous crins, des correspondances, des impressions de voyage, des réflexions de vie et d'altérité, depuis 1966, Etel Adnan plonge sa plume dans l'encre des préoccupations du monde arabe. Presque un demi-siècle pour dénoncer les blessures des Palestiniens, mais aussi de...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut