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Culture - Théâtre

« Daftar cigara », ou la lugubre plaidoirie pour une cigarette

Paul Chaoul, un fumeur compulsif et un poète qui bouffe des mots, et Jawad el-Assadi, metteur en scène baroque et excessif, se rencontrent sous la flaque de lumière au théâtre Babel.

Une baignoire-lit, aboutissement du trajet du fumeur. (Sami Ayad)

En un temps où fumeurs et cigarettes sont officiellement et officieusement pointés du doigt et bannis des lieux publics pour menace et danger collectif, voilà que Paul Chaoul, fierté des fumeurs invétérés, déclare sans vergogne sa flamme aux clopes. Des clopes compagnes inséparables, des muses juchées au bout des rimes, des amies d'une présence constante et envahissante. Cortège d'une fidélité désolante qui le conduira, grabataire, cloué droit au lit et sous le bistouri. Sans pour autant renoncer à ce geste mécanique de garder, vissée aux lèvres, la cigarette, symbole de toutes les illusions et objet de toutes les perceptions.
Qu'à cela ne tienne, en dépit des révoltes douloureuses et des nostalgies lancinantes des cafés et des rues de Beyrouth (Hamra est à bonne enseigne), l'indéfectible ami des cigarettes rédige un carnet de route. Celui d'un triste fumeur au foulard rouge et aux cheveux hirsutes, qu'il intitule Daftar cigara (Feuillets de cigarettes) en langue arabe littéraire drue et aux aspérités faussement tranchantes.
Texte se voulant poétique, poignant ou tout simplement touchant par son amère et cynique confession. Mais voilà, c'est un affligeant texte cliché (d'une trentaine de minutes) où tous les poncifs de l'addiction à la cigarette sont platement évoqués sous un masque grandiloquent de colère feinte et de crise de folie injustifiée ou simulée, comme une inexplicable descente aux enfers. Comme si l'être est une serpillière ou un fantoche dépourvu de volonté.
Ou alors, sans faire de chichis, il faut assumer son aveuglement et son acharnement à la servitude du plaisir et des mauvaises habitudes. Et vivre son état de maladie endémique et permanente. Ou alors tenter, sans tous ces faux-semblants et ces prétextes à réflexion, une fois pour toutes, une cure de
désintoxication.
Pour ce sermon non camouflé, comme une lourde vantardise, pour griller ses « sèches », une baignoire, avec baldaquin insolite pour d'improbables acrobaties, sur la scène, évoquant de toute évidence le lit de la mort. C'est sous le signe du crépusculaire et du morturaire que Jawad el-Assadi place d'emblée son introduction scénique.
Pour meubler l'espace plongé dans le noir, un violon et un oud aux tons tristes et plaintifs, comme les deux anges de la vie et de la mort. Mais aussi les propos quasi incohérents, soit en murmures (souvent inaudibles), soit en cris vociférants de l'unique personnage, incarné par Abdo Chahine entre état vaseux et transes, sous les pots.
La salle, littéralement enfumée (non-fumeurs strictement s'abstenir !), est une vivante illustration de la défense et illustration de l'art et du rituel de fumer. Avec café amer, noir, serré, léger, verre de vin, en parcourant son journal, en tartinant ses poèmes, en élucubrant sur le monde et en insistant sur ses obsessions et fantasmes féminins, en parlant de la solitude des hommes et du drame des enfants qui meurent.
Ce texte bref est un fatras d'idées reçues et de stériles nostalgies avec, pour voilette, l'emphase d'une pseudopoésie qui s'étrangle et s'asphyxie dans d'épais nuages de fumées. La mise en scène démesurée, gesticulante et grinçante n'arrive guère à sauver ni les acteurs (un protagoniste en soliloque, une femme comparse et un violoniste) ni l'intérêt du public perdu entre paroles vaines, volatiles et lente
gestuelle.
On se souvient des mots d'Oscar Wilde, futé et fin esprit, parlant des cigarettes et disant en substance : «Les cigarettes ont au moins le charme de vous laisser inassouvi.» C'est le moins qu'on puisse dire de ce spectacle...
En un temps où fumeurs et cigarettes sont officiellement et officieusement pointés du doigt et bannis des lieux publics pour menace et danger collectif, voilà que Paul Chaoul, fierté des fumeurs invétérés, déclare sans vergogne sa flamme aux clopes. Des clopes compagnes inséparables, des muses juchées au bout des...

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