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Dossier Amériques - Société

« Explosion » des mouvements extrémistes et paramilitaires aux USA

La crise économique, la peur d'un changement démographique, la propension des théories du complot et l'élection d'un président noir ont éveillé l'extrême droite américaine.

Des manifestants du Tea Party, en costume d’époque. Rebecca Cook/Reuters

Le débat autour de la réforme du système de santé aux États-Unis et le vote historique d'une nouvelle loi sur l'assurance-maladie ont mis en relief dernièrement l'existence et l'action de groupes radicaux tournant autour du mouvement américain appelé « Tea Party ». Ce dernier est né au début de 2009, mais tire son nom du Boston Tea Party de 1773, qui avait marqué le début du soulèvement de treize colonies contre la tutelle britannique. Par ailleurs, TEA est l'acronyme de « Tax Enough Already » (Nous sommes suffisamment taxés). Plus qu'un simple mouvement, il s'agit en fait d'une nébuleuse dont les deux groupes les plus importants sont les Tea Party Patriots et la Tea Party Nation. Ce mouvement attire, en outre, autour de lui d'autres groupuscules extrémistes ou paramilitaires d'extrême droite dont certains sont assez violents.
L'adoption, le mois dernier, de la réforme qui étend la couverture maladie à des millions d'Américains a redoublé la fureur des militants regroupés sous la bannière des « Tea Party ». Environ une dizaine de membres de la Chambre sont concernés par des menaces ou des actes violents ayant occasionné des dégâts matériels, selon le chef de la majorité démocrate de la Chambre des représentants, Steny Hoyer. Ce dernier a indiqué que certaines menaces reçues par les élus étaient « très graves ».
Dans ce contexte, le Southern Poverty Law Center, qui surveille ces mouvements, a dénombré lors de son dernier rapport publié récemment 512 groupuscules actifs en 2009, contre 149 en 2008. Sur ce total, 127 étaient de véritables milices paramilitaires, contre 42 un an plus tôt. Le nombre de groupes d'autodéfense anti-immigrés ( « nativistes » ) est passé de 173 à 309.
Le nombre de groupuscules extrémistes ou paramilitaires d'extrême droite a ainsi plus que triplé l'an dernier aux États-Unis. « Nous avons constaté une explosion du nombre de milices et du mouvement patriote antigouvernemental en général », explique Mark Potok, qui dirige le Southern Poverty Law Center.
La mouvance d'extrême droite a fait couler beaucoup d'encre depuis l'attentat contre un bâtiment administratif fédéral d'Oklahoma City qui a fait 168 morts en 1995. L'influence du mouvement a cependant paru refluer lorsque sa théorie de la fin du monde au 1er janvier 2000 ne s'est pas matérialisée.
Selon David Giband, professeur à l'Université de Perpignan et spécialiste des États-Unis, « d'autres études montrent que le nombre de groupes extrémistes aurait doublé depuis 2000 et les années Bush, portant l'estimation à plus de 1 000 groupes. Ces chiffres dissimulent une constellation de mouvements et de groupuscules paramilitaires ultranationalistes ("patriots"), racistes et opposés à l'immigration ("nativists"), antigouvernementaux et autres nostalgiques du KKK ».
Or, d'après M. Potok, la remontée en flèche du nombre de groupes extrémistes et racistes l'an dernier s'explique essentiellement par l'élection de Barack Obama à la présidence des États-Unis, mais aussi par la crise financière, qui s'est traduite par une explosion de l'endettement du pays et du chômage. « La récession et le chômage ont meurtri beaucoup de gens et les ont mis en colère. Ils cherchent à trouver une raison », observe M. Potok. « La crise économique couplée à un haut niveau d'immigration est le premier facteur explicatif », renchérit M. Giband.
Les deux spécialistes s'accordent également sur le fait que l'élection d'un président noir et la menace démographique visant la population blanche est un facteur aggravant majeur dans ce contexte. Depuis quelques années, le bureau fédéral du recensement publie des études prospectives annonçant le déclin démographique des Blancs qui, d'ici à l'horizon 2050, passeront du statut de majorité à celui de minorité, sans doute derrière les Hispaniques. « Les inquiétudes et la peur du changement dans la composition ethnique du pays jouent ici à plein », explique M. Giband.
« Enfin, n'oublions pas, non plus, que la présidence Bush a contribué à décomplexer ces groupes. Nombre de ces miliciens se sont reconnus dans les positions des néoconservateurs (discours guerriers, lutte contre le « big government », limitation de l'immigration, retour de la prière à l'école, rhétorique du tout sécuritaire et idéologie du complot de « l'axe du mal »). Ils ont bénéficié, à moindres frais, d'un relais médiatique et politique national, rendant leurs idées plus visibles qu'auparavant », explique le spécialiste français, alors que le responsable du Southern Poverty Law Center estime lui aussi que les propos de certains responsables républicains comme Sarah Palin et les discours véhiculés par certains médias de droite encouragent la propension des idées extrémistes.

Les pauvres blancs
Selon un sondage New York Times/CBS publié la semaine dernière, 18 % des Américains s'identifient au mouvement des Tea Party. Ce sont majoritairement des hommes, républicains, blancs et âgés de plus de 45 ans, selon cette enquête. Ces groupuscules trouvent leurs adeptes (le parallèle avec les sectes est d'ailleurs troublant) chez ceux que l'on qualifie de « poor whites », ces pauvres blancs, particulièrement nombreux dans les régions rurales des États du Sud et du Sud-Ouest. « Il s'agit, le plus souvent, de la frange inférieure des classes moyennes (ouvriers, employés sans qualification), particulièrement frappées par la crise et le risque de déclassement social (paupérisation et précarisation). Cette frange de la population, qui constitue l'assise populaire chez les Blancs, a subi de plein fouet ces deux dernières années les effets de la crise : chômage, délocalisation des entreprises, faillites personnelles... Il s'agit aussi d'une population au niveau d'éducation souvent faible qui subit la concurrence scolaire des autres groupes ethniques ; particulièrement celles des enfants d'immigrés asiatiques qui réussissent globalement mieux dans les études et vivent mieux que ces Blancs le rêve américain », précise M. Giband. La plupart sont originaires du Sud rural, région historiquement marquée par une défiance envers Washington et par la présence dans son histoire récente de groupes actifs comme ceux de Waco au Texas, qui ont prospéré sur le double thème de la liberté d'expression et du complot de Washington pour abattre les voix dissidentes. Internet et le développement des blogs de ces groupes facilitent, bien évidemment, la propagation de théories délirantes mais récurrentes de complots internationaux ou venant du gouvernement fédéral.
« Il s'agit d'un mouvement qui voit dans l'État l'ennemi public numéro un et qui se laisse entièrement dévorer par tout un tas de théories sur des complots présumés, ajoute M. Potok. Pour eux, l'État fédéral fait partie d'une conspiration malfaisante qui a décidé d'éliminer les Américains. » Selon lui, les Américains ont toujours été très influencés par les théories du complot. Qu'il s'agisse d'une menace communiste ou islamiste, la peur et la menace poussent un grand nombre d'Américains à adhérer aveuglément à ces théories, même farfelues. « Une des plus célèbres, véhiculée par Internet, est le "plan of Azkan" , théorie selon laquelle existerait une conspiration secrète des Mexicains pour conquérir le sud-ouest des États-Unis ! » explique de son côté David Giband.

Menaces et violences
Ces groupuscules paraissent être une menace surtout pour les élus engagés aux côtés d'Obama, partisans d'une Amérique postethnique et racialement apaisée, comme on l'a vu durant ces dernières semaines, suite au vote de la reforme de la loi concernant le système de santé. Certains projets présidentiels, particulièrement la réforme de l'assurance-maladie, sont souvent qualifiés par ces groupes de « fascistes » ou de « socialistes », une insulte dans le contexte américain.
Dès la campagne électorale, Barack Obama a été la cible de groupuscules paramilitaires plus ou moins organisés. Toutefois, plusieurs organismes - dont le Southern Poverty Law Center - s'inquiètent de la recrudescence des menaces contre les représentants du gouvernement fédéral (organismes, bureaux délocalisés, employés, élus). Selon M. Potok, une milice armée au Michigan vient d'être arrêtée et démantelée suite à des informations concernant un plan pour assassiner un policier local, puis à attaquer avec des roquettes et des armes à feu les forces de l'ordre qui devraient être présentes lors des obsèques du policier tué.
« Des rapports de la Homeland Security montrent qu'un nombre grandissant d'Américains, proches de ces mouvements, se sont récemment armés et ont fait des provisions dans l'attente du grand chaos social qui, selon eux, devrait bientôt frapper l'Amérique ! Un manuel de survie en cas de chaos social a même été publié et a connu un certain succès », précise M. Giband.

Liberté
Malgré ces menaces réelles, Mark Potok estime que le premier amendement de la Constitution américaine interdit au gouvernement de bannir ces partis et ces groupes radicaux, aussi haineux et extrémistes soient leurs discours. « Il est difficile aux États-Unis de prendre des mesures contre de tels mouvements. D'abord, parce que la Constitution garantit la liberté d'expression, même la plus délirante. Ensuite, la plupart des États (notamment au Sud et à l'Ouest) disposent de législations très favorables au port des armes à feu, même de guerre », ajoute David Giband. Par ailleurs, politiquement, « souvenons-nous de l'épisode sanglant de Waco, toute intervention fédérale pouvant avoir des effets catastrophiques. L'administration Obama, très soucieuse de son image, n'a pas envie de répéter l'épisode de Waco », affirme-t-il.
Il ne faut pas, par ailleurs, oublier les causes historiques inhérentes à la culture et à la société américaines, à savoir l'aptitude à la rébellion et à l'organisation en groupes communautaires indépendants et soucieux de « leurs libertés ». Enfin, précisons aussi que les États-Unis restent un pays très étendu à la faible tradition centralisatrice, ce qui explique l'essaimage de groupes locaux peu fédérés entre eux.
Le débat autour de la réforme du système de santé aux États-Unis et le vote historique d'une nouvelle loi sur l'assurance-maladie ont mis en relief dernièrement l'existence et l'action de groupes radicaux tournant autour du mouvement américain appelé « Tea Party ». Ce dernier est né au début de 2009, mais...

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