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Dossier Amériques - États-Unis

Scandale autour de la CIA : vers une refonte du renseignement US ?

Depuis l'arrivée au pouvoir de Barack Obama, le temps a viré à l'orage pour la CIA, placée sur le banc des accusés pour son recours à la torture. Alors qu'une enquête vient d'être ouverte, quelles seront les conséquences de ce grand déballage sur le renseignement américain?
Novembre 2001. Moins d'un mois après les attentats du 11 septembre, plusieurs personnes sont arrêtées à travers le monde dans le cadre d'une enquête menée par le Bureau fédéral d'investigation (FBI). 24 août 2009. Un rapport de l'inspecteur général de la CIA, datant de 2004, est publié. Le monde découvre le programme d'interrogatoires secrets du renseignement américain sous la présidence de George W. Bush. Menaces physiques, pastiches d'exécutions sommaires, étranglement jusqu'à l'évanouissement, corps frottés à la brosse dure, simulation de noyade... Pour faire avouer les suspects, les agents de la CIA n'y sont pas allés de main morte.
Dans le monde obscur du renseignement, y compris occidental, la CIA fait-elle figure d'exception ? « Par rapport aux autres démocraties occidentales, les abus de la CIA sont inqualifiables. Il y a une distinction très nette entre le renseignement sous George W. Bush et le renseignement des pays européens notamment », affirme Barthélémy Courmont, titulaire par intérim de la chaire Raoul-Dandurand à l'Université du Québec. Un point de vue partagé par Jean-Luc Marret, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique. « Les pratiques de la CIA sont plutôt exceptionnelles dans les pays démocratiques, où un État de droit et des contre-pouvoirs judiciaires forts existent. Dans ces États, beaucoup de policiers considèrent que la torture ne produit que de faux aveux sans  valeur », explique-t-il. « Je me souviens de ces débats aux États-Unis vers 2003-2004 au cours desquels l'on se demandait si "la torture peut permettre d'échapper à un attentat"... C'est un débat ancien. Il apparaît désormais qu'un des prisonniers vedettes des Américains, Khaled Cheikh Mohammad, a donné sous la contrainte des informations souvent fausses », ajoute M. Marret. Khaled Cheikh Mohammad a été l'un de ces « détenus fantômes » que la CIA maintenait au secret dans son réseau de prisons secrètes hors des États-Unis afin de les soustraire au système judiciaire américain, avant d'être transféré à Guantanamo et d'être entendant, en 2007, devant une commission militaire. Audition au cours de laquelle Khaled Cheikh Mohammad a avoué beaucoup de choses, mais la  crédibilité de ses aveux est fortement mise en doute puisqu'ils ont été obtenus sous la torture, comme l'a reconnu le directeur de la CIA, Michael Hayden.
Si la pratique de la torture est, comme le soulignent les deux experts, plutôt répandue dans les régimes totalitaires, comment expliquer qu'un pays comme les États-Unis ait eu recours à ce genre de méthodes ? Pour Barthélémy Courmont, « le contexte post-11-Septembre a été propice au durcissement des méthodes du renseignement américain. Il y a eu beaucoup d'abus, notamment à Guantanamo ainsi qu'à Abou Ghraib. Aujourd'hui, la publication de ce rapport est une preuve que ces méthodes ont été institutionnalisées ». « C'est une sorte de réflexe compulsif adapté, malgré les traditions libérales des États-Unis, après un gigantesque attentat », ajoute Jean-Luc Marret.
 
Des poursuites judiciaires ?
Suite à la publication du rapport de la CIA, l'Attorney général (secrétaire à la Justice), Eric Holder, a annoncé la nomination d'un procureur pour enquêter sur les méthodes violentes utilisées par la CIA dans le cadre des interrogatoires antiterroristes. L'enquête préliminaire sera confiée à John Durham, un procureur déjà nommé par son prédécesseur en 2008, pour enquêter sur la destruction par la CIA de 92 vidéos d'interrogatoires.
« Un rapport de ce type présenté à l'Exécutif comme au Congrès va engendrer des enquêtes sur certains membres de la CIA. Il est quasi certain que d'ici à quelque temps, il y aura des mises en examen, voire des inculpations d'agents, visant la responsabilité personnelle des uns et des autres », affirme M. Courmont. « La prison pourrait être une conséquence de cette enquête, explique pour sa part M. Marret. Le paradoxe est que les personnes qui ont commis ce type d'action agissaient sur ordre, et cela n'a pas toujours été humainement facile pour eux », ajoute le spécialiste.
 
Conséquences sur de hauts responsables ?
L'enquête demandée par le secrétaire à la Justice pourrait-elle également viser de hauts responsables de l'administration Bush ? « D'un point de vue général, c'est la direction de la CIA et celle de l'administration Bush qui sont visées par cette enquête. Mais on ne va sûrement pas assister à un procès de George W. Bush. Ce sont plutôt des personnalités de second plan qui seront inculpées », estime M. Courmont. « En ce qui concerne les hauts responsables de l'administration Bush, cette enquête va plutôt porter atteinte à leur crédibilité. Concernant George W. Bush lui-même, vu qu'il n'est plus concerné par la politique, le problème ne se pose pas vraiment. La situation est différente en ce qui concerne Dick Cheney, l'ancien vice-président, puisqu'il est toujours actif, ayant notamment comme projet de rebâtir le conservatisme américain. Or, ce rapport le décrédibilise fortement. Il suffit de se rappeler ses prises de position de l'époque, où il défendait les méthodes utilisées par les services de renseignements », poursuit le spécialiste.
Pour M. Marret, le problème se situe ailleurs et concerne Barack Obama. « Dans cette histoire, c'est l'administration Obama qui court un risque, celui d'être accusée d'avoir baissé la garde si un attentat survient sur le sol américain ou contre des intérêts américains à l'étranger. Je pense qu'Obama peut jouer sa postérité sur cette question », soutient Jean-Luc Marret.
 
Réforme
Suite à toute cette affaire, Barack Obama a approuvé la création d'une nouvelle unité d'élite, High Value Detainee Interrogation Group (HIG) dépendante de la Maison-Blanche, chargée des interrogatoires des  suspects de terrorisme. Cette unité d'élite sera basée dans les locaux du FBI, mais sera supervisée par le Conseil de sécurité nationale, donc par la Maison-Blanche, retirant certains pouvoirs en la matière à la CIA.
Le HIG devrait, selon la presse américaine, être tenu de rester dans les limites établies par le manuel de terrain de l'armée de terre américaine, qui interdit la torture, mais aussi ce qui peut s'en rapprocher, comme les privations de sommeil, l'exposition à des températures extrêmes ou à de la musique très forte pendant des heures, ou encore l'exposition à des insectes ou des chiens.
« La création de cette unité d'élite pourrait avoir pour effet de modifier l'aspect des interrogatoires. On assiste aux États-Unis depuis le 11 septembre 2001 à un amalgame entre les personnes soupçonnées de terrorisme et les combattants militaires (notamment en Irak et en Afghanistan). Le président américain veut faire cette distinction, il y a une réelle volonté de la nouvelle administration de faire la différence entre antiterrorisme et contre-terrorisme », souligne M. Courmont. La formation du HIG « est l'indice que l'administration Obama se méfie un peu de ses services et qu'elle veut faire adopter des normes qu'elle impose depuis l'extérieur », estime pour sa part M. Marret.
De manière plus globale, et alors que les États-Unis sont dans une période transitoire dans plusieurs domaines, que ce soit en politique intérieure, étrangère ou économique, l'antiterrorisme américain devrait faire l'objet d'une refonte, estime le spécialiste. « Washington a engagé des réformes sur de nombreux points, sur une base quadriannuelle, dont les premières décisions vont sortir à la fin de cette année. Dès à présent, il semble que les fameux seuils d'alerte terroriste par couleur vont être supprimés ou modifiés », explique M. Marret. Ce système d'alerte par couleur, mis en place par le secrétaire à la Sécurité intérieure à l'époque de Tom Ridge (2001-2005), était « aussi utilisé par l'administration Bush pour faire peur à la population dans le but de rassembler les Américains autour de George W. Bush. C'était devenu un réel marketing politique », affirme-t-il.
Pour M. Courmont, « grâce à la mise en place de cette nouvelle unité, on devrait assister à une remise à plat des services de renseignements américains. En fait, c'est cyclique : après les événements du 11 septembre, le durcissement des méthodes étaient déjà considérés comme une refonte du système. À l'époque, l'opinion publique en avait beaucoup voulu aux services de renseignements de ne pas avoir pu anticiper les attentats. Aujourd'hui, Barack Obama veut refermer cette parenthèse et donner des responsabilités plus contrôlées à ses agents ». Alors que du temps de l'aministration Bush, « les hautes sphères prenaient des décisions « secrètes » et, une fois la chose faite, en informaient le public, aujourd'hui, il y a une réelle volonté de transparence de la part du nouveau locataire de la Maison-Blanche », conclut M. Courmont.
Novembre 2001. Moins d'un mois après les attentats du 11 septembre, plusieurs personnes sont arrêtées à travers le monde dans le cadre d'une enquête menée par le Bureau fédéral d'investigation (FBI). 24 août 2009. Un rapport de l'inspecteur général de la CIA, datant de 2004, est publié. Le monde découvre le...

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