Que disait le quotidien ? Que le plan, baptisé « Balyoz » (marteau de forge), remonte à ... 2003, qu'il prévoyait d'abattre un avion turc au-dessus de la mer Égée et d'en rejeter la responsabilité sur la chasse grecque en vue de créer un casus belli, de placer des bombes dans des mosquées pour fomenter le chaos et justifier un putsch. Absurde, a aussitôt rétorqué l'état-major, il s'agissait d'un jeu de stratégie comme il en existe dans toutes les armées du monde et l'ère des coups d'État est bel et bien révolue. Un « wargame » qui tenait tout de même, il importe de le relever, en 5 000 pages. Il reste que le dernier et quatrième pronunciamiento en un demi-siècle date de 1997 ; il était dirigé contre le gouvernement de Neçmettin Erbakan, prédécesseur et inspirateur de l'actuel Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan. Il est vrai aussi que, depuis, les deux camps s'observent, se jaugent et ne manquent pas une occasion de tenter, chacun, de rogner les ailes de l'autre, comme en témoigne l'incident de la faculté de médecine militaire Gülhane, quand l'épouse du chef du gouvernement, Emine, avait été interdite d'accès pour port de foulard islamique. Signe que, non décidément, c'est loin d'être la lune de miel : survenu en 2007, l'affaire a été révélée par Erdogan le mois dernier seulement.
Pour les uns, il est clair qu'en déclenchant sa nouvelle offensive judiciaire, le pouvoir vise deux objectifs : franchir un palier, encore un, dans la limitation des prérogatives des militaires et prouver à l'Union européenne que c'est là une avancée supplémentaire sur la voie démocratique. Pour l'instant, on en est loin. À en croire certains « turcologues », les TSK demeurent auréolés d'une incontestable respectabilité, même si, au niveau de la rue, le principe de la laïcité qui leur est cher est en train de perdre pas mal de son lustre. De plus, en cherchant à bien faire, la justice en a fait trop, étendant le champ des arrestations pour englober des opposants à ce qu'ils qualifient d'islamisation de la Turquie. « Revanche politique », a jugé leur chef, Deniz Baykal, qui s'est gaussé de cette rafle parmi des ex-généraux « assis en pyjama et pantoufles devant la télévision ». Devlet Bahçeli, leader du Milliyetçi Hareket Partisi (MHP, Parti du mouvement nationaliste - opposition), a été plus sévère encore en accusant Ankara d'agir « avec haine ». D'autres encore parlent d'une véritable chasse aux sorcières, d'une politisation du système judiciaire, d'un affaiblissement de la Constitution, prélude à son amendement. Quant au général Ilker Basbug, il lui est déjà arrivé - impensable il y a quelque temps à peine - de rappeler : « Nous enseignons à nos soldats d'aller au front en scandant «Allah, Allah». Alors nous accuser de vouloir bombarder des mosquées... »
Le régime ne veut surtout pas avouer être gêné aux entournures car n'ayant pas de substitut possible à Basbug, un homme considéré, dans les circonstances présentes, comme « un moindre mal », en tout cas un mal que l'on connaît. Sa réaction a été jugée modérée : il a réuni ses adjoints pour un examen de la situation, qualifiée de sérieuse, sans autre précision - une façon de rassurer les siens sans pour autant inquiéter les autorités. Ce faisant, il joue sur du velours, d'autant plus que la Commission européenne - dont les réactions sont guettées du coin de l'œil à Ankara - s'est déclarée « très préoccupée » et a demandé une enquête exemplaire, tandis que Washington réclamait de la transparence.
Alors quatre jours pour transformer de simples détentions en arrestations, selon la loi, c'est un peu court. Cela peut aussi être lourd de menaces.