En 1519, Herman Cortés débarque sur le rivage amérindien. Une « découverte » qui va révolutionner l'humanité... et le monde des tailleurs, teinturiers européens, et de leurs opulents clients. Parmi les inimaginables richesses de l'Empire aztèque figurent en effet des étoffes à la palette de couleurs sans égale. Dont un rouge écarlate issu de l'élevage délicat d'un insecte : la cochenille, parasite d'un cactus, le nopal, mieux connu comme « figuier de Barbarie ». Pas n'importe quelle cochenille, mais le « Dactylopius coccus » né de la domestication, de la sélection effectuée par les éleveurs Mixtèques, et donc unique au monde. En 1523, le premier chargement de cochenilles arrive à bon port, à Séville, sous forme de matière première desséchée, appelée « grana », graine, appellation ambiguë. S'ouvrent ainsi trois siècles de monopole espagnol sur le rouge cochenille. Traitée par les teinturiers européens, la cochenille-base se vend à prix d'or. Dix fois plus puissante que les autres sources écarlates, la « grana » permet en effet d'atteindre un idéal esthétique et commercial : le « rouge parfait », apprécié en particulier par les peintres. C'est un des produits les plus rentables des colonies impériales. On en exporte 87 tonnes par an, dont un pourcentage variable parvient à la Couronne espagnole. L'avidité des puissances rivales est grande, et corsaires, pirates prélèvent en effet un lourd tribut sur les chargements des galions (en plus de l'or, du cacao, du tabac, et ainsi de suite). Anglais, Hollandais et Français tentent sans succès de percer le mystère de la cochenille. Est-ce un végétal, d'ailleurs, ou un insecte ? Le secret espagnol est bien gardé. Au XVIIIe, l'aventurier français Thierry de Ménonville parvient à ramener une modeste cargaison de cochenilles et de nopals à Port-au-Prince, au terme d'une mission mexicaine digne du meilleur John Le Carré. Échec de l'élevage, hélas. Même sort pour les précieuses cochenilles ramenées à grands frais par la Royal Society londonienne : elles sont minutieusement éliminées des plants de cactus par un chef jardinier ennemi des parasites ! La Compagnie des Indes lance alors son élevage de cochenilles sauvages mexicaines près de Madras, mais leur rendement est médiocre. Ce secret si lucratif fut brisé à la fin de l'Empire espagnol, en 1821. Les cochenilles riches en colorant se répandirent alors au Guatemala, en Espagne, en Sardaigne, en Corse, puis, plus tard, aux Canaries. Parallèlement, le cours de la cochenille s'effondrait, la production mondiale atteignant les 900 000 livres à son apogée, en 1839. Ruinés, les producteurs mexicains devinrent ouvriers agricoles, mineurs, pour des salaires de misère. C'est la chimie moderne qui mit fin à la production de cochenilles. D'un dérivé du goudron, l'Anglais Perkin tira la toluidine, ou « mauve de Perkin ». Cette teinte fut adoptée et mise à la mode par l'impératrice Eugénie et la reine Victoria. Au rouge « cochenille » furent substitués les synthétiques magenta et solférino (noms de batailles successives particulièrement sanglantes qui, d'ailleurs, donnèrent naissance à la Croix-Rouge). Quant au rouge, il demeura réservé aux fonctions officielles et aux militaires, aux femmes de l'aristocratie, aux grandes bourgeoises et autres mondaines jusqu'à sa totale démocratisation... Et comme c'est la Saint-Valentin demain, le rouge, couleur de l'amour et de la passion, se fait omniprésent durant cette période de l'année, se déclinant sous toutes les formes appelant les couples étouffés par la routine, à raviver la flamme de leurs cœurs. Bonne fête !
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Je vois rouge…
OLJ / Par Marise KASSAB, le 12 février 2010 à 23h02
En 1519, Herman Cortés débarque sur le rivage amérindien. Une « découverte » qui va révolutionner l'humanité... et le monde des tailleurs, teinturiers européens, et de leurs opulents clients. Parmi les inimaginables richesses de l'Empire aztèque figurent en effet des étoffes à la palette de couleurs sans égale. Dont un rouge écarlate issu de l'élevage délicat d'un insecte : la cochenille, parasite d'un cactus, le nopal, mieux connu comme « figuier de Barbarie ». Pas n'importe quelle cochenille, mais le « Dactylopius coccus » né de la domestication, de la sélection effectuée par les éleveurs Mixtèques, et donc unique au monde. En 1523, le premier chargement de cochenilles arrive à bon port, à Séville, sous forme de matière première desséchée, appelée « grana », graine, appellation ambiguë. S'ouvrent ainsi trois siècles de monopole espagnol sur le rouge cochenille. Traitée par les teinturiers européens, la cochenille-base se vend à prix d'or. Dix fois plus puissante que les autres sources écarlates, la « grana » permet en effet d'atteindre un idéal esthétique et commercial : le « rouge parfait », apprécié en particulier par les peintres. C'est un des produits les plus rentables des colonies impériales. On en exporte 87 tonnes par an, dont un pourcentage variable parvient à la Couronne espagnole. L'avidité des puissances rivales est grande, et corsaires, pirates prélèvent en effet un lourd tribut sur les chargements des galions (en plus de l'or, du cacao, du tabac, et ainsi de suite). Anglais, Hollandais et Français tentent sans succès de percer le mystère de la cochenille. Est-ce un végétal, d'ailleurs, ou un insecte ? Le secret espagnol est bien gardé. Au XVIIIe, l'aventurier français Thierry de Ménonville parvient à ramener une modeste cargaison de cochenilles et de nopals à Port-au-Prince, au terme d'une mission mexicaine digne du meilleur John Le Carré. Échec de l'élevage, hélas. Même sort pour les précieuses cochenilles ramenées à grands frais par la Royal Society londonienne : elles sont minutieusement éliminées des plants de cactus par un chef jardinier ennemi des parasites ! La Compagnie des Indes lance alors son élevage de cochenilles sauvages mexicaines près de Madras, mais leur rendement est médiocre. Ce secret si lucratif fut brisé à la fin de l'Empire espagnol, en 1821. Les cochenilles riches en colorant se répandirent alors au Guatemala, en Espagne, en Sardaigne, en Corse, puis, plus tard, aux Canaries. Parallèlement, le cours de la cochenille s'effondrait, la production mondiale atteignant les 900 000 livres à son apogée, en 1839. Ruinés, les producteurs mexicains devinrent ouvriers agricoles, mineurs, pour des salaires de misère. C'est la chimie moderne qui mit fin à la production de cochenilles. D'un dérivé du goudron, l'Anglais Perkin tira la toluidine, ou « mauve de Perkin ». Cette teinte fut adoptée et mise à la mode par l'impératrice Eugénie et la reine Victoria. Au rouge « cochenille » furent substitués les synthétiques magenta et solférino (noms de batailles successives particulièrement sanglantes qui, d'ailleurs, donnèrent naissance à la Croix-Rouge). Quant au rouge, il demeura réservé aux fonctions officielles et aux militaires, aux femmes de l'aristocratie, aux grandes bourgeoises et autres mondaines jusqu'à sa totale démocratisation... Et comme c'est la Saint-Valentin demain, le rouge, couleur de l'amour et de la passion, se fait omniprésent durant cette période de l'année, se déclinant sous toutes les formes appelant les couples étouffés par la routine, à raviver la flamme de leurs cœurs. Bonne fête !
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