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Santé

Du médicament aux maladies imaginaires

Par Silvio GARATTINI

Silvio Garattini est le directeur de l’Institut Mario Negri pour la recherche pharmaceutique à Milan.

Au vu de l'attention que les officiels et les médias portent au trafic des drogues illicites dans le monde, le public est, au mieux, vaguement conscient des graves problèmes touchant la production, les essais et la vente des produits légaux : les médicaments que nous utilisons pour tout traiter ou soigner, du sida à la fièvre jaune.
L'élaboration de nouveaux médicaments est un procédé long et compliqué. Il commence par une idée, dont la naissance requiert un large éventail de compétences : la synthèse ou l'extraction de molécules plus ou moins complexes, la preuve de leurs effets thérapeutiques sur des cultures cellulaires ou les animaux, des essais de toxicité et des études cliniques.
Beaucoup de médicaments ne vont pas au-delà et ceux qui ont réussi les tests doivent surmonter un obstacle supplémentaire : l'approbation réglementaire. Puis, une fois sur le marché, tout médicament doit être suivi de près, car plusieurs effets indésirables ne sont détectés que sur un grand nombre de patients, après des années d'usage.
Le marché comporte aujourd'hui quelques milliers de médicaments, d'une valeur d'environ trois milliards de dollars, à travers le monde. Mais les conditions de ce marché sont loin d'être optimales. Dans l'idéal, les médicaments devraient présenter un ratio risques/bénéfices positif. Par rapport aux autres médicaments de même type, les nouveautés devraient être sélectionnées sur la base de leur sécurité, de leur efficacité et de leur coût. Or le procédé tend à être déformé par des intérêts qui génèrent une tendance à surestimer les avantages des nouveaux médicaments, à sous-estimer les risques et surtout à faire exploser les prescriptions.
Mais comment agir ? Tout d'abord, les nouveaux médicaments devraient toujours présenter une valeur ajoutée - meilleure efficacité, toxicité amoindrie ou traitement plus simple. Malheureusement, cela n'est pas requis par la législation en cours en Europe, où seules la qualité, l'efficacité et la sécurité doivent être prouvées, sans recourir à des études comparatives. Le risque demeure donc que certains produits soient pires que ceux déjà sur le marché.
Les nouveaux médicaments sont souvent testés et comparés à des placebos ou des médicaments non représentatifs du meilleur traitement disponible, le but étant de démonter qu'ils ne sont pas inférieurs à ce qui existe déjà. L'on se demande alors s'il est éthique de tester la « non-infériorité » d'un médicament, puisque les patients sont exposés à des risques potentiels lorsqu'ils contribuent, au mieux, à l'élaboration d'un médicament qui n'est pas meilleur que ceux déjà disponibles. Les informations fournies aux patients pour obtenir leur consentement n'indiquent pas clairement qu'il s'agit d'un essai de non-infériorité. En outre, le manque de valeur ajoutée montre que, dans de nombreux cas, de nouveaux médicaments sont créés à des fins commerciales et non dans le but de satisfaire les patients.
Aussi, les organes réglementaires doivent être plus transparents quant à l'amélioration de l'élaboration des médicaments. À présent, le créateur d'un nouveau médicament prépare l'ensemble du dossier qui sera soumis aux autorités réglementaires pour approbation. Dans l'intérêt du public, au moins l'un des essais cliniques devrait être mené par une organisation indépendante à but non lucratif. En outre, seuls les régulateurs peuvent analyser les dossiers, qui sont hautement confidentiels. Il est inacceptable que les patients qui prennent part volontairement aux essais cliniques, ainsi que leurs représentants, n'aient pas le droit de consulter des données qui ne sauraient exister sans eux.
Enfin, une amélioration des conditions de l'approbation des nouveaux médicaments devrait s'accompagner d'une meilleure utilisation de ceux-ci, avec des médecins mieux renseignés. À l'heure actuelle, les renseignements fournis par les producteurs prévalent largement sur toute autre information de source indépendante. Certains médicaments sont, par conséquent, utilisés de manière bien plus fréquente que ce à quoi l'on s'attendrait, au vu des indications d'usage approuvées. Cet usage surnommé « sans étiquette » est entretenu par une propagande continue visant non seulement les médecins, mais aussi adressée directement au public.
La présence directe, mais confuse, de renseignements tend à générer « une propagande de la maladie » - la création de maladies afin d'augmenter le volume des ordonnances. Par exemple, le concept de « pré-hypertension » permet d'élargir de manière spectaculaire l'utilisation de médicaments contre l'hypertension, puisque la pression sanguine augmente avec l'âge chez tout le monde. De même, la notion que la présence de cholestérol dans le sang devrait être aussi basse que possible ouvre une voie pour traiter les gens bien portants avec des agents anticholestérolémiants. Il est évident que les autorités sanitaires doivent contrôler l'information de bien plus près en s'attachant de manière responsable à la formation continue des praticiens.
Si les conditions d'approbation des médicaments se font plus strictes, tout comme le marketing, les sociétés pharmaceutiques seront obligées de produire moins de doublons et plus de produits d'importance clinique. La longévité des médicaments sur le marché et l'allongement de la validité des brevets pourraient compenser le besoin de périodes de test plus longues et de ressources supplémentaires.
Enfin, il faut réussir à encourager les sociétés pharmaceutiques, par le biais de mesures incitatives, à élaborer des médicaments qui satisfont aux besoins des patients en attente de thérapie. Plus de 6 000 maladies rares et négligées - notamment dans les pays en développement - sont sans remède. Le défi est de savoir comment produire de nouveaux médicaments peu prometteurs en termes de rendement, puisque les patients sont trop peu nombreux ou trop pauvres.
Un partenariat entre gouvernements, instituts de recherche à but non lucratif, œuvres caritatives et sociétés pharmaceutiques pourrait être la clé d'un nouveau processus d'approbation plus transparent. Si le public en prend conscience et exhorte les responsables politiques à trouver une solution efficace, il sera alors possible d'obtenir de meilleurs médicaments et de mieux les utiliser.

© Project Syndicate. Traduit de l'anglais par Aude Fondard.
Au vu de l'attention que les officiels et les médias portent au trafic des drogues illicites dans le monde, le public est, au mieux, vaguement conscient des graves problèmes touchant la production, les essais et la vente des produits légaux : les médicaments que nous utilisons pour tout traiter ou soigner, du sida à la fièvre...

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