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Culture - Rencontres littéraires

Olivier Rolin et Eduardo Mendoza: œil de tigre et regard désabusé…

Olivier Rolin et Eduardo Mendoza. Deux écrivains « arpenteurs des villes » invités aux Rencontres littéraires internationales de l'USJ. Portraits croisés*.

Olivier Rolin: «Il n’y a rien que je déteste comme le mot “racines”.»                 (Michel Sayegh)

Le premier sillonne les villes du monde. Le second explore sa ville natale, Barcelone. Tous deux se rejoignent dans l'intérêt qu'ils portent à la marche du monde. Et qui transparaît dans leurs œuvres romanesques.
Plus arpenteur du monde qu'arpenteur des villes, Olivier Rolin est cet auteur qui, de Port Soudan à la Terre de feu (dans son dernier roman Un chasseur de lions qui raconte l'histoire d'un aventurier français, trafiquant d'armes du XIXe siècle), en passant par Tigre en papier, entraîne le lecteur à sa suite dans une passionnante exploration du monde, de ses grands mouvements et, en particulier, de celui du temps.
L'invention du monde, son roman le plus ambitieux, est aussi le plus emblématique de sa démarche d'écrivain. S'inspirant de faits divers qu'il a glanés dans les quotidiens du même jour d'une centaine de pays, il compose une histoire qui «essaye de donner une image en simultanée» du monde contemporain.
Suite à l'hôtel Crystal, par contre, s'inspire d'une démarche plus individualiste. Celle de contrecarrer la fuite de la mémoire - «cette obsession qui me poursuit depuis mes débuts dans l'écriture», confie-t-il - par la description des chambres d'hôtel (dont une à Beyrouth) où il a dormi au cours de ses nombreux voyages. De ses déplacements de reporter notamment. Car cet auteur, qui réfute avec virulence l'étiquette d'écrivain voyageur, n'en nourrit pas moins ses romans de l'expérience du terrain acquise au cours de ses reportages de guerre en Afghanistan et au Liban, ou de crises politiques en Pologne ou dans l'Argentine des généraux.
Enfant, Olivier Rolin s'imaginait «marin, puis archéologue, mais pas écrivain», affirme-t-il. Après une jeunesse engagée dans la gauche prolétarienne, il se met à l'écriture «pour essayer de comprendre où (il) en était» et ce qu'il voulait garder ou abandonner de sa vie de militant. «J'ai commencé à écrire parce que j'étais perdu», dit-il. Il a poursuivi pour consigner ses découvertes des villes du monde. Une manière sans doute de combattre l'uniformisation de la planète, en apportant le témoignage que «le monde reste extraordinairement divers et que ceux qui pensent que Beyrouth, Bombay, Paris ou New York sont pareils se trompent». C'est sans doute de ses rêves de jeunesse qu'émane cette dimension archéologique et exploratoire du monde dans sa littérature. Explorateur de l'ailleurs, Olivier Rolin se défend pourtant de toute «pulsion exotisante», dit-il. «Mais il n'y a rien que je déteste comme le mot "racines"», affirme cet auteur français, qui cite à foison Borges (grand voyageur et habitant de chambres d'hôtel lui aussi) et... Mendoza (dont il a traduit La ville des prodiges).

Barcelone, ville des prodiges
Les racines, Eduardo Mendoza, l'un des chefs de file des romanciers espagnols de sa génération, en a fait le terreau fertile de son œuvre romanesque. En fait de racines, il s'agit ici d'un attachement - non dénué de dérision et de lucidité - à sa ville natale, Barcelone.
Personnage à part entière, sinon central, de la quasi-totalité de ses romans, la capitale catalane y est dépeinte dans La ville des prodiges, L'Artiste des dames, La Vérité sur le cas Savoltase ou encore Mauricio ou les élections sentimentales, à travers des épisodes de son histoire contemporaine.
S'il n'arpente en littérature que sa ville natale, Mendoza n'est pas pour autant un écrivain sédentaire. C'est après avoir «beaucoup voyagé et vécu notamment, pendant de nombreuses années, à New York», où il a été, entre autres, traducteur auprès de l'ONU, qu'il est retourné à Barcelone, «en pleine ère de changements, mais baignant encore dans une période pessimiste et de désillusions». Cette longue absence lui a donné, dit-il, « la possibilité de revenir dans ma ville natale avec le regard d'un étranger, mais un étranger
habitué».
C'est en rédigeant La ville des prodiges qu'il a réalisé l'ampleur de son intérêt pour Barcelone. «J'ai commencé à écrire l'histoire d'un personnage, dont la vie dressait un parallèle avec l'histoire de la ville. Mais au fur et à mesure de l'écriture, j'ai découvert que c'est la "vie" de la ville qui m'intéressait plus que celle du personnage.»
Cet ancien avocat fera dès lors de sa ville le cadre et la matière de son univers romanesque. «Je m'intéresse à ces villes de dimension moyenne, celles qui ordinairement ne sont pas de grands protagonistes de l'histoire, celles qui ne font pas partie des capitales de décision, mais qui peuvent avoir néanmoins une histoire très intéressante.» Barcelone, qui en est l'exemple qu'il connaît le mieux, sera représentative dans son œuvre des répercussions de l'histoire sur ces villes, dont il s'amuse à démonter les mécanismes et à dépeindre les archaïsmes et les complicités politico-
financières.
D'une écriture souvent caustique, mais également mâtinée de mélancolie, Eduardo Mendoza brosse ainsi, de manière récurrente, des fresques - périodiques - de Barcelone. Les aventures de son (anti)héros dans La ville des prodiges ont lieu à la fin du XIXe siècle, dans une cité qui s'apprête à recevoir sa première exposition universelle.
L'intrigue policière de La Vérité sur le cas Savoltase se passe dans les années vingt. À signaler que ce roman, paru en 1975, avait été censuré par le régime de Franco.
Tandis que Mauricio ou les élections sentimentales, son dernier livre traduit (sorti en 2007), dresse, à travers le récit d'un homme hésitant entre deux femmes absolument opposées, le tableau politique et social de l'Espagne des années 80, dans la période désenchantée de l'après-transition. Une période charnière pour Barcelone qui espère, alors, sa nomination comme capitale organisatrice des Jeux olympiques d'été de 1992, et qui servira de cadre politique et social à la description, une fois de plus, par cet écrivain, des jeux du pouvoir et de la corruption. Des faits et des personnages qui ne sont pas réels, mais qui ont l'étoffe du réel. Et de l'humain universel. D'ailleurs, certains passages de ce dernier roman vous renvoient inexorablement à Beyrouth, aujourd'hui.
Malgré des styles et des univers différents, Mendoza et Rolin sont en fin de compte tous deux des écrivains qui donnent à leurs lecteurs des nouvelles du monde. Sans doute aussi de leur place dans le monde.

* Ces portraits ont été élaborés à partir d'une causerie d'Olivier Rolin et d'une interview express d'Eduardo Mendoza, dans le cadre des rencontres d'écrivains internationaux de l'USJ.
Le premier sillonne les villes du monde. Le second explore sa ville natale, Barcelone. Tous deux se rejoignent dans l'intérêt qu'ils portent à la marche du monde. Et qui transparaît dans leurs œuvres romanesques. Plus arpenteur du monde qu'arpenteur des villes, Olivier Rolin est cet auteur qui, de Port Soudan à la Terre de feu (dans son dernier...

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