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Culture - Exposition

Yvette Achkar et François Sargologo, la filiation en peinture…

Une mère, Yvette Achkar, l'une des plus puissantes palettes libanaises, et son fils, François Sargologo, plasticien se voulant au plus près du minimalisme, exposent, côte à côte, une vingtaine d'œuvres aux cimaises de la Galerie Janine Rubeiz à Raouché.

Yvette Achkar et François Sargologo, un lien de filiation picturale. (Michel Sayegh)

Coup de pinceau saisissant et tracé en touches fines pour entretenir certes un lien de filiation picturale, mais aussi un lien entre Beyrouth et ses enfants...
Elles respirent et vibrent sur les murs ces vingt toiles d'inspirations diverses, mais puisant communément leurs racines dans l'abstraction la plus totale et la plus dépouillée, sans que leur monde (différence de génération, de style, d'expression) s'entrechoque, détonne, se fuit ou fusionne. Univers silencieux qui fait miroiter pour l'un des couleurs magnifiques dans leur fastueuse parcimonie, et pour l'autre des lignes savamment cassées sur fond blanc et noir comme un air de jazz qui s'effiloche dans la nuit...
Yvette Achkar, aujourd'hui d'un âge vénérable et l'une des doyennes de la peinture libanaise, a gardé de son Brésil natal la beauté et l'irisation des couleurs unies et sensuelles qui ont goût d'infini comme des plages au bleu turquoise palpitant ou des ocres à consonance d'un désert crissant et lisse...
Neuf toiles après cinq ans d'absence, loin des spots des galeries. Ce n'est pas beaucoup pour une artiste dont l'œuvre est attendue par le public (un public quand même élitiste, parfaitement au haut de la pyramide). Neuf toiles de format plutôt grand pour un parcours où l'image, splendide dans sa solitude abstractive, reste interprétation ouverte et
multiple.
Espace blanc à remplir sans se soucier du regard d'autrui qui, de toute façon, suivra le chemin de l'artiste dans sa démarche péremptoire, impérative. Démarche d'un peintre sans concession qui n'a de tendresse que pour la quintessence, l'essentiel, ce qui va droit au cœur, à la logique et aux sens.
Atmosphère zen, diront certains, viril panache du geste, diront d'autres, éclaboussures maîtrisées avec un art souverain, diront encore d'autres, variations vaguement japonisantes, jugeront les adeptes de la calligraphie asiatique...
De sérénité, de colère, de nervosité, de tension, de toute la force et la poigne de la vie, de tous les sous-bois d'un être aux aguets de ses exigences les moins avouées, cette peinture abstraite aux tonalités étonnamment rayonnantes irradie secrètement, sans points d'appui précis, un certain magnétisme, une sorte d'impulsion électrique. Un lyrisme à la fois ardent et rationnel.
En regardant les toiles de sa mère, François Sargologo, avec une sorte de déférence, fait la réflexion suivante: «Mais où est-elle quand elle peint tout ça? Quand elle est dans son atelier, plus rien n'existe pour elle. C'est une même histoire... Elle travaille avec tout ce qui lui tombe sous la main: pinceaux, couteaux, éponges, balais... Une sacrée évolution.»

Un perpétuel questionnement...
«Ce qui a déclenché ma vocation de peintre, disons plutôt de plasticien? Cela a toujours existé... confie Sargologo en répondant à la question de toute origine de création. Dès six ans, j'ai baigné dans l'odeur de térébenthine lors des soirées chez Chafic Abboud quand ma mère m'y entraînait... »
Placée sous le titre de Devoir de vacance (3) (« Il y aura sans nul doute un numéro 4 », affirme l'artiste), en parlant de vacance au sens non scolaire mais celui de la vacuité, du vide, cette exposition de François Sargologo groupe onze toiles.
Onze toiles où crayon, fusain, acrylique et mixed media expriment le perpétuel questionnement de l'être à travers Beyrouth. Une certaine image de Beyrouth, de toute évidence parcellaire, car chacun en a la sienne...
Se profilent alors des images-hommages à la ville mère (et ce n'est guère gratuite innocence si Sargologo expose pour ce même thème avec sa mère), des images jaillies de l'inconscient d'un «vécu de guerre désastreux où notre jeunesse a été volée», avoue cet artiste multisupports (plasticien, photographe, vidéaste).
Humour noir sous-jacent et en filigrane, poésie d'un tracé subtil, presque délicat (sans parler des titres choisis avec un goût certain pour les mots et le parnasse: L'errance de l'alchimiste, Au-delà de la mer, Le chant d'Elle, Les voies célestes, La conversation des pierres), masses sombres « soulagiennes » avec franges dégoulinantes et petites taches de couleur, ramassées ou en étoiles (orange acide, rouge vibrionnant, noir mortuaire) pour créer une harmonie insolite comme pour faire resurgir des lambeaux et des bribes de souvenirs...
Avec ce désir ferme pourtant d'occulter le passé, tout en formulant, réclamant, déclamant, revendiquant l'identité libanaise...
Pour cette «archéologie de la mémoire» des collages surprenants où la photographie de la façade de la mer de Aïn Mreissé est happée dans un blanc laiteux tandis qu'un lourd aplat d'orange pose un (dés)équilibre improbable... Ou ces graffitis légers flottant sur le papier comme des confettis et qui parlent du Jardin de Doumna sans évoquer ou se rattacher à l'histoire de Julia, l'épouse de l'empereur Septime Sévère... Un minaret qui émerge entre deux ou trois plaques de couleurs évanescentes, ou cet ange innocemment secourable et gracieux qui converse dans et avec les nuages...
Images qui vivent en force dans nos mémoires pourtant tendant vers l'oubli... Images d'un monde intérieur en remous qui n'a pas encore atteint les rives de la paix et qui hantent, par-delà ruines ou fureur de construire et de détruire, avec une véhémence presque obsessionnelle, François Sargologo.

L'exposition se poursuit jusqu'au 28 novembre courant à la Galerie Janine Rubeiz (Raouché).
Coup de pinceau saisissant et tracé en touches fines pour entretenir certes un lien de filiation picturale, mais aussi un lien entre Beyrouth et ses enfants...Elles respirent et vibrent sur les murs ces vingt toiles d'inspirations diverses, mais puisant communément leurs racines dans l'abstraction la plus totale et la plus dépouillée, sans que leur monde...

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