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Culture - Exposition

Le tourisme de guerre selon Randa Mirza

Normalement, et par définition mathématique, deux lignes parallèles ne se rejoignent jamais. Seulement, voilà. Les œuvres de Randa Mirza ne répondent à aucune loi.
Dans ses photographies exposées à la salle de verre du ministère du Tourisme à Hamra, deux mondes antinomiques se trouvent réunis dans un même cadre, sous l'intitulé judicieux d' « Univers parallèles »*.
Dans la « discouraille » politique ambiante, le citoyen libanais lambda se trouve souvent confronté à un choix cornélien. En effet, certains politiciens ont tellement simplifié la donne qu'elle se présente comme suit : d'une part, les partisans de la mort, de l'autre, ceux de la vie. Le Libanais se voit donc invité (harcelé, même) à suivre le camp qui prône la guerre ou bien celui qui glorifie le tourisme.
En observatrice finaude de la société, Randa Mirza, médaille d'or en photographie à la Ve édition des Jeux de la francophonie qui se sont déroulés au Niger, a décidé de réunir ces deux propositions dans un seul et même cliché. Images étonnantes que ces photographies de guerre (dont certaines prises par Ramzi Haïdar, photographe de guerre chevronné) sur lesquelles viennent se superposer des portraits de touristes insouciants et rieurs. Huit œuvres photographiques dans des boîtes lumineuses de 80 cm à 120 cm sont exposées en vitrine. Le passant y jette d'abord un œil blasé, un peu ennuyé à la limite. Mais la plupart du temps, son regard revient invariablement sur les images, interloqué, curieux, étonné, estomaqué même.
« Je crois aux thérapies de choc, lance la jeune photographe autodidacte, qui cite parmi ses influences Martin Parr, apôtre de la photo faussement naïve, mais vraiment corrosive, et Nan Goldin, pour sa franchise brutale, autobiographique. « "Univers parallèles" est un projet que j'avais commencé lors d'une résidence d'artiste à Helsinki au cours de l'été 2006 et qui traite de la guerre, la guerre spectacle médiatisée comme un événement exotique », raconte l'artiste.
Oscillant de manière ambiguë entre fiction et réalité, entre « style documentaire » et photographie d'art, la série de clichés constitue un important addenda à l'œuvre de l'artiste. Images crues, images cruelles. Comme celle, insoutenable, représentant un enfant mort, allongé sur une civière de la Croix-Rouge. Une image dénonciatrice des crimes de guerre et à laquelle Mirza adjoint une autre dimension en y ajoutant son propre portrait, tenant une télécommande pointée vers le spectateur voyeur. La photo a été prise le jour du massacre de Cana. Ce jour-là marquait l'anniversaire de l'artiste. Funeste coïncidence qui a poussé la jeune fille à porter pour sa pose photo, la robe qu'elle devait mettre au mariage de son frère reporté par la guerre de juillet 2006.
Une photo, c'est une structure (comme dans une fugue de Bach) conjuguée au hasard. Une géométrie lumineuse et la vie qu'on attrape au vol. Randa Mirza construit modestement des images porteuses d'histoire(s) et de mystère. Le réel est traficoté. Bouleversé. « Un réel mensonger ou un mensonge réel ? » s'interroge l'artiste qui, face à la pléthore des images de guerre matière première et de choix des journaux télévisés du monde entier, réplique par « un dérèglement de notre univers visuel ». La photographe souhaite « secouer l'image lénifiante reposante confortable » et propose « une image qui dérange ».
« Ainsi, dit-elle, les perspectives vacillent. Le spectateur se trouve soudain projeté au cœur de l'événement, du conflit. »
S'il n'est pas tout à fait nouveau de penser la photographie non plus en tant qu'enregistrement de la réalité, mais comme procédé qui laisse ses marques dans la création et scelle le photographique, s'il n'est pas non plus surprenant de réfléchir la photographie dans la porosité artistique qu'elle entretient avec les autres médiums, il est en revanche intéressant de prendre en compte la notion de contemporain au vu de la photographie dans ce qu'elle bouscule la posture des photographes : posture en tant qu'humain, posture en tant qu'acteur ou spectateur du monde, mais aussi poète ou artiste ? Posture enfin critique et théorique questionnant les notions d'identité, de rapport à l'autre et donc à soi.
Mirza pose aussi le problème de la déontologie du photojournalisme et de la diffusion des photos de guerre. Thème d'autant plus actuel qu'aujourd'hui, les images se transforment, circulent et se diffusent sans que le filtre de la vérification puisse aisément opérer.
Randa Mirza a également obtenu le troisième prix (No Limit) aux Rencontres d'Arles de la photographie pour son exposition « Édifice de la mémoire ». Un travail dans lequel elle propose de revenir sur les lieux de vie, tels des immeubles, marqués par les impacts de balles. « La paix est passée par là, mais la guerre fait toujours trace. Les salles, vidées de toute fonction, sont un entre-deux, propre du no man's land qui ne dit pas tout à fait son nom. » Mirza ajoute encore : « Les années de conflit ne sont plus que trous dans les murs soudés par l'amnésie silencieuse d'un pays qui a décidé de taire ses blessures. »
Abandoned Rooms est une série de vies fragmentées. Un entre-deux, entre la réalité du passage et son indicible disparition. Elle parle du passé au présent, de la présence dans l'absence, de la mort et de la survie, de ce qui s'oublie et de ce qui persiste, de ce qui pourrit et se transforme dans un pays qui flotte dans ses ruines. « J'ai voulu reconstruire une période de l'histoire libanaise, celle qui s'étend du début officiel de la guerre en 1975 jusqu'au retrait récent de l'armée syrienne en 2005. L'histoire du Liban s'arrête dans les livres en 1943. Il n'y a que des initiatives individuelles réalisées par des artistes et des chercheurs pour écrire l'histoire contemporaine du Liban. Je pense que mon travail s'inscrit dans cette lignée », conclut l'artiste.

* Cette exposition se tient jusqu'au 24 octobre. 
Dans ses photographies exposées à la salle de verre du ministère du Tourisme à Hamra, deux mondes antinomiques se trouvent réunis dans un même cadre, sous l'intitulé judicieux d' « Univers parallèles »*. Dans la « discouraille » politique ambiante, le citoyen libanais lambda se...

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