Chanter pour ceux…

Le 18 juillet dernier, Nicolas Sarkozy n'a pas pu cacher son admiration et son enthousiasme lorsque son épouse, Carla Bruni, s'est mise à chanter « Quelqu'un m'a dit », lors du concert organisé à New York, à l'occasion des 91 ans de Nelson Mandela. De sa voix frêle, la Première dame de France, accompagnée de Dave Stewart (ex-Eurythmics), a également interprété un morceau de Bob Dylan. Carla Bruni a donc chanté pour Nelson Mandela et pour son amoureux transi, le président français. Un président conquis, on avait déjà vu ça quand Marylin Monroe entonna son célébrissime « Happy birthday mister president » à son non moins célébrissime amant, JFK. Idem quand notre Haïfa Wehbé, arborant un tee-shirt à l'effigie de notre président Sleiman, chanta pour lui l'année dernière, lors d'un grand concert public. Comme cela doit être grisant de chanter devant un public. Devant un public aimant, reconnaissant, vibrant. Qui applaudit, acclame, hurle. Ces milliers de personnes qui scandent votre nom à l'unisson. Qui pleurent en vous voyant. Il y a de quoi péter une durite, certes, mais cela doit véritablement être fantastique. Et qu'est-ce que cela doit être quand il y a un(e) élu(e) au milieu de tout ce monde, pour qui chante l'artiste. Comme Nicolas Sarkozy qui n'avait d'yeux que pour Carla, laquelle n'avait d'yeux que pour lui. Quelle sublime sensation que de voir quelqu'un qui chante pour vous. Un morceau, un album, une sérénade. Ça n'existe carrément plus ce système de drague. La sérénade au clair de lune sous le  balcon, c'est totalement obsolète aujourd'hui. Voire ringard. Pourtant, il y avait quelque chose de sympathique, de romantique dans le procédé. Mais bon, on ne chante plus pour séduire. Rien d'étonnant finalement quand on réalise aussi qu'on n'écrit plus pour se plaire. Alors une chanson, me direz-vous... Et c'est vrai qu'avec les bruits extérieurs des chantiers, des klaxons, des pots d'échappement, on aurait du mal à se faire entendre. Cela serait extraordinaire de voir quelqu'un s'agenouiller sous le balcon de sa dulcinée (qui habite au 12e étage) pour lui déclarer sa flamme en musique. « Je t'aiiiiiime » Lara Fabian stayyle. Non pas Lara Fabian. Parce que même avec la meilleure volonté du monde, on ne pourrait pas trouver cela séduisant. On penserait tout de suite à un chat qu'on étrangle... On ne chante donc plus pour séduire, à moins de s'appeler Carla, Vanessa ou Jason (Mraz). Pourtant, la plupart d'entre nous adorent pousser la chansonnette. On a tous pris un jour son déodorant pour un micro. On s'est tous laissé emporter par la fièvre du samedi soir sous notre douche. Chantonnant, chantant, voire criant un « Material Girl » madonnesque, le pommeau (éteint bien sûr) dans la main. Évidemment, ce n'est jamais bien agréable de se faire attraper en flagrant délit de fanitude ou devant son miroir, imitant le moonwalk de Michael Jackson, mais bon que celui qui ne s'est jamais pris pour un Elvis Presley déchaîné jette la première pierre à l'apprenti chanteur... Alors voilà, on ne chante plus que pour soi, dans le recoin d'une chambre obscure qu'on imagine tour à tour Wembley ou Bercy. Et parfois, on se laisse aller devant un petit public. Lors d'un mariage, d'une soirée arrosée où un piano vous fait de l'œil et lorsque vos amis vous supplient de chanter pour eux. Et que je t'envoie de l'Édith Piaf, du Brel ou de l'Aznavour. Et ce sont, malheureusement, souvent de tristes chansons que l'on reprend en chœur. Ah ben oui, ce n'est pas « And when the rain begins to fall » de Pia Zadora et Jermaine Jackson que vous entonnerez si on vous demande gentiment de faire entendre votre voix. Ce genre de morceau, il faut laisser ça aux soirées karaoké... Eh oui, c'est que ça marche toujours les karaokés, et pas seulement au Japon. Il y a la version classique où le crétin de service qui chante faux s'entête à reprendre « J'ai encore rêvé d'elle » en duo avec sa compagne, devant un écran où les paroles sont projetées sur un clip ridicule qui montre deux vieux messieurs fans de pêche à la truite ; il y a les version Playstation et autres home contest,  et il y a la version libanaise avec un chanteur un peu plus confirmé, qui appelle les habitués à venir se casser la voix sur une mini-scène, accompagné d'un pianiste et d'un petit cahier où se trouvent les paroles mal écrites de « La bohème » - encore Aznavour. À ce stade là, il vaut mieux se cantonner à sa salle de bains, cela ne dérangera pas grand monde. Ou alors tenter le tout pour le tout et descendre à Gemmayzé ce soir, guitare à la main et chanter « I'm yours » devant le Torino car sa belle est dedans... Why not.