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Les combats de Swat, un défi militaire et humanitaire - Pakistan

Les combats de Swat, un défi militaire et humanitaire

Pour Mariam Abou Zahab, spécialiste du Pakistan, Islamabad doit non seulement mener l'offensive militaire à son terme, mais également s'occuper des réfugiés, sous peine de voir l'opération en cours à Swat se retourner contre l'État.
Fin avril, l'armée pakistanaise lançait l'offensive contre les talibans dans le nord-ouest du pays. Après avoir débuté dans le Lower Dir, l'opération s'est élargie à Buner, puis, début mai, à la vallée de Swat, située à une centaine de kilomètres seulement d'Islamabad. Plusieurs zones de cette vallée, autrefois un haut lieu du tourisme en raison de la beauté du cadre naturel, sont sous le contrôle des talibans depuis des mois. Les trois dernières semaines de combats acharnés ont jeté sur les routes plus d'un million de civils fuyant les exactions des talibans et les bombardements de l'armée pakistanaise.
Le renforcement des talibans pakistanais, notamment dans les zones tribales frontalières de l'Afghanistan, remonte à plusieurs mois déjà. « Pendant longtemps, l'État a laissé faire. Il n'y avait pas de vrai consensus au sein de la population, des partis politiques ou encore de l'armée sur le danger que représentent les mouvements rassemblés sous le nom de taliban », explique Mariam Abou Zahab, chercheur au Ceri-Sciences Po et spécialiste du Pakistan.
La popularité des talibans, dans certaines régions du Pakistan, a notamment des causes sociales, selon Mariam Abou Zahab. « Dans les zones frontières, les pauvres soutiennent les talibans car ces derniers se présentaient comme des "Robin des bois". » À Swat, par exemple, quand l'insurrection a commencé, elle se limitait aux zones rurales au sud de la rivière Swat et ne touchait pas les zones urbaines. Or, ce sont ces zones rurales qui sont le théâtre d'une lutte de classes. À Swat, les talibans ont tué les riches et redistribué leurs terres aux pauvres. Ils se sont emparés des usines d'émeraudes. En contrepartie d'une rétribution, les talibans ont également laissé la mafia du bois locale exploiter illégalement les forêts. Les talibans rendaient aussi une justice plus rapide et plus efficace », explique Mariam Abou Zahab.
Jusqu'à présent, l'État était dans le déni et rejetait cette analyse sociale du conflit. « Aujourd'hui, les responsables politiques pakistanais commencent à reconnaître que cela est une donnée du problème. Le fait d'avoir négligé ces zones a créé une terre fertile pour les talibans », souligne la spécialiste.

L'échec de l'accord de Swat
En février dernier, les autorités pakistanaises et les talibans avaient négocié un accord, un cessez-le-feu contre l'instauration de tribunaux islamiques. Si le monde s'est immédiatement inquiété de ce retour de la charia, pour la population locale, ce point n'était pas essentiel. « Les gens voulaient la charia, notamment car il y avait une quantité de litiges fonciers non résolus », souligne Mme Abou Zahab. « Pour les habitants, la charia n'était pas le problème. Le problème était l'armée, dont ils voulaient le retrait. Quand l'armée pakistanaise intervient, ce sont des bombardements et des massacres », note-t-elle. « Le gouvernement a lancé des attaques indiscriminées et disproportionnées contre les talibans, et ce sont les civils qui ont été les plus touchés », avait d'ailleurs dénoncé, en février dernier, Amnesty International, dans un communiqué faisant référence aux opérations militaires menées avant l'accord de Swat avec les talibans. « Les habitants de Swat voulaient simplement le retour de la paix », souligne Mariam Abou Zahab.
Toutefois, les talibans profitent de l'accord pour renforcer leur légitimité. Ils se réarment et étendent leur occupation territoriale. Les talibans de Swat sont « souvent jeunes, assez mobiles, ce qui n'est pas le cas de tous les talibans pakistanais. On trouve également parmi eux quelques petits délinquants en mal de pouvoir. Les talibans ont, en outre, été soutenus par certains notables, soit par peur, soit pour être utilisés contre un rival, explique Mariam Abou Zahab. Les talibans de Swat sont aussi épaulés par des militants venus d'autres zones tribales, par quelques Ouzbeks et, selon certaines rumeurs, par des talibans afghans ». Swat est, en outre, une région stratégiquement intéressante pour les militants, car elle n'est pas sur la frontière afghane et n'est pas survolée par les drones américains.
Quand, fin avril, les talibans prennent le contrôle de régions proches de la capitale, Islamabad se voit contraint de réagir. D'où l'opération militaire ordonnée début mai.
Opération d'autant plus nécessaire que le Pakistan était sous pression de la part des États-Unis. « Les pressions américaines ne sont pas étrangères au lancement de cette opération militaire », souligne Mme Abou Zahab.
Le 7 mai, le président Asif Ali Zardari était reçu, avec son homologue afghan, Hamid Karzaï, à Washington. Le président se devait de donner des assurances en ce qui concerne la stabilité de son pays, puissance nucléaire, et de montrer sa volonté de lutter contre les talibans, alors que le Congrès devait débattre d'un projet de loi triplant l'aide au Pakistan à 7,5 milliards de dollars sur cinq ans. « Or, cette aide économique est indispensable, car le Pakistan est au bord de la banqueroute », souligne Mariam Abou Zahab. Le projet de loi fixe également des conditions à l'attribution de l'aide militaire, telles que l'obligation pour les bénéficiaires de fournir « des efforts concertés » pour combattre el-Qaëda et tout autre groupe terroriste.
Le Pakistan devait d'autant plus faire preuve de bonne volonté que fin avril, la secrétaire d'État américaine, Hillary Clinton, avait dénoncé la « capitulation » d'Islamabad dans la vallée de Swat, évoquant même une « menace pour l'existence de l'État du Pakistan ». « Ces déclarations avaient fait beaucoup de bruit, notamment en Occident. Cela a accru la pression sur Islamabad », souligne Mme Abou Zahab.

Combats au sol
L'opération militaire est donc lancée début mai. La première phase consiste essentiellement en des bombardements. Il y a quelques jours, l'offensive au sol a commencé, et l'armée fait état de combats au corps à corps à Mingora, la principale ville de la vallée de Swat, entre soldats et talibans.
« La grande peur, aujourd'hui, est que l'armée n'aille pas jusqu'au bout », souligne la spécialiste du dossier pakistanais. De fait, l'armée pakistanaise ne brille pas par son palmarès face aux militants islamistes, les combats, par le passé, étant rarement menés à leur terme. « Le scénario classique est plutôt une opération militaire, suivie d'un retrait rapide des talibans vers les montagnes. L'armée cesse alors ses opérations, se retire, et les talibans reviennent. L'on se retrouve alors dans une situation généralement pire qu'avant, note Mariam Abou Zahab. Aujourd'hui, il faut que l'armée occupe véritablement le terrain. »
Selon la chercheuse, l'opération actuelle paraît toutefois plus sérieuse que les précédentes. « Fait important, l'armée a obtenu le soutien quasi unanime du Parlement pakistanais pour cette opération. Cela est nouveau et très important, car l'armée réclamait depuis toujours ce soutien politique », note-t-elle. Un soutien qui renforce le moral des troupes dont certains éléments, par le passé, préféraient se rendre au lieu de combattre. Par ailleurs, relève Mme Abou Zahab, des commandos ont été envoyés sur le terrain, et non simplement des paramilitaires. « Les États-Unis souhaitent toutefois que des troupes pakistanaises soient retirées de la frontière indienne et déployées à Swat », note la spécialiste. Un point extrêmement sensible pour certains militaires pakistanais qui considèrent que l'Inde reste le principal ennemi de leur pays.

Indemniser les réfugiés
Outre le défi purement militaire, se pose un véritable défi humanitaire pour Islamabad. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, près d'1,5 million de personnes ont été déplacées à cause des combats de ce mois, et près de 2 millions depuis août dernier. Vendredi dernier, l'ONU et des ONG évaluaient, dans un communiqué commun, à un demi-milliard de dollars leurs besoins pour 2009, afin d'aider les déplacés. Plus de 88 millions de dollars ont déjà été versés et les organisations humanitaires appellent la communauté internationale à financer d'urgence les plus de 454 millions restants. C'est un « déplacement extraordinaire (à la fois) en termes de chiffres et de rapidité », précisait le communiqué. C'est aussi un signe que la crise est partie pour durer, provoquant « des souffrances incroyables », poursuivait le coordinateur onusien de l'aide humanitaire au Pakistan.
Dans certains camps, les organisations humanitaires islamistes, déjà actives après le séisme de 2005, ont déjà fait leur apparition. Par ailleurs, pour des raisons culturelles et notamment pour éviter la promiscuité, beaucoup de réfugiés ne souhaitent pas vivre dans les camps et préfèrent s'installer chez des proches dans les villes. Ce qui a pour conséquence d'aviver les tensions ethniques. La tension est notamment vive à Karachi, où travaillent de nombreux hommes originaires de Swat. Samedi dernier, un groupe local nationaliste de Karachi avait ainsi appelé à la grève pour dénoncer l'entrée des réfugiés de Swat dans leur province. Ces militants nationalistes affirmaient que l'entrée de réfugiés allait altérer l'équilibre démographique de la province et permettre l'infiltration de talibans.
Se pose également la question de l'indemnisation des réfugiés. « Les réfugiés de Swat veulent être indemnisés. Si l'État ne s'occupe pas d'eux, ils se retourneront contre lui, et pourraient revenir vers les talibans », avertit Mariam Abou Zahab.
Fin avril, l'armée pakistanaise lançait l'offensive contre les talibans dans le nord-ouest du pays. Après avoir débuté dans le Lower Dir, l'opération s'est élargie à Buner, puis, début mai, à la vallée de Swat, située à une centaine de kilomètres seulement d'Islamabad. Plusieurs zones de...