Le général Aoun tient à de tels serments parce qu'il a été échaudé par son expérience avec Michel Murr, qui s'est retiré de son groupe parlementaire. Il a donc gardé au Kesrouan ses colistiers de 2005. Walid Khoury, bien que natif de Amchit comme le président Sleiman, reste fidèle au CPL, dont le leader exige de tout postulant qu'il suive toujours sa ligne, sans jamais discuter. Une discipline militaire qu'explique, sans doute, le projet de putsch politique du 8 Mars. On entend ainsi des aounistes promettre de chambouler tout le système, après la victoire aux législatives, certaine à leurs yeux. Le consensus incarné par le président Sleiman n'aurait plus lieu d'être. Il y aurait donc une IIIe République, un ordre nouveau, et pour aller dans cette voie, c'est une signature en blanc que le général Aoun réclame à ses fidèles.
Dans les mêmes salons opposants, on répète que le changement porterait sur les fondements constitutionnels et politiques comme, peut-être, dans bien d'autres domaines. À ces projets, Farès Boueiz, qui a si longtemps dirigé les Affaires étrangères, répond en rappelant que l'attribution de la présidence de la République libanaise reste tributaire d'équilibres extérieurs. Elle ne peut donc se décider à l'intérieur, motu proprio. De plus, ajoute-t-il, une fois l'arrangement mis en place, il est convenu qu'il devra tenir tout le long du délai institutionnel. Aucun président ne peut être prié de gagner la sortie avant terme, car c'est considéré, d'un commun accord, comme trop aventureux et risqué.
C'est d'ailleurs pourquoi Boueiz a refusé de s'engager politiquement aux côtés de Aoun. Le général pressentait d'ailleurs qu'il ne pourrait mettre l'intéressé sous contrôle. En effet, le long de sa carrière, Boueiz a eu des occasions marquées de manifester son esprit d'indépendance. Il avait ainsi claqué la porte du palais Bustros en 1992, pour protester contre la loi électorale inique qui avait été adoptée. Et il avait alors refusé d'obéir aux injonctions de se porter candidat au Kesrouan. Il en a payé le prix par la suite. De même, il a pris position contre la prorogation du mandat du président Lahoud, mettant en garde contre les dégâts que cela entraînerait pour le pays.
Au départ, Aoun a mené Boueiz en bateau, en lui déclarant : « Nous regardons de nos deux yeux celui qui ne nous voit que d'un seul. Si nous lui sommes redevables, nous ne l'oublions jamais. Nous sommes avec vous dans la bataille, car une personnalité de votre calibre ne doit pas rester hors de la Chambre. » Mais finalement, les aounistes ont estimé qu'ils ne pourraient pas compter sur Boueiz dans des circonstances exceptionnelles. Il a donc été écarté de leur liste, après d'interminables atermoiements, ce qui lui fait dire que Michel Aoun l'a utilisé, exploité, dès le début comme carte de pression sur d'autres postulants. Tout comme pour mieux s'assurer de la docilité des membres du Bloc du changement et de la réforme, en leur faisant peur avec l'exemple Boueiz. Or s'il est légitime, en politique, de manœuvrer face à l'adversaire, la moindre des morales impose que l'on ne manipule pas un allié et encore moins un partisan.
Par ailleurs, après un entretien avec le président Berry, le général Aoun a indiqué que les échanges avaient porté sur la présidence du Conseil, la présidence de la Chambre et d'autres sujets, sans autre précision. Comme s'il voulait que son interlocuteur lui assurât, en vue de conserver sa présidence, qu'il était disposé à se montrer ouvert à ses projets, dont celui de la IIIe République. Mais le président Berry, certain de sa reconduction, n'admet pas d'en faire l'objet d'une négociation quelconque. Il n'a donc promis aucun appui, aucune approbation déclarée ou tacite, aux visées du général. Il a même, au contraire, réaffirmé son attachement à Taëf.