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Lifestyle - Hotte d’or

Envole-toi

À peine arrivé là-bas, tu n'es pas tout seul, mon Bashung. À peine arrivé, Baudelaire te prend par tes ailes gigantesques pour t'aider à mieux marcher ; vous vous asseyez, il te sert de l'absinthe, un peu de sucre, il te sourit, son vin et son haschisch à portée de ses longs doigts fins, et te récite, heureux, cette phrase qu'il a apprise par cœur, depuis le temps, cette Madame rêve d'artifices/Des formes oblongues/Et de totems qui la punissent, il te demande si Fanny Ardant est toujours aussi sublime. Puis s'approche Pythagore. On dirait qu'il plane. Il te raconte ses initiations, vers - 549, à Sidon, à Byblos, à Tyr. Tu lui parles de l'Alsace. Il te dit en passant, un verre d'ambroisie à la main (vous trinquez souvent : c'est normal entre poètes), que tes compositions musicales sont de la géométrie pure, que ce que tu as fait sur Fantaisie militaire, entre autres, était férocement hors de ce monde, puis, un peu fatigué, il s'en va. Tu souris, mon Bashung. Quelqu'un te tapote de la main sur le dos, tu te retournes, souriant, toujours, ton chapeau sur la tête, et c'est Federico Fellini qui te souhaite la bienvenue. Jean Cocteau est avec lui. Une énorme bouteille de chianti est sur la balançoire juste à côté ; vous l'ouvrez pour la boire à trois au goulot. Tu parles vite, tu demandes au premier des nouvelles de Gitone et d'Ascilto, tu veux qu'il te raconte Anita Ekberg et Giulietta ; au second, tu détailles tes premières lectures de Radiguet, quand, vers 25 ans, tu te rêvais Elvis, tu te faisais appeler Hendrick Darmen, tu chantais Les Romantiques, tu lisais et relisais Le Diable au corps. Ensemble, Fellini et Cocteau entonnent, deux petits farceurs avec le regard par en dessous que seuls maîtrisent les diablotins qu'ils sont : Ma petite entreprise/Connaît pas la crise/Épanouie elle exhibe/Des trésors satinés/Dorés à souhait, puis s'en vont, en continuant à chanter. Tu t'asseois. Il y a Serge qui se pointe. Par hasard et pas rasé. Gainsbourg t'avait écrit quelques morceaux d'enfer. Vous ne vous dites rien. Bien sûr que non. Vous n'avez pas besoin de vous parler tous les deux. Deux tsars. Deux dandys. Deux fous. Deux géants. Vous fumez, et bientôt il ne reste plus rien de la Chivas Regal 15 ans d'âge. C'est comment qu'on freine ? Vous vous en foutez. Barbara et Marie Curie passent en papotant, elles disent bonjour, William Shakespeare et Luis Bunuel trottinant derrière elles, le souffle court, le cigare au bec. Et puis la môme arrive en hurlant à tue-tête, comme une cinglée : elle n'arrive pas à déboucher le balthazar de Veuve Clicquot rosée presque aussi lourd qu'elle et qu'elle arrive à peine à porter. Tu l'aides, mon Bashung, et elle se serre contre toi, tout doucement, elle avait adoré quand tu avais repris ses Amants d'un jour. Et puis, tous ensemble, Baudelaire et Pythagore et Fellini et Cocteau et Gainsbourg et Barbara et Curie et Shakespeare et Bunuel et Piaf, et toi mon Bashung, résidents superbes de cette République de là-bas, mon cercle des troubadours disparus, tous ensemble vous finissez ce balthazar en un clin d'œil, l'œil qui frise, la langue qui claque heureuse, les mains qui dansent, les bulles qui vous vont si bien, miam miam.
À peine arrivé là-bas, tu n'es pas tout seul, mon Bashung. À peine arrivé, Baudelaire te prend par tes ailes gigantesques pour t'aider à mieux marcher ; vous vous asseyez, il te sert de l'absinthe, un peu de sucre, il te sourit, son vin et son haschisch à portée de ses longs doigts fins, et te récite, heureux, cette...

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