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Culture - Tribune

La révolution perpétuelle…

Le spectateur est immédiatement averti qu'il est témoin d'un événement intemporel dont les dates peuvent aussi bien indiquer la révolution franquiste que la guerre du Liban, toutes les révolutions qui ont opposé le peuple au pouvoir, la gauche à la droite, les Israéliens aux Arabes et, dans cent ans, les terriens aux lunaires (voire aux
lunatiques).
À mesure que l'action se déroule sur la scène, le spectateur ne sait plus où situer son héros. Ce spectateur est-il avec ou contre Franco, avec ou contre le prêtre grandiloquent qui prêche l'amour et récolte la tempête, avec ou contre la cheftaine des milices qui se dérobe quand ce dernier offre de se joindre aux insurgés, avec ou contre cet écrivain qui pense écrire l'histoire, mais qu'un simple coup de vent éparpille ses papiers comme pour bien indiquer que la révolution s'écrit au hasard des idéologies, à la merci des armes qui grondent et des consciences qui se taisent.  Et même quand Franco vient proposer de rejoindre le camp de ses ennemis, il sème le trouble dans la conscience de ceux qui le combattent et qui sympathisent avec leur ennemi.
Il faut avoir parfaitement compris tout cela pour diriger une pièce écrite par «un laïc» (comme Oussama Aref aime se qualifier) en faisant fi des idées acquises dans notre pays, si partagé entre les différentes sectes et religions. C'est Betty Taoutel qui s'est chargée de donner corps à cette idéologie. Betty n'en est pas à sa première œuvre, mais dans Iyyém Bteswa Franco, elle fait un pas supplémentaire dans son art et s'installe dans le fauteuil des grands metteurs en scène que notre histoire du théâtre compte depuis les années quarante.
La distribution, elle, est éblouissante. Avec Antoine Balabane en père Miguel qui retourne dix fois sa veste et se donne raison à chaque fois, Jessy Khalil en Hillary qui joue l'Anglaise voulant influencer le cours de l'histoire, Mohammad Rabbani, le Marocain qui vient reconquérir les palais de Grenade (une exigence encore revendiquée par des islamistes du moment...), Walid Alaily en Tanguy l'écrivain qui ne sait s'il doit écrire l'histoire avec l'encre noire de la gauche ou le sang rouge de la droite, Ali Saad en Franco, véritable marionnette vivante tournoyant aux recommandations de Hitler et de Mussolini, donnant des ordres de détruire Guernica et n'ayant qu'une aspiration: ne pas être emporté par l'antirévolution de la gauche, Abdo Chahine, le Libanais engagé car il flaire une bonne affaire pour l'avenir, Josyane Boulos en Maria Romero, chef de la brigade, jusqu'au-boutiste de la «revoluçion» et qui se proclame d'une âme républicaine pure et dure, Layal Daou qui représente l'esprit américain face au bolchevisme et qui doute de ce qu'elle fait et de ce qu'elle va devenir, et Paul Naassan, l'Italien, nécessaire dans cette partie de l'histoire pour contrer le fascisme de Mussolini et combattre pour la liberté de parole.
La révolution est éternelle. La lutte des classes est sempiternelle. Seule la scène change, de pays en pays. Et les franquistes prennent des noms divers à travers les années et les patries.
Une dernière allusion pour conclure. Le titre de la pièce, Iyyém bteswa Franco, cache sûrement un jeu de mots. Car il aura suffit d'ajouter un O à franc pour en faire Franco. Un O qui a la forme ronde. Comme le franc, le dollar, le rouble, la livre, le peso, le rial...
Toutes monnaies qui sont à la base de toutes les révolutions dans le monde.
Oussama el-Aref, derrière ce titre drôle, nous donne longuement à réfléchir... «Que lorsqu'on vient d'en rire, il faudrait en pleurer...»
Très sérieusement.

Jean-Claude BOULOS
Le spectateur est immédiatement averti qu'il est témoin d'un événement intemporel dont les dates peuvent aussi bien indiquer la révolution franquiste que la guerre du Liban, toutes les révolutions qui ont opposé le peuple au pouvoir, la gauche à la droite, les Israéliens aux Arabes et, dans cent ans, les terriens aux...

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