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Le Kosovo, un an après - Analyse

Le Kosovo, un an après

Le 17 février 2008, le Kosovo déclarait son indépendance au grand dam de la Serbie. Un an après, où en est-il ? Jacques Rupnik, ancien membre de la commission internationale indépendante pour le Kosovo (1999-2000), dresse un état des lieux pour « L'Orient-Le Jour ».

La marche du Kosovo vers l'indépendance fut un long processus. Neuf ans durant, de 1999 à 2008, le statut de cette province fut indéterminé. Pour mettre fin à cette situation ambiguë et précaire, l'ONU mandate, le 2 novembre 2005, l'ancien président finlandais, Martti Ahtisaari, pour superviser des négociations entre les gouvernements serbe et kosovar sur le statut final du territoire. Les rounds de pourparlers s'enchaînent, mais les négociations restent dans l'impasse. En février 2008, le Kosovo décide donc de passer à l'action et proclame son indépendance. Une indépendance rapidement reconnue par les États-Unis, la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni.
Sans surprise, Belgrade, soutenu par Moscou, condamne cette déclaration unilatérale qu'il considère comme une partition de son territoire.
La communauté internationale craint des dérapages violents entre les Kosovars albanais et la minorité serbe, essentiellement regroupée dans le nord du pays. « Cette crainte n'a pas été matérialisée, il n'y a pas eu de violence ni de soulèvement populaire », rappelle Jacques Rupnik. « La minorité serbe a adopté une politique prudente, assez réservée », poursuit le spécialiste.
 
Mise en place de l'Eulex
Une fois l'indépendance annoncée, Belgrade et les Serbes du Kosovo ont axé leur bataille diplomatique sur les négociations autour de la mise en place de la Mission européenne de police et de justice au Kosovo (Eulex). C'est en février dernier que l'UE a décidé de déployer au Kosovo une force de quelque 2 000 policiers, juges et douaniers européens chargés d'y faire respecter l'État de droit. Il s'agissait pour Eulex de remplacer progressivement la Mission de l'ONU au Kosovo (Minuk), sur place depuis 1999. Des mois durant, Belgrade s'est opposé au déploiement de l'Eulex. Ce n'est que le 26 novembre dernier, date à laquelle la Mission européenne a reçu l'aval du Conseil de sécurité de l'ONU où siège Moscou, allié de Belgrade, que la Serbie et les Serbes du Kosovo ont assoupli leur position et accepté son installation dans les zones serbes du Kosovo. L'Eulex  a entamé son déploiement le 9 décembre dernier, alors que celui-ci était initialement prévu pour juin 2008.
« L'un des points intéressant dans le déploiement de la mission européenne est que l'Union européenne n'est pas unanime sur la reconnaissance du Kosovo indépendant. Cinq pays européens (Grèce, Chypre, Espagne, Slovaquie et Roumanie) ne l'ont pas reconnu. Cette non-reconnaissance est liée au problème des minorités internes (notamment la communauté basque en Espagne, ou la communauté hongroise en Slovaquie). Ces pays n'ont pas reconnu le Kosovo indépendant de peur de créer un précédent », souligne Jacques Rupnik.  Cette division interne n'a toutefois pas empêché le déploiement de l'Eulex.
Le chercheur note par ailleurs qu'avec l'Eulex, « nous ne sommes plus sous protectorat international dirigé par l'ONU, comme au temps de la Minuk. Aujourd'hui, la présence internationale est là pour superviser, assister et favoriser à long terme une intégration européenne. Malgré les difficultés à mettre en place Eulex, la transition entre la Minuk et la Mission européenne s'est passée sans obstruction de la part de la Serbie », estime le spécialiste.
M. Rupnik note par ailleurs qu'« il y a un point positif à tout cela : tout en appuyant la déclaration d'indépendance du Kosovo, l'Union européenne accélère le dialogue avec la Serbie, pour lui faire comprendre que ce n'est pas une punition qui lui est imposée ». De plus, « le gouvernement qui est en place à Belgrade est tourné vers la coopération avec l'UE, en s'éloignant des tendances nationalistes », insiste Jacques Rupnik. D'ailleurs, Belgrade a signé un accord de stabilisation et de partenariat avec l'Union européenne. « En gros, le bilan n'est pas mauvais », estime le spécialiste.
 
Nouvelles institutions et situation économique
Sur le plan intérieur, la Constitution du Kosovo indépendant est entrée en vigueur le 15 juin dernier, marquant le début d'une reconfiguration du pouvoir dans l'ancienne province Serbe.
« L'adoption de la Constitution représente le second moment historique le plus important pour le Kosovo après la proclamation de l'indépendance », avait déclaré le président kosovar Fatmir Sejdiu, saluant cette nouvelle étape vers une souveraineté accrue pour les Kosovars albanais (qui représentent plus de 90 % des quelque 2 millions d'habitants).
Mais, pour Jacques Rupnik, cette Constitution « est un point faible ». Certains analystes jugent également la mise en place de la nouvelle Constitution inefficace. « Il est encore trop tôt pour en voir les effets, il faut juger sur une période plus longue », ajoute le spécialiste qui souligne toutefois que la grande question est :
« Comment construire un État de droit, si on ne sait pas quel genre d'État on veut ? »
« En ce qui concerne les institutions, il faut montrer qu'elles sont efficaces, et surtout voir si elles sont capables ou non de répondre à la crise économique », ajoute M. Rupnik.
La situation économique du Kosovo est en effet très mauvaise. Dans ce nouvel État doté d'une population très jeune, la majorité de la population ayant moins de 20 ans, le taux de chômage tourne autour des 40 %. « La situation est très préoccupante, cela pourrait dégénérer et exploser au niveau social », s'inquiète M. Rupnik.
« La situation est d'autant plus inquiétante que le Kosovo est dépendant de l'aide internationale et de celle de la diaspora des Albanais vivant en Europe occidentale et qui injectent beaucoup d'argent », ajoute-t-il.
« À terme, la solution serait de développer une stratégie de développement local et régional. Aujourd'hui, la priorité est de recréer au niveau régional un ensemble économique viable. L'indépendance du Kosovo a été le dernier maillon de l'explosion de l'ex-Yougoslavie, il faut donc maintenant reconstruire une coopération au niveau des Balkans », selon le spécialiste.
 
Intégration au niveau des ensembles régionaux
Or, pour Jacques Rupnik, l'intégration du Kosovo dans des ensembles régionaux ne devrait pas se faire rapidement. Et ce même si « l'engagement européen est présent depuis 10 ans ».
« Aujourd'hui, l'Union européenne est présente en tant que moniteur des réformes nécessaires pour l'intégration à long terme. L'objectif est que le Kosovo et la Serbie puissent entrer ensemble dans l'Union. En fait, il y a une sorte de rails parallèles, on a donné une frontière au Kosovo pour mieux la rouvrir dans le cadre de l'Union européenne », explique M. Rupnik.
L'UE travaille en outre à l'établissement de bonnes relations entre Belgrade et Pristina. Mercredi dernier, l'envoyé de l'Union au Kosovo, Peter Feith, a appelé la Serbie à encourager les Serbes du Kosovo à coopérer avec les autorités kosovares, pour stabiliser le territoire où la sécurité reste précaire. « Les représentants serbes se sont dit encouragés par leur première rencontre avec le Premier ministre kosovar Hashim Thaçi », a ajouté M. Feith. Mais « cela aiderait s'ils recevaient plus d'encouragement de Belgrade ».
Peter Feith a également appelé les Kosovars à faire des gestes de bonne volonté, en assurant, par exemple, la protection des monastères serbes, actuellement assurée par les soldats de l'OTAN (KFOR). « Nous pouvons continuer à fournir des soldats de la KFOR, mais franchement les soldats ne sont pas faits pour ça » et « la solution durable, c'est que ce soit la police kosovare qui assume ses responsabilités ». Plusieurs eurodéputés ont estimé que l'UE devrait faire de l'attitude constructive de la Serbie une condition à la poursuite de son intégration à l'Union.
 
Tensions toujours fortes
Dans les faits, la situation reste toutefois tendue entre la Serbie et le Kosovo. Ainsi, le 21 janvier dernier, Belgrade a vivement dénoncé la création d'une nouvelle Force de sécurité du Kosovo (FSK), parrainée par l'OTAN. Si elle n'a pas vocation à être une réelle armée, la FSK sera équipée d'armes légères et pourra participer à des missions de maintien de la paix hors du Kosovo. Après la création de la FSK, le ministre serbe des Affaires étrangères, Vuk Jeremic, a estimé que « Belgrade a perdu sa confiance dans l'OTAN ». Le ministre a répété que la création de la FSK avait été décidée « en flagrante violation » de la résolution 1244* du Conseil de sécurité, le seul texte de référence qui compte pour Belgrade au sujet du Kosovo.
Belgrade a par ailleurs demandé et obtenu de l'Assemblée générale des Nations unies que la Cour internationale de justice se prononce sur la légalité de l'indépendance du Kosovo. La Serbie compte sur une décision de la CIJ favorable à sa cause pour relancer des négociations avec Pristina sur le statut de ce territoire. Une opinion, non contraignante, de la CIJ est attendue pour 2010, au plus tôt, selon des diplomates.
 
*La résolution 1244, adoptée en juin 1999, au lendemain de la guerre de 1998-1999, plaçait le Kosovo sous le contrôle de l'ONU, sans aborder la question du statut de la future province.
La marche du Kosovo vers l'indépendance fut un long processus. Neuf ans durant, de 1999 à 2008, le statut de cette province fut indéterminé. Pour mettre fin à cette situation ambiguë et précaire, l'ONU mandate, le 2 novembre 2005, l'ancien président finlandais, Martti Ahtisaari, pour superviser des négociations entre les gouvernements...