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Actualités - CHRONOLOGIE

Le Conseil constitutionnel : un droit de regard sur les lois édictées par la majorité Jeanine JALKH

La guerre de Gaza et la tragédie humaine qui s’ensuivit ont occulté, pour des raisons tout à fait évidentes, certains dossiers internes d’une importance cruciale et à leur tête, la désignation des cinq membres restants du Conseil constitutionnel chargé d’examiner les recours qui pourraient naître des prochaines élections parlementaires. Flash-back sur l’histoire turbulente d’un corps constitué qui n’arrive toujours pas à s’affirmer sur la scène politico-judiciaire. Le 18 décembre 2008, le Parlement tranchait une vive polémique en désignant les cinq premiers membres du Conseil constitutionnel dont les activités étaient suspendues depuis le 12 août 2005. Considérés dans leur majorité comme appartenant au camp du 14 Mars, les nouveaux membres élus n’ont pas obtenu l’assentiment de l’opposition qui réclame désormais « sa part » dans la formation de cet organe constitutionnel. Celle-ci avait en effet exigé que les cinq membres restants – que le gouvernement devait à son tour désigner, comme prévu par la loi – puissent être choisis, en contrepartie, parmi des candidats dits de l’opposition. Depuis, le Conseil des ministres, qui devait se réunir à cette fin, a reporté l’échéance après une séance de débats houleux sur la question. Entre-temps, la crise de Gaza a supplanté les questions internes, reléguant au second plan la remise sur pied de cet organisme qui, depuis sa création pratiquement, éveille chez les politiques une grande méfiance, compréhensible à la lumière des prérogatives importantes dont est doté le Conseil constitutionnel, mais aussi, de la polarisation politique aiguë qui marque la scène politique depuis plusieurs années. Sans pour autant revenir sur la teneur des débats houleux suscités lors du vote à l’Assemblée en faveur des cinq premiers membres du CC, il est indispensable de retenir la polémique juridico-politique provoquée, notamment, par l’élection de l’ancien président du Conseil supérieur de la magistrature, et ancien membre du CC, le juge Antoine Khair, et dont la portée est significative à plus d’un niveau. Également controversée, l’élection du professeur Antoine Messarra, à qui l’on reproche son « parti pris » sur certaines questions (voir encadré). Mais quelle que soient la ou les raisons derrière les réserves exprimées à l’encontre des deux nouveaux candidats élus du Conseil constitutionnel, il reste que « les accusations de politisation » adressées à ces deux candidats et la réclamation de cinq autres membres « proches de l’opposition » soulèvent des interrogations multiples sur la nature même du Conseil constitutionnel, son rôle et ses compétences. L’entrée en fonction de cet organe prend d’autant plus d’importance qu’il sera bientôt appelé à trancher, le cas échéant, certains litiges après la prochaine échéance électorale qui, de l’avis de tous, sera déterminante au plan des équilibres politiques en présence. Prévu à l’origine par les accords de Taëf, le Conseil constitutionnel devait être une sorte de « supratribunal à caractère politique » doté de pouvoirs impressionnants qui « se situe aux frontières de la chose publique et de la vie politique », précise l’ancien membre du CC, le juge Sélim Jreissati. « En disant que le CC est un organe juridictionnel à caractère politique, cela ne veut pas dire qu’il devrait être nécessairement politisé. Cela signifie qu’un organe qui a pour mission de régulariser la vie publique, d’une manière aussi importante, est indubitablement aux confins de la politique », ajoute-t-il. Pour mieux comprendre la bataille politique qui se déroule actuellement autour de la désignation des membres du CC, il est important de se rappeler quelques règles de base qui sont à l’origine même de cette institution. Tout d’abord, fait remarquer Sélim Jreissati, force est de constater que « les politiques ont créé une superinstance dotée de compétences décisives, pour le regretter sitôt après ». « En effet, ajoute le magistrat, cet organisme gêne parce qu’il a le pouvoir d’annuler des lois auxquelles le pouvoir politique tient. En outre, il peut invalider des élections qui seraient contestées par l’une ou l’autre partie en présence, ce qui est encore plus incommode », dit-il. Mais la question majeure est de savoir à quoi sert exactement le CC et pourquoi un régime politique se dote d’un organe juridictionnel aussi puissant pour en craindre les décisions par la suite. « Tout simplement parce que cet organe ou cette institution a pour objectif de défendre les intérêts de la minorité parlementaire », répond le magistrat qui explique cette logique en avançant le raisonnement suivant : « Traditionnellement, la loi du nombre prévoit que la majorité peut effectivement édicter ses lois, ce qui n’implique pas nécessairement que la minorité doit, dans n’importe quelle circonstance, se résigner à la décision de la majorité. » Avec le temps s’est développée l’idée que la loi était, certes, l’expression de la volonté générale, mais elle n’est l’expression de cette volonté que dans le respect de la Constitution, explique le magistrat. « Auparavant, la majorité faisait adopter des lois qui pouvaient être anticonstitutionnelles, sans censure aucune puisque la minorité n’avait aucun recours. Sauf que maintenant, la minorité a un moyen de recours pour pouvoir se défendre contre ce jeu de la majorité qui était un jeu légitime », dit-il. En définitive, précise cet ancien membre du CC, « c’est la minorité qui présente un recours devant le CC, en demandant une sorte de droit de regard sur la loi édictée par la majorité ». C’est bien ce qui explique les règles de nomination des membres du CC, qui doivent leur désignation à deux institutions et non une seule, à savoir 5 membres choisis par le Parlement et 5 autres par le gouvernement. Une sorte de garde-fou pour s’assurer de l’hétérogénéité de l’ensemble des membres, explique M. Jreissati. Car, dit-il, « on ne saurait permettre une hégémonie de la part des membres de ce Conseil, en termes d’origines ou d’affinités politiques. Étant garant de la minorité parlementaire, le CC se doit d’être pluriel dans sa constitution, ses membres ne devant pas appartenir aux mêmes horizons politiques ou être désignés par la même majorité politique ». Cela ne veut nullement dire, par extension, que les membres doivent appartenir à l’un ou l’autre camp en présence, ou être comptés parmi le 14 ou le 8 Mars, comme c’est le cas en ce moment. « Ils doivent être à égale distance de tout le monde voire même de ceux qui les ont désignés. Pour ce faire, ils doivent être désignés par des pouvoirs différents appartenant à des politiques différentes ». C’est ce qui explique d’ailleurs la répartition de la désignation des membres entre le Parlement et le Conseil des ministres. « D’où, dit-il, le blocage au niveau du Conseil des ministres auquel on assiste actuellement, puisque ce dernier est censé réajuster le tir d’abord sur le plan communautaire et ensuite politique ». Et de préciser : « Les membres doivent êtres homogènes quant au savoir juridique, quant à l’intégrité ou à la probité intellectuelle mais hétérogènes quant à leurs affinités ». Reste à savoir comment tracer la juste frontière entre l’hétérogénéité des origines politiques, et l’indépendance sacro-sainte requise d’un Conseil constitutionnel à la mission difficile. Une équation d’autant plus difficile à mettre en application que ce « supertribunal » sera appelé à trancher, dans quelques mois, les conflits nés d’une consultation parlementaire déterminante pour l’avenir du pays. La balle est désormais dans le camp du Conseil des ministres.
La guerre de Gaza et la tragédie humaine qui s’ensuivit ont occulté, pour des raisons tout à fait évidentes, certains dossiers internes d’une importance cruciale et à leur tête, la désignation des cinq membres restants du Conseil constitutionnel chargé d’examiner les recours qui pourraient naître des prochaines élections parlementaires. Flash-back sur l’histoire...