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Un peu plus de... L’exception libanaise De Médéa Azouri HABIB

Coincés au milieu d’une foule moite et surexcitée, vous ne comprenez pas ce qui se passe. Les jeunes et quelques rares moins jeunes sautillent en criant les paroles de cette chanson interprétée par Claude Barzotti : « Mais où est la musique… la douceur des violons. » Quel grand moment de solitude. D’incompréhension. Et d’étonnement surtout. Qu’est-ce que c’est que cette chanson ? Claude Barzotti ? La question n’est pas de se demander : qui l’écoute encore ? Même dans une soirée « French night ». Lui, Jean-Luc Lahaye ou C. Jérôme ? Non, la véritable question est  : comment est-ce que l’on peut connaître cette chanson de Claude Barzotti ? Comment un morceau sorti en 1992, signé par un type qui était déjà devenu un total has-been, a-t-il pu atterrir dans les oreilles de vos copains. Et qu’a-t-il bien pu se passer « avant », pour que cette chanson, eh bien, ils la connaissent par cœur. C’est parce qu’on est à Beyrouth… tout simplement. L’Italo-Français a certes chanté « Le rital » mais n’a pas fait une carrière particulièrement extraordinaire ni en France et encore moins en Italie… mais au Liban, on se souvient de lui. Et ces réminiscences sont tellement présentes encore, que l’interprète de Madame et de Je ne t’écrirai plus – deux number one au Liban – a donné un de ses « récitals » au Rimal (ça rime et ça ne s’invente pas) il y a deux ans. Ha ha ha ? Ça dépend pour qui. Parce qu’il faut savoir que des jeunes plutôt branchés ont quand même été l’applaudir ce fameux soir de novembre… Si, si. Mais pourquoi ? Il faut remonter un peu en arrière. La guerre est presque finie et les radios dites libres explosent. Certains programmateurs à la larme sensible adorent les chanteurs, comment dire, un peu ringards, et passent en boucle des faces B et les nouveaux singles de types qui ne savent plus comment revenir sur le devant de la scène. Ça tombe bien, parce que comme peu d’artistes acceptent encore de venir se produire au Liban, les producteurs tentent les apprenties stars oubliées à petit cachet, les habitués du Macumba à Ajaltoun, les Mario Pelchat, les Jean-Jacques Lafont (mais si, vous le connaissez, c’est celui qui chantait Le géant de papier : « quand je la regarde, moi l’homme loup au cœur d’acier… »), les Gilbert Montagné, Philippe Cataldo alias la Diva du dancing et autres Raoul Di Blasio. Et ça a marché. Pas seulement parce qu’à l’époque il n’y avait pas grand-chose d’autre à faire, mais parce que le Libanais a toujours eu un goût prononcé pour les choses légèrement dépassées, pour des choses insensées qui vont de la musique à la mode, en passant par mille et un autres détails de l’art de vivre local. C’est ce qu’on pourrait appeler l’exception libanaise. Une particularité que l’on ne trouve nulle part ailleurs : une sorte de combo qui réunirait une chanson de Bernard Sauvat, une chemise Façonnable, une paire de Sébago (qui vient de rouvrir à Achrafieh) et une BMW des années 80, le tout saupoudré d’un « Hi, kifak, ça va ? » L’exception libanaise dans toute sa splendeur. Cette affection intemporelle pour des choses que le monde entier a oubliées. Ce penchant prononcé pour des codes vestimentaires hors mode, hors norme et hors temps. Un style pas tout à fait italien, pas tout à fait libanais. Une chaîne en or qui brille sur un torse velu, un cigare dans la bouche en toutes circonstances et une paire de bottes très pointues (pour les femmes et pour les hommes). Un top ultramoulant, ultracourt et ultrabrillant sur un jeans ultra près du corps et ultraclouté, avec un maquillage ultramarqué – une sorte de Djemila des Lilas d’aujourd’hui (Jean-Luc Lahaye pour info), qui adore se trémousser un whisky-coke à la main sur un refrain d’Hervé Villard version 1995 ou sur La fille aux cheveux bleus de Rachid – oui oui, laissez tomber… Il n’y a rien à comprendre. C’est juste une caractéristique propre au Libanais. Une énigme aussi étrange que l’idolâtrie d’un Chinois pour Pierre Cardin, le Japonais qui se parfume à l’Alain Delon ou le Russe qui vénère Patricia Kaas. Il y a des choses comme ça, qu’il ne faut pas chercher à analyser. Un peu comme si vous essayiez d’expliquer à votre copain français, pourquoi il y a certains sens interdits que vous prenez et d’autres pas, et pourquoi c’est le flic qui vous demande de passer au rouge. C’est ça l’exception libanaise. Une exception ex-tra-or-di-nai-re.
Coincés au milieu d’une foule moite et surexcitée, vous ne comprenez pas ce qui se passe. Les jeunes et quelques rares moins jeunes sautillent en criant les paroles de cette chanson interprétée par Claude Barzotti : « Mais où est la musique… la douceur des violons. » Quel grand moment de solitude. D’incompréhension. Et d’étonnement surtout. Qu’est-ce que c’est...