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Actualités - OPINION

Appliquer la démocratie consensuelle dans toute sa définition Michel FAYAD

Dans sa conférence de presse du 15 décembre dernier au sujet du positionnement du Front de la liberté au sujet de l’accord de Taëf, le Dr Fouad Abou Nader, coordinateur général du mouvement, a appelé à l’application de la théorie de Calhoun (1). L’accord de Taëf a instauré un pouvoir exécutif collégial en confiant le pouvoir exécutif au Conseil des ministres, une instance qui désormais vote. Or, le principe de collégialité n’est pas respecté, car le président fait l’objet d’une discrimination au sein de la collégialité, puisque lorsqu’il préside le Conseil (quand il le désire), il ne peut voter. Dans son article intitulé Le document d’entente nationale : un commentaire publié par Les Cahiers de l’Orient n°s 16-17 au quatrième trimestre 1989-premier trimestre 1990, Joseph Maila écrit : « Les questions “fondamentales” sont surtout des matières à haute sensibilité communautaire. Imagine-t-on alors sur ces questions l’absurdité d’une décision emportée aux deux tiers des voix ? Sur des questions aussi essentielles que la réorganisation administrative, avec les découpages communautaires qu’elle sous-entend, ou sur un projet de loi portant sur la nationalité ou le statut personnel, on ne voit pas comment les représentants d’une communauté, mis en minorité, s’accommoderont soit de la décision prise, soit du maintien de leur participation au gouvernement. Cela pour ne pas parler de l’absurdité, dans le cas libanais, d’une déclaration de guerre, acquise aux deux tiers des voix en Conseil des ministres ! Le recours au principe de la votation en Conseil des ministres n’est pas inhabituel. Il est en tout cas la loi obligée dans les pays où le système électoral basé sur la proportionnelle hisse au pouvoir des coalitions hétéroclites. Le vote au sein du Conseil des ministres présente donc un caractère permanent de la menace à la stabilité de la coalition. Dans d’autres pays où la loi électorale dégage des majorités cohérentes, le vote en Conseil des ministres, s’il a lieu, peut amener, en cas de crispation, à la démission du ou des ministres mis en minorité. Dans le cas libanais et dans le cadre maintenu du communautarisme, la coalition gouvernementale sera, en dernière instance, une coalition communautaire. Or, la différence entre un ministre ou un parti participant à la coalition gouvernementale, dans des pays où des clivages segmentaires n’ont pas lieu d’être, et un ministre ou un parti participant à un gouvernement dans le contexte libanais réside en ceci que les premiers peuvent démissionner, ébranlant éventuellement la coalition gouvernementale, mais que les seconds ne peuvent le faire sans menacer gravement la cohésion sociétale. Car une communauté ne démissionne pas. Elle s’exclut ou elle est exclue, ouvrant la porte aux pires des crises comme certains temps forts de la guerre libanaise ont pu le montrer. » Cela aurait pu n’être qu’hypothétique ou simplement théorique, mais la grave crise qui a secoué le Liban entre décembre 2006 et mai 2008 s’est déclenchée par le retrait du gouvernement de tous les ministres chiites. À l’avenir et dans le cadre maintenu du vote en Conseil des ministres, d’autres communautés pourraient faire « rébellion » et accuser les autres souhaitant maintenir le gouvernement de trahir le pacte de vie commune. Le professeur Joseph Maila poursuit : « Le vote qualifié – tel qu’il est présenté en matière communautaire – privera les communautés dont les représentants auront été mis en minorité de l’efficience de leur droit de veto, essentielle dans les démocraties dites de concordance ou de “consociation”. Il permettra de passer outre aux positions d’une des communautés, rendant aléatoire le fonctionnement du système communautaire tout entier dont le rôle est de rassurer les minorités en leur assurant un droit de blocage. Paradoxalement, c’est le système communautaire qui est alors bloqué, obligeant le gouvernement à démissionner ou… à rechercher une solution d’unanimité au lieu de la majorité. Dilemme de l’enfermement communautaire ! La seule espérance, irraisonnée, qu’il suscite alors est que soit très vite aboli le communautarisme… » Joseph Maila explique enfin que le droit de blocage s’inscrit dans « la théorie du “veto minoritaire” dite encore théorie de la “majorité concurrente” qui permet, dans les systèmes politiques segmentarisés à chacune des minorités, de s’opposer à une décision d’une majorité dégagée par agrégation des voix des autres communautés. Ce principe est aussi connu dans la systématisation “consociative” sous le nom de théorie de Calhoun ». Un droit de veto doit donc être accordé par la démocratie “consociative” (consensuelle) libanaise aux sept principales communautés libanaises (maronite, grecque-orthodoxe, grecque-catholique, arménien, sunnite, chiite et druze) permettant ainsi à celles-ci de s’opposer à une décision relative à une « question fondamentale ». Ainsi, un authentique système de checks and balances est garanti. D’autre part, le principe du vote en Conseil des ministres a entraîné, en pratique, une négociation préalable à la formation d’un gouvernement d’un tiers de blocage, alors qu’en théorie, c’est-à-dire d’après le texte de Taëf, le « tiers bloquant » ne voit le jour qu’à l’occasion d’une « question fondamentale ». En plus de l’application de la théorie de Calhoun en lieu et place du vote en Conseil des ministres, le Dr Fouad Abou Nader a également préconisé l’application de la formule de Rachid Karamé datant de 1984 : le pouvoir exécutif devrait être confié au président de la République qui l’exercerait avec la participation du Conseil des ministres. Le président du Parlement, Nabih Berry, a récemment réclamé lui aussi l’application de la théorie de Calhoun sans toutefois l’appeler par son nom. En effet, au cours de sa conférence prononcée à l’Université Georgetown à Doha, Nabih Berry a cité le politologue hollandais Ernt Liebhart en affirmant que la démocratie consensuelle « est née de la nécessité d’élargir le concept le plus connu de la démocratie, celle du nombre, en empêchant aussi bien la dictature de la majorité que la subversion de la minorité ». D’après lui, « la démocratie consensuelle est née de la nécessité d’assurer le succès d’un régime politique que la démocratie du nombre avait échoué à garantir ». Le président du Parlement a conclu son analyse en expliquant que la démocratie consensuelle imposait un gouvernement de coalition nationale, une représentation proportionnelle et une reconnaissance mutuelle au droit de veto (2). Présent à cette conférence, Nazar Najarian, cadre du Front de la liberté, a demandé au président du Parlement quelle est sa position vis-à-vis d’une neutralité positive et permanente du Liban garantie internationalement. Au-delà de la réponse de Nabih Berry, qui fut au demeurant très politicienne, c’est la pertinence de la question qu’il faut relever : la théorie de Calhoun permet la neutralité du Liban car, en ayant le droit de veto, les communautés n’ont plus besoin de quémander l’aide extérieure. Dans les propos de Nabih Berry, il faut également relever le point relatif à la représentation proportionnelle autrement dit, dans le cas libanais, la parité islamo-chrétienne qui ne peut être assurée qu’à travers la loi basée sur la circonscription uninominale (un seul député élu par circonscription) d’autant que celle-ci va de pair avec toute décentralisation, comme l’a affirmé le Dr Fouad Abou Nader, qui a également relevé une contradiction de l’accord de Taëf qui prévoit une décentralisation administrative (qui, selon le professeur Joseph Maila, n’en est pas une car, explique-t-il, tout ce qu’énonce Taëf sous le libellé « décentralisation administrative » ne relève que de très banals mécanismes de « déconcentration administrative » : toutes les réformes envisagées s’inscrivant dans le cadre d’un transfert des pouvoirs à des représentants du pouvoir central et une loi électorale basée sur la large circonscription… Enfin, beaucoup lient la théorie de Calhoun à l’État composé : fédéral ou confédéral. Mais, il existe une alternative proposée par le Dr Fouad Abou Nader et non rejetée par Nawwaf Moussawi lors du débat entre les deux hommes à l’antenne de la chaîne de télévision al-Manar le 8 août dernier (3) : le régionalisme. L’État régional implique une double autonomie qui garantirait à la fois une liberté d’action à l’État et une autonomie des communautés en tant que familles spirituelles et intellectuelles afin qu’elles ne soient pas étouffées dans leur personnalité. L’État régional laisserait subsister l’unité et l’indivisibilité de l’État, tout en accordant aux régions et par là donc aux communautés, familles spirituelles et intellectuelles partenaires fondateurs de l’État une autonomie administrative, politique, culturelle et intellectuelle. L’organisation régionale de l’État permettrait aussi de tenir compte de la pluralité qui existe dans la majorité des régions mais également des demandes des citoyens. Le régionalisme répond d’autre part à une double volonté : celle d’une démocratie de proximité avec une citoyenneté responsable, engagée et comptable (c’est-à-dire qui, en retour, a le droit d’exiger qu’on lui rende des comptes sur la gestion de l’État et de la vie publique) et celle d’un État prolongeant l’action des personnes. Le Dr Fouad Abou Nader a expliqué que pour parvenir, si tel est l’objectif, à un rapport État-citoyen, outre le régionalisme qui libère l’État du poids communautaire et la création d’un Sénat (prévu par Taëf), une charte intégrant les articles de la Déclaration universelle des droits de l’homme, sans se contenter d’une simple référence, comme c’est le cas dans le texte actuel, pourrait être introduite dans la Constitution afin d’octroyer des droits fondamentaux aux Libanais en tant que citoyens. Aux chrétiens qui voient une dhimmitude qui ne recule pas en Orient et qui cherchent une restauration de leurs droits et une protection de ceux-ci pour éviter toute nouvelle réduction, aux sunnites qui craignent une modification de l’accord de Taëf, aux chiites qui ne veulent plus se retrouver exclus et aux druzes qui ne souhaitent pas voir leur influence se réduire dans une nouvelle formule, la théorie de Calhoun est la meilleure option pour les rassurer. (1) Lire le document sur le site du Front de la liberté : http://www.jebha.org/. Le lien actuel du document en tant que tel et en langue arabe est : http://www.jebha.org/taef.doc (2) Dans L’Orient-Le Jour du 23 novembre 2008. (3) http://video.google.fr/videoplay?docid=6579366219958771595&hl=fr. et http://video.google.fr/videoplay?docid=2084694652708600100&hl=fr Article paru le samedi 17 janvier 2009
Dans sa conférence de presse du 15 décembre dernier au sujet du positionnement du Front de la liberté au sujet de l’accord de Taëf, le Dr Fouad Abou Nader, coordinateur général du mouvement, a appelé à l’application de la théorie de Calhoun (1).
L’accord de Taëf a instauré un pouvoir exécutif collégial en confiant le pouvoir exécutif au Conseil des ministres, une...