Rechercher
Rechercher

Actualités - interview

Interview Pour Israël, un Hamas aux ailes rognées est préférable à son effondrement total

Propos recueillis par Émilie SUEUR Alain Dieckhoff, directeur de recherche au CNRS/CERI (Centre d’études et de recherches internationales), spécialiste de la politique et de la société contemporaine en Israël, revient sur le timing de l’opération israélienne contre Gaza et ses conséquences politiques pour l’État hébreu. Question - Le timing du lancement de l’opération israélienne « Plomb durci » contre Gaza est-il lié, selon vous, à la tenue des législatives en Israël en février prochain ? Réponse - « Les législatives sont, selon moi, un élément de contexte et non de causalité. Cette opération militaire a été décidée pour tenter de changer la donne sur le terrain en frappant le Hamas. » Q - Quelles seront les conséquences de l’opération sur le rapport de force politique en Israël dans ce contexte électoral ? R - « L’opération israélienne aura certainement des conséquences sur l’équilibre des forces politiques en Israël. Mais dans quel sens ? Tout dépend de la manière dont les choses évoluent. Au jour d’aujourd’hui, d’un point de vue israélien, les opérations militaires se déroulent à peu près comme elles ont été pensées, même si les tirs de roquettes n’ont pas été arrêtés. Pour le moment, la population israélienne soutient l’opération militaire. Cela a un effet plutôt positif pour la coalition au pouvoir. Le Parti travailliste de Ehud Barack en tire actuellement le plus de bénéfices. Selon les derniers sondages concernant les projections en matière de gains de sièges à la Knesset, les travaillistes sont passés de 11 à 17 sièges. Kadima en profite également, car il arrive à parité avec le Likoud avec 27 sièges contre 29 pour le Likoud. Kadima a réduit l’avance dont bénéficiait le Likoud avant l’opération. » Q - Et à plus long terme ? R - « Sur le plus long terme, il est difficile aujourd’hui d’évaluer l’impact politique de “Plomb durci”. Tout dépend de la suite des opérations. Nous pouvons définir deux scénarios. Premier scénario, l’opération ne dure pas trop longtemps et l’on arrive à une entente sur une résolution du Conseil de sécurité. La trêve est remodelée avec un contrôle des frontières, l’arrêt des tirs de roquettes et l’ouverture des points de passage vers la bande de Gaza. Un accord de ce type bénéficierait au pouvoir en place, car les électeurs penseraient que la situation stratégique israélienne s’est améliorée. Second scénario, l’opération militaire traîne, on assiste à un enlisement, on parvient à une trêve sans réelle amélioration de la situation stratégique israélienne. Ce scénario risque de pénaliser la formation au gouvernement et de profiter au Likoud de Benyamin Netanyahu. Ce dernier est d’ailleurs très discret en ce moment. Il a déclaré soutenir l’action militaire, mais en est resté là. Il attend de voir comment les choses vont évoluer. Si elles évoluent dans le sens du premier scénario, il sait que les choses vont être plus rudes pour lui, d’un point de vue électoral. Si elles évoluent vers le second scénario, il risque d’utiliser l’argument selon lequel la guerre n’a pas atteint ses buts et qu’il fallait un autre homme, en l’occurrence lui, pour la mener. » Q - Avec cette opération, Israël cherche-t-il à effacer les ratés de la guerre de l’été 2006 contre le Hezbollah ? R - « Je ne pense pas que ceci soit une des motivations premières d’Israël. Quand Khaled Mechaal (le chef politique du Hamas, NDLR) a annoncé que le Hamas ne reconduisait pas la trêve, le 14 décembre dernier, on a vu, en Israël, beaucoup de rhétorique pour appeler à la reconduction de la trêve. La considération de la guerre de 2006 peut jouer à titre un peu personnel pour Ehud Olmert car il était Premier ministre en 2006. En outre, sa carrière politique est entre parenthèses. Il n’y a pas d’enjeu électoral pour lui. La guerre de 2006 joue aussi pour l’armée israélienne qui veut savoir si on a tiré les leçons du semi-échec de la phase terrestre des opérations au Liban. » Q - Le timing de l’opération peut-il être également lié à l’intronisation prochaine du président élu, Barack Obama ? R - « Il était certes plus facile pour Israël d’engager ce genre d’action militaire d’envergure avec un Bush finissant qu’avec un Obama fraîchement installé à la Maison-Blanche. Il y a là une période de vide. Mais au-delà, je pense que nous sommes face à une conjonction de facteurs. Au niveau israélien, avec les législatives prochaines. Au niveau américain, avec la transition. Mais également au niveau palestinien. Il existe en effet une incertitude institutionnelle, le Hamas ayant clairement dit qu’à partir du 9 janvier, le mandat de Mahmoud Abbas était fini. Entre Israël, les États-unis et l’Autorité palestinienne, nous sommes réellement dans une période de transition et d’incertitude. À ce titre, le timing est vraiment singulier. » Q - Quels sont les scénarios de l’après-crise pour Israël, notamment en cas d’affaiblissement notable du Hamas, voire de vide politique dans la bande de Gaza ? R - « On ne peut pas exclure un scénario à l’irakienne. La situation est en effet extrêmement mouvante. Rien ne garantit que le Hamas ne devienne pas un acteur trop marginal pour contrôler la bande de Gaza. Une telle situation contraindrait Israël à rester dans la bande Gaza, à la contrôler de facto ou du moins une partie de ce territoire. « Ceci serait le pire des scénarios pour les Israéliens. C’est pourquoi, pour plusieurs responsables israéliens, il vaut mieux une trêve consolidée avec un Hamas aux ailes rognées, mais qui contrôle toujours la situation, plutôt que l’anarchie qui laisserait les portes ouvertes à tous les groupes, y compris à ceux ayant une idéologie proche d’el-Qaëda, par exemple. Je pense que c’est l’une des raisons pour lesquelles le cabinet de sécurité israélien n’a pas fixé comme objectif à son opération le renversement du Hamas. Même si le Hamas a une posture intransigeante, il a su montrer, au cours des deux trêves depuis qu’il est au pouvoir à Gaza, qu’il peut tenir ses troupes. »
Propos recueillis
par Émilie SUEUR

Alain Dieckhoff, directeur de recherche au CNRS/CERI (Centre d’études et de recherches internationales), spécialiste de la politique et de la société contemporaine en Israël, revient sur le timing de l’opération israélienne contre Gaza et ses conséquences politiques pour l’État hébreu.

Question - Le timing du lancement de...