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Actualités - REPORTAGE

Pédagogie L’éducation à la citoyenneté des élèves libanais, un véritable fiasco

Leurs connaissances civiques, qu’elles concernent le Liban ou la communauté internationale, sont modestes, voire faibles. Leur application des connaissances est encore plus mauvaise. Même s’ils comprennent les concepts de citoyenneté, les élèves libanais de 14 à 15 ans sont à la traîne dans l’éducation à la citoyenneté par rapport aux élèves des États-Unis, de Grande-Bretagne, de Belgique, du Chili et de Chypre. Une étude sur la citoyenneté et l’éducation a été menée fin 2007 au Liban par le ministère de l’Éducation, en collaboration avec le PNUD et le CDR, sur un échantillon de 3 111 élèves de la classe de troisième, de 191 enseignants et de directeurs d’établissements, dans les deux secteurs public et privé. Cette étude a permis de situer le degré d’éducation à la citoyenneté des élèves libanais par rapport aux élèves de 28 autres pays, tels que relevés dans une précédente étude internationale menée en 1999 par l’Association internationale pour l’évaluation du cursus éducatif (IEA) et plus particulièrement par rapport à 5 pays : les États-Unis, le Chili, la Belgique, la Grande-Bretagne et Chypre. Il en découle, de manière générale, que les connaissances civiques des élèves libanais sont modestes, comparées à celles des élèves des autres pays. Quant à l’application de ces connaissances, elle est carrément très faible, voire la plus mauvaise parmi les élèves des autres pays. De plus, les connaissances civiques locales des élèves libanais ne sont pas meilleures que leurs connaissances civiques internationales, mais nettement plus mauvaises. Une bonne compréhension Les élèves de chez nous présentent pourtant une bonne compréhension des concepts de citoyenneté, mais cela ne se reflète pas dans l’application de leurs connaissances civiques. Les raisons de ces mauvais résultats n’ont pas été clairement établies, mais pourraient être dues à l’importante polarisation dans le pays. Elles pourraient également découler du manque d’expérience des élèves libanais dans la prise de décision démocratique. Trois concepts de citoyenneté ont été couverts par l’étude, la démocratie, la bonne citoyenneté et la responsabilité de l’État. Les réponses des élèves aux questions concernant ces trois concepts ont été inégales. Ils ont répondu correctement à la description d’un bon citoyen, mais n’ont pas su donner les caractéristiques des systèmes démocratiques. Ce qui laisse penser que leurs réponses sont purement académiques. Les élèves libanais ont exprimé leur soutien total au rôle sécuritaire de l’État, probablement en raison des turbulences politiques dans le pays. Cependant, leur perception du rôle social de l’État est faible, de même que leur compréhension de la dimension sociale de la démocratie. Glorification des figures emblématiques Les jeunes Libanais ont montré une confiance limitée dans le gouvernement et dans les institutions, qu’elles soient politiques, judiciaires ou sécuritaires. Leur confiance dans les médias est également très faible, alors qu’ils ont exprimé une confiance absolue dans les institutions religieuses et les écoles privées. Le sentiment national des écoliers est très fort et empreint d’un net penchant pour le protectionnisme et la souveraineté. Mais il n’existe aucun consensus sur les options politiques nationales. À la question concernant la nomination de la figure historique nationale la plus emblématique, une seule figure, l’émir Fakhreddine, a été citée par 6,5 % de l’échantillon, alors que 34 % des élèves ont cité différentes figures historiques. Ce qui prouve que le fort sentiment national va plus à la glorification nationale qu’à une culture civique. La même ambiguïté est apparue dans les réponses des élèves à la question leur demandant de citer des pays amis ou ennemis du Liban. Les élèves ont montré une nette imprégnation par le système politique et confessionnel actuel. Ils affirment ainsi leur acceptation du système politique basé sur le confessionnalisme, indépendamment du principe du mérite personnel. Ainsi, plus de 75 % de l’échantillon a indiqué que les ministères doivent être distribués à égalité entre les chefs politiques. De même, plus de la moitié de l’échantillon a affirmé que les trois premières positions du pays doivent être distribuées aux trois principales communautés religieuses. Soulignant leur préférence pour la mixité à l’école, les jeunes Libanais refusaient cette mixité lorsqu’il s’agissait de considérer les mariages interreligieux. Concernant la culture de la loi, les étudiants attendent des autres qu’ils respectent la loi, mais leur esprit critique lors des violations de la loi est assez limité. Absence de sens critique La participation des élèves dans des activités de bénévolat et au sein d’associations est de manière générale très limitée. Leur intérêt pour la politique est en revanche élevé, que ce soit par leur appui à des courants politiques, ou par le biais de discussions politiques avec leurs proches et les membres de leurs familles concernant la situation locale. À ce niveau, ils dépassent bon nombre d’élèves d’autres pays. Cependant, la faiblesse des élèves libanais réside dans le fait qu’ils ne discutent pas de politique avec leurs enseignants. Cela prouve qu’à leurs yeux, l’école est réservée à l’acquisition des connaissances académiques et montre l’absence de sens critique des jeunes dans l’engagement politique. Par ailleurs, un pourcentage élevé d’élèves a exprimé le désir de participer à l’avenir à des activités politiques, mais en comparaison aux autres étudiants, les Libanais sont les moins enclins à participer à des activités de protestation, telles que bloquer des routes ou occuper des bâtiments publics. Analyse des résultats L’analyse des résultats a été effectuée en fonction de deux variables : l’une socio-économique, l’autre éducative. En effet, ces deux variables ont influencé les réponses des élèves au questionnaire, même s’il semble que les facteurs socio-économiques ont eu un impact plus important sur les résultats. Il semble aussi que l’éducation des élèves à la citoyenneté soit plus une affaire liée à l’environnement familial qu’au milieu éducatif. Les écoles n’accordent donc que trop peu d’attention à certains facteurs susceptibles de contribuer à l’éducation civique des élèves. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il est urgent de revoir les méthodes éducatives dans l’objectif de renforcer le rôle de l’école dans la socialisation des élèves. Plus le milieu socio-économique des élèves est élevé, plus leurs réponses sont exactes concernant l’instruction civique, et meilleure est leur compréhension des concepts de citoyenneté. De plus, les élèves issus d’un milieu socio-économique élevé sont plus ouverts à la mixité sociale et communautaire, ont plus tendance à accepter l’égalité des sexes et ont plus grande confiance dans les Nations unies. Ils sont aussi plus soucieux des biens publics, ont davantage tendance à accepter les mariages mixtes et affichent leur préférence pour une vie à l’extérieur du Liban. De plus, ils rejoignent plus facilement les clubs ou les associations. Les enfants de parents éduqués, ayant un nombre important de livres à la maison, font également preuve d’une plus grande compréhension des concepts de citoyenneté. Parallèlement, les élèves issus d’un milieu socio-économique défavorisé et dont les parents sont moins instruits sont plus impliqués dans des mouvements d’opposition, même s’ils font preuve d’une plus grande confiance dans le système politique, la police, les médias, l’enseignement public et qu’ils expriment leur amour pour la patrie. Ces élèves font aussi preuve d’une attitude plus conservatrice, préfèrent être entourés à l’école de membres de leur propre communauté religieuse et refusent l’égalité des sexes. Différences selon le sexe La connaissance civique, les attitudes et les actions diffèrent également selon le sexe. Ainsi, les jeunes filles ont obtenu de meilleurs résultats au niveau de la connaissance civique. Elles ont plus tendance à participer à des actions civiles et sociales (notamment artistiques), mais demeurent plus conservatrices que les jeunes gens concernant la mixité sociale, particulièrement les mariages mixtes. Elles expriment leur grande confiance dans les institutions civiles (municipalités et écoles) et se déclarent soucieuses de protéger le Liban et sa culture des pays qu’elles jugent menaçants. Paradoxalement, elles n’envisagent pas de participer dans le futur, à des actions bénévoles au profit de causes sociales. De leur côté, les jeunes gens ont exprimé une plus grande confiance dans les institutions étatiques (Parlement, Conseil des ministres, partis politiques), et sont en général plus intéressés par la politique. Leurs choix sont plus marqués concernant leurs chefs politiques préférés, leurs figures historiques emblématiques, ou les pays amis ou ennemis du Liban. Plus malléables à la possibilité de vivre à l’étranger, ils présentent néanmoins des idées stéréotypées concernant l’égalité des sexes. Peu enclins à s’investir dans l’école, ils préfèrent la participation à des clubs ou des associations. Les jeunes gens suivent régulièrement les informations dans les médias, bien plus que leurs camarades de sexe féminin, et indiquent clairement leur désir de participer à des activités politiques à l’âge adulte. Ils expriment aussi clairement leur volonté de participer à des activités politiques telles que des protestations d’ordre civique, comme par exemple l’inscription de slogans sur les murs, la fermeture de routes ou l’occupation de bâtiments publics. Les différences sont également significatives entre élèves des écoles publiques et ceux des écoles privées. En effet, ces derniers ont de meilleurs résultats dans les connaissances civiques et la compréhension des concepts de citoyenneté. Ils expriment une plus grande confiance dans les médias, dans les Nations unies et dans les écoles privées. Ils montrent aussi une plus grande acceptation des mariages mixtes et de l’égalité des sexes. Ils sont également plus intéressés à participer à des clubs ou des associations. De leur côté, les élèves des écoles publiques font preuve d’une plus grande confiance dans les institutions gouvernementales et dans les écoles publiques. Ils expriment leur amour pour le pays et leur préférence pour le protectionnisme dans le secteur industriel. Estimant qu’il est du devoir de l’État d’offrir des bourses scolaires aux plus démunis, ils soutiennent généralement le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah. Par ailleurs, ils ne croient pas en l’égalité des sexes. Méthodes d’enseignement Les résultats de l’étude montrent en outre une nette faiblesse des facteurs éducatifs comparés aux facteurs sociaux, au niveau des concepts, des attitudes et des actions. Cette faiblesse serait liée aux méthodes d’enseignement qui privilégient encore, dans de trop nombreuses écoles, le transfert de l’information aux élèves. En effet, ces derniers ne sont toujours pas confrontés à divers points de vue, ni entraînés à débattre ou à argumenter. Même si certaines réponses montrent que les élèves ont la liberté d’exprimer leurs opinions, l’ensemble de la méthode éducative ne peut mener à une éducation à la citoyenneté, car elle n’encourage ni les débats ni les discussions, pas plus qu’elle ne donne aux élèves l’opportunité de mener des recherches et des projets tout en présentant divers points de vue. De plus, les maîtres d’école ne sont pas bien formés pour enseigner l’instruction civique. Sur les 191 enseignants interrogés lors de l’étude, 41 % n’ont aucun diplôme en éducation. Ils ont plutôt des diplômes universitaires dans différentes disciplines, plus particulièrement en histoire, en droit et en sciences politiques. Mais la majorité d’entre eux n’ont reçu aucune formation d’enseignement. S’ils sont persuadés de leurs bonnes compétences, ils expriment le besoin de formation sur le contenu et les méthodes de l’enseignement civique, notamment de la part d’experts. Enfin, la majorité des enseignants ont une vision conservatrice des méthodes d’enseignement. Ils refusent souvent de discuter du choix des sujets avec les élèves et comptent plutôt sur les techniques de mémorisation et d’endoctrinement.
Leurs connaissances civiques, qu’elles concernent le Liban ou la communauté internationale, sont modestes, voire faibles. Leur application
des connaissances est encore plus mauvaise. Même s’ils comprennent les concepts
de citoyenneté, les élèves libanais de 14 à 15 ans sont à la traîne dans l’éducation à la citoyenneté par rapport aux élèves des États-Unis, de...