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Actualités - OPINION

Fonction publique et démocratie : de la monarchie à l’État moderne Fady FADEL

À l’article 21 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, nous lisons à l’alinéa 2 : « Toute personne a droit à accéder, dans des conditions d’égalité, aux fonctions publiques de son pays. » Or, quel rapport existe-t-il entre la fonction publique et la démocratie ? Max Weber, dans sa définition de l’État démocratique moderne, considère que « l’État est une entreprise politique de caractère institutionnel, lorsque et tant que sa direction administrative revendique avec succès, dans l’application des règlements, le monopole de la contrainte physique légitime ». Ce que cherche à mettre en évidence Weber, c’est que l’affirmation de l’État est allée de pair avec son institutionnalisation et sa bureaucratisation. Weber insiste ainsi sur le fait que, dans le cadre de l’État moderne, cette domination repose sur une vaste administration composée de fonctionnaires de carrière, spécialisés dans les tâches administratives et que, pour cette raison, cette domination étatique est devenue toujours plus anonyme et impersonnelle. Auparavant, dans le cadre du système féodal et même de la monarchie absolue, le pouvoir restait en quelque sorte un patrimoine, un bien privé pour celui qui l’exerçait. Les seigneurs féodaux étaient les propriétaires du pouvoir politique, dont ils disposaient à leur guise. De même, sous la monarchie absolue, l’État s’identifiait à la personne du roi. Il n’y avait d’ailleurs pas alors de nette séparation entre la caisse personnelle du roi et le budget de l’État, et les charges étatiques s’achetaient et se vendaient : c’est ce qu’on appelait la vénalité des charges et des offices. Il n’y avait donc pas de claire démarcation entre le privé et le public, entre le personnel et l’institutionnel. Cette situation change avec le développement de l’État moderne : les rôles et les activités étatiques s’institutionnalisent toujours plus, au fur et à mesure que se renforce la puissance étatique. Cette institutionnalisation se réalise dans le cadre d’une réglementation juridique toujours plus précise et de la bureaucratisation croissante des charges et des fonctions publiques. Les emplois publics sont de plus en plus différenciés des emplois privés : ils ne sont plus achetables ou échangeables. Ce sont de plus en plus des rôles définis, encadrés par des règles juridiques précises. 1) Les principales caractéristiques de la fonction publique – Les fonctionnaires sont des hommes libres (ce ne sont pas des esclaves ou des serfs comme dans les organisations administratives de l’Antiquité ou de la féodalité). En conséquence, ils n’obéissent qu’aux devoirs de leur fonction (et non aux exigences personnelles de leur maître ou de leur seigneur). – Ils sont recrutés en vertu d’un contrat à partir d’une sélection ouverte à tous les citoyens, ce qui garantit l’égalité d’accès de tous les citoyens aux emplois publics : dans le cas le plus rationnel, précise Weber, ils sont nommés en fonction de leur compétence professionnelle, laquelle est attestée par la possession d’un diplôme et vérifiée par le passage d’un examen. Cette sélection ouverte et méritocratique, par examen (ou par concours), est le mode de recrutement le plus caractéristique de l’État moderne. De ce fait, ces fonctionnaires doivent être de véritables professionnels de l’administration. – Leurs rémunérations sont fixées à l’avance selon une échelle de salaires établie : elles dépendent du rang hiérarchique qu’ils occupent et des responsabilités qu’ils assument (ce mode de rétribution exclut donc les faveurs discrétionnaires du pouvoir et de toute forme de profit réalisé par les fonctionnaires dans le cadre de l’exercice de leur fonction). – La progression dans la carrière doit se faire selon le double principe du mérite et de l’ancienneté (ce qui est censé limiter, voire empêcher, l’arbitraire et les pratiques discrétionnaires du pouvoir politique – qui, sinon, pourrait utiliser les promotions pour récompenser des fidèles, indépendamment de leur compétence réelle). – Enfin, ces fonctionnaires ne peuvent pas s’approprier leurs fonctions et leurs emplois (ils ne peuvent pas acheter leurs charges comme sous la monarchie et les léguer à leurs héritiers). 2) Les conséquences des caractéristiques de la fonction publique dans la vie du citoyen Pourquoi ces caractéristiques du fonctionnariat sont-elles les mieux adaptées à la mise en place d’une domination rationnelle, s’exerçant dans un cadre légal ? L’organisation administrative bureaucratique est perçue comme la plus rationnelle, parce que les agents de l’État sont recrutés en fonction de leur compétence et non plus en fonction de leur origine sociale ou de leur niveau de richesse (lorsque les charges étatiques étaient réservées à la noblesse ou pouvaient être vendues), ou encore de leur proximité familiale ou amicale avec le détenteur du pouvoir politique (lorsque les emplois étaient laissés à la discrétion de ce pouvoir). Ce mode de recrutement méritocratique est donc supposé être le plus rationnel puisqu’il permet, au moins en théorie, d’assurer la meilleure adéquation possible entre les capacités des agents de l’État et les tâches qu’ils auront à accomplir, et donc un fonctionnement efficace de la machine administrative. De plus, ce mode de recrutement semble non seulement le plus efficace, mais également le plus juste, puisqu’il est le plus égalitaire : tous les citoyens pouvant a priori accéder aux différentes fonctions étatiques et étant égaux aux concours. La fonctionnarisation des activités étatiques est aussi, en théorie, une condition du respect de la légalité et l’égalité entre les citoyens. En effet, le fait que les agents de l’État ne soient pas intéressés économiquement à l’exercice de leur fonction et n’obéissent qu’aux règlements objectifs rend leur comportement prévisible : ce qui représente une garantie de sécurité pour les citoyens, puisqu’ils sont normalement assurés que l’action des pouvoirs publics se réalisera dans le cadre de la loi et qu’ils sont protégés contre les décisions et les méthodes arbitraires. Enfin, la fonctionnarisation doit permettre d’assurer l’égalité de traitement de tous les citoyens par les pouvoirs publics, puisque la loi est la même pour tous et que les fonctionnaires n’ont aucun intérêt particulier à traiter différemment les citoyens. Cela dit, il faut souligner que ce modèle « idéal » connaît en réalité de nombreuses distorsions : la hiérarchie formelle est souvent contournée, la transmission des décisions et des informations n’est souvent pas optimale et, plus généralement, le facteur personnel, et le poids des réseaux informels réapparaissent fréquemment dans un modèle bureaucratique censé a priori demeurer dans la dimension impersonnelle et générale de la norme. Qu’en est-il du cas libanais ? Fady FADEL Professeur de droit public Article paru le samedi 27 décembre 2008
À l’article 21 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, nous lisons à l’alinéa 2 : « Toute personne a droit à accéder, dans des conditions d’égalité, aux fonctions publiques de son pays. » Or, quel rapport existe-t-il entre la fonction publique et la démocratie ?
Max Weber, dans sa définition de l’État démocratique moderne, considère que « l’État est...