Rechercher
Rechercher

Actualités - ANALYSE

Analyse Trente ans après les réformes, la Chine s’ouvre malgré elle

Rania MASSOUD Trente ans sont passés depuis que Pékin a fait le pari des réformes économiques, en 1978. Aujourd’hui, alors que la Chine est en passe de devenir la première puissance mondiale, de plus en plus de voix dissidentes s’élèvent en faveur d’une ouverture d’un autre genre, axée sur les droits humains. C’est lors de sa réunion du 18 au 22 décembre 1978 que le Parti communiste a entériné les réformes économiques, « marquant un tournant dans l’histoire du parti » depuis l’établissement de la République populaire de Chine. À cette époque, la Chine émergeait à peine du chaos de la Révolution culturelle (1966-1976) et connaissait encore les famines. Les réformes avaient tout d’abord été lancées dans les campagnes avec l’amorce de la décollectivisation des terres qui ont conduit à la disparition des communes populaires, avant d’être étendues à des zones économiques spéciales, créées pour attirer les capitaux internationaux et développer les échanges, puis de gagner les villes. Ainsi fut le « miracle » économique chinois. Depuis 1978, le PIB par habitant a doublé tous les neuf ans. Aujourd’hui, la Chine est en passe de devancer l’Allemagne pour devenir la troisième puissance économique mondiale. D’ici à 2025, elle devrait voler au Japon son deuxième rang et d’ici à 2038 détrôner les États-Unis à la première place mondiale. Appels à des réformes démocratiques Mais aussi spectaculaires soient-ils, les progrès sociaux enregistrés ces dernières décennies par la Chine ont prouvé leurs limites en n’affectant principalement que le niveau de vie matériel de la population. Les Chinois sont aujourd’hui plus riches et plus modernes qu’il y a trente ans, mais sont-ils pour autant plus libres d’exprimer leurs pensées ? La question mérite aujourd’hui d’être posée, d’autant plus que le 30e anniversaire de l’ouverture économique coïncide avec le 20e anniversaire de la création par le Parlement européen du prix Sakharov pour la liberté de la pensée. Cette année, le prix a été remis au dissident chinois Hu Jia, en son absence. Actif notamment sur la question de la liberté religieuse, la défense des séropositifs et l’autonomie du Tibet, M. Hu, 35 ans, a été condamné, en avril dernier, à trois ans et demi de prison pour « tentative de subversion » pour des propos publiés sur Internet et des entretiens accordés à la presse étrangère. Le 30e anniversaire du lancement des réformes économiques coïncide également avec le 60e anniversaire de l’adoption par les Nations unies de la charte des droits de l’homme. À cette occasion, plus de 300 intellectuels, avocats et défenseurs des droits humains chinois ont signé une charte appelant publiquement le parti au pouvoir à des réformes démocratiques. Parmi les 19 mesures prônées dans la charte, figurent la demande de la mise en place d’un système judiciaire indépendant, la liberté d’association et la fin du système de parti unique. Selon Mao Shaoping, signataire de la charte, « celle-ci porte les mêmes idées et valeurs que la Déclaration universelle des droits de l’homme, comme la liberté de la presse, la liberté d’association, l’indépendance de la justice, la liberté de religion et la protection de l’environnement ». « Elle ne comporte rien qui s’oppose à la Constitution de la Chine. » Le 9 décembre, les autorités chinoises ont arrêté plusieurs signataires de cette charte, dont Liu Xiabo, un ancien professeur de philosophie qui avait participé aux mouvements démocratiques de 1989 sur la place Tiananmen. Censure et peine de mort Par ailleurs, la conjonction des Jeux olympiques d’été de 2008 de Pékin et des manifestations au Tibet qui ont débuté quelques mois plus tôt avant d’être sévèrement réprimées a également été l’occasion de remettre au premier plan de la scène internationale la situation des droits humains en République populaire de Chine. Plusieurs organisations internationales ont été particulièrement critiques vis-à-vis de Pékin. « Le gouvernement chinois laisse ses promesses énoncées en 2001 – lors de l’attribution des JO à la Chine – lettre morte sans grande réforme en matière de libertés. Au contraire, les violations des droits humains persistent », accuse Amnesty International dans son dernier rapport sur la Chine. Selon l’organisation de défense des droits humains, la Chine est le pays qui exécute le plus de prisonniers : 80 % des exécutions mondiales ont lieu dans ce pays. Il existe 68 « crimes » passibles de la peine de mort, dont 28 économiques, tels que le détournement d’argent et la fraude fiscale. Toujours selon Amnesty International, Internet est strictement contrôlé « via un dispositif impressionnant, le plus sophistiqué et le plus étendu du monde ». Ces dernières années, plusieurs internautes ont été arrêtés et emprisonnés. Certains sont même condamnés à de très lourdes peines, comme Kong Youping à 15 ans de prison, Jin Haike à 10 ans et Tao Haidong à 7 ans. Plus récemment, certains sites en ligne, tels que la BBC, ont vu leur accès bloqué pour avoir estimé que la Chine et Taïwan sont deux États distincts ou pour avoir été trop favorables à la cause tibétaine ou encore pour avoir critiqué le Parti communiste. « Le contenu de ces sites est contraire à la loi chinoise », a tenté d’expliquer, mardi dernier, le ministre chinois des Affaires étrangères. Plus de libertés « La liberté d’expression connaît encore beaucoup d’obstacles en Chine », déclare Stein Tønnesson dans une entrevue accordée à L’Orient-Le Jour. Selon le directeur de l’International Peace Research Institute, à Oslo, « Pékin aurait dû profiter des JO pour améliorer la situation des droits humains. Les autorités chinoises ont, au contraire, saisi l’occasion pour renforcer leur contrôle ». M. Tønnesson note toutefois que la situation générale en Chine s’est améliorée de façon notable ces dernières années, surtout en matière de droits économiques et sociaux. « Aujourd’hui, de plus en plus de Chinois ont le courage d’exprimer leurs pensées et de manifester contre toute sorte d’injustice. Cela était beaucoup plus difficile il y a quelques années », explique-t-il. Hu Jia semble du même avis. Le lauréat du prix Sakharov 2008 affirme que « la Chine passe par l’une des périodes les plus ouvertes de son histoire ». « Il faut saisir cette opportunité pour promouvoir une Chine plus démocratique et plus libre », dit-il. Des mesures encourageantes Depuis l’an 2000, Pékin a adopté une série de mesures juridiques destinées à calmer les critiques occidentaux, notamment les États-Unis. Ainsi, en mars 2004, les autorités chinoises ont amendé la Constitution pour y ajouter que « l’État respecte et préserve les droits de l’homme ». Mais pour de nombreuses organisations internationales, ces promesses sont restées lettre morte. « La Chine a encore du chemin à parcourir », a par ailleurs récemment reconnu un haut responsable chinois. Dans une entrevue accordée à Chine nouvelle, la semaine dernière, Wang Chen, ministre en charge du Bureau de l’information du Conseil des Affaires d’État, estime que « les structures économiques et politiques chinoises restent encore à améliorer, que les systèmes démocratiques et judiciaires restent encore à perfectionner et que les gouvernements de tous les échelons doivent renforcer leur conscience de la protection des droits de l’homme et de l’exercice des pouvoirs administratifs en vertu de la loi ». La Chine « veut » être et « mérite d’être une superpuissance », a déclaré le dalaï-lama devant les eurodéputés le 4 décembre. Mais si elle a « la puissance humaine, militaire et économique, il y a un facteur important qui est l’autorité morale », et celle-ci « lui manque » à cause de son « mauvais bilan en matière de droits de l’homme », avait déclaré le Prix Nobel de la paix.
Rania MASSOUD

Trente ans sont passés depuis que Pékin a fait le pari des réformes économiques, en 1978. Aujourd’hui, alors que la Chine est en passe de devenir la première puissance mondiale, de plus en plus de voix dissidentes s’élèvent en faveur d’une ouverture d’un autre genre, axée sur les droits humains.


C’est lors de sa réunion du 18 au 22 décembre...