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Actualités - CHRONOLOGIE

Rencontre Akl el-Awitt, chasseur de nuages… Edgar DAVIDIAN

Le poète en sa demeure. Monde intérieur où tout est source d’inspiration. Avec son dixième opus, « Ingil Shakhsi », en devanture des librairies, Akl el-Awitt déploie les grandes arches sonores d’un vibrant « poème en prose » en langue arabe.Enseignant de journalisme et littérature à l’USJ, directeur de rédaction du Moulhak (supplément) du quotidien en langue arabe an-Nahar, Akl el-Awitt est pourtant ailleurs. Il est au mont du Parnasse où sa plume est aux aguets de tout ce qui touche son inspiration. Une inspiration qui fait feu de tout bois des événements, rencontres et pulsations de la vie. Une plume à l’écoute de soi et des autres, bien entendu, mais une plume qui donne aujourd’hui priorité à tout ce qui touche sa plus intime proximité. Avec Ingil Shakhsi (Évangile personnel) – 181 pages, al-Dar al-arabia lil ouloum nashiroun –, Akl el-Awitt va encore au plus profond de son aventure (et de sa dévotion!) d’écriture. Il livre ses «miroirs», ses reflets, ses mots… Des mots qui «sont la planche de salut de quelqu’un qui se noie…». Rencontre avec un poète porté au tragique, qui livre en toute simplicité, mais aussi un sens aigu de l’existence et de ses implications, des bribes de confidences et des lambeaux de rêves. Car la poésie garde immuablement des sous-bois non révélés, pertinemment secrets. La poésie, c’est la lecture de l’ombre, le décryptage des signes, l’art des raccourcis, la chasse aux nuages, l’espace des fulgurances, le cadrage des non-dits mis à la lumière du jour… Après sept ans de silence, vu les déchirures et les désordres au pays du Cèdre, publier pour Akl el-Awitt eut été «comme une attitude de narcissisme et d’égoïsme devant la douleur commune…». Écrits entre 2000 et 2001, voilà les textes du dégel et de la glace qui se brise… «Je me trouve, avec ce dernier recueil, au plus proche de mon humeur, et c’est la poésie, dit Akl el-Awitt. Mes rédactions en petites classes étaient de la poésie. Et c’est ce monde qui a formé l’essence de mon inspiration. Avec ce livre, j’aborde des rives différentes, celles de mon monde intérieur. L’oiseau qui se pose sur la balustrade d’un balcon, la vue de la mer de ma baie vitrée, la chambre où j’écris… Avec les objets et les êtres qui m’entourent, héros de mes pages et noyau de ma poésie, c’est mon refuge contre le désespoir cosmique. Tout d’abord avec mon titre Ingil Shakhsi, je tiens à préciser qu’il n’y a là aucune connotation religieuse. Non que je n’aie pas reçu une éducation religieuse, au contraire, mais je ne suis pas hanté par le problème de Dieu. Il s’agit ici de tout ce qui s’est passé après le 11-Septembre. De la vision apocalyptique du monde, je deviens un chasseur de nuages… Ce qui m’entoure et m’environne me sécurise. Ce que je croyais un monde vaste par le rêve et la folie a été vaincu. Ma mise n’est pas sur le monde externe, mais sur le pouvoir de monde intérieur. J’adore la vie et je la vis intensément, mais quand il n’y a plus de terre où se tenir, un pays auquel croire et qui ne peut vous protéger, il ne reste que le lieu poétique. Et ce lieu est meublé par quelques objets et surtout quelques êtres rares et précieux. En magnifiant et rendant hommage à cet univers solide et résistant, il y a encore ce “diwan” manquant, tribut à la femme aimée. Un “ diwan” qui ne sera jamais complet, un “diwan” aux pages toujours ouvertes car la femme est génératrice de poésie quand elle ne s’y fond totalement… C’est en cette direction là que j’ai entamé, en 1998, l’écriture du recueil  Iftahi al-Ayam li Akhtafi Waraaha (Ouvrez les jours pour que je m’y engloutisse.) C’était pour Manaï, alias ma femme, Joumana Haddad, ma muse, mon égérie. Et le “diwan” est toujours sans point final…» Pour Akl el-Awitt, qui garde la voix des « voyants » et des «mages» au chevet de son lit (Baudelaire, Rimbaud, Ungaretti, Michaux Rilke, Char, Ounsi el-Hajj et une place privilégiée à l’Évangile), la musique (Beethoven, Mozart, Miles Davis et Feyrouz) tout autant que la peinture (Guiragossian, Amine el-Bacha, Adel el-Siwi et Pierre Soulages) ont des correspondances secrètes et des affinités sélectives dans son univers. Mais dans tout cela, où est la place du poète dans la ville ? «Tout d’abord, j’oublie toute la poésie que j’ai lue quand j’écris... J’ai un fleuve intérieur impétueux que je ne pourrais écrire entièrement. Il me faut dix vies pour tout écrire… Si je suis équilibré dans la vie, je le dois à la poésie qui m’habite. Pour en revenir à la place du poète dans la ville : l’absence des lieux publics et la magnificence des objets et des êtres qui entourent le poète, c’est déjà le deuil des lieux publics… Plus je m’approche de la poésie, plus je rentre dans la mort. Je veux dire je sors de la mort par la poésie…»
Le poète en sa demeure. Monde intérieur où tout est source d’inspiration. Avec son dixième opus, « Ingil Shakhsi », en devanture des librairies, Akl el-Awitt déploie les grandes arches sonores d’un vibrant « poème en prose » en langue arabe.Enseignant de journalisme et littérature à l’USJ, directeur de rédaction du Moulhak (supplément) du quotidien en langue...