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Actualités - REPORTAGE

Environnement Le réchauffement climatique, une menace pour la sécurité internationale

Karine JAMMAL Accès aux ressources, migrations climatiques... Janos Bogardi, directeur de l’Institut de l’université des Nations unies pour l’environnement et la sécurité humaine, analyse l’impact sécuritaire du réchauffement climatique. Le réchauffement climatique n’a pas seulement un impact sur la nature, c’est aussi « un multiplicateur de menaces qui renforce les tendances, les tensions et l’instabilité existante», affirme un rapport publié le 11 mars dernier par les services du haut représentant de l’Union européenne, Javier Solana, et de la Commission européenne. Cette étude distingue plusieurs formes de menaces liées aux changements climatiques. Certaines ont pour cause l’accroissement des conflits sur l’accès aux ressources. « La pénurie d’eau, en particulier, est susceptible de provoquer des troubles civils et des pertes économiques substantielles, même dans les économies solides », expliquent les auteurs, qui mentionnent également « les tensions liées à l’approvisionnement énergétique». Pour analyser l’impact du changement climatique en matière de sécurité internationale, plusieurs éléments doivent être pris en considération. « D’abord, il faut définir la notion de sécurité internationale qui comprend à la fois la sécurité des États, la sécurité militaire et la sécurité humaine. Cette dernière est l’échelle qui sera le plus touchée », souligne le directeur de l’Institut de l’université des Nations unies pour l’environnement et la sécurité humaine (UNU-EHS), Janos Bogardi. La sécurité humaine comprend notamment la famille, la communauté, les activités humaines (le travail, l’alimentation, la santé…). Pertes de territoire Les zones côtières, où vit près d’un cinquième de la population mondiale, sont particulièrement menacées par le réchauffement climatique. « L’élévation du niveau de la mer peut entraîner la disparition de petits îlots, mais il ne faut pas s’affoler, ce n’est pas demain qu’un pays membre de l’Organisation des Nations unies va disparaître de la carte», affirme le professeur Bogardi. Par contre, l’impact du changement climatique peut être beaucoup plus grave au niveau des deltas. En Afrique du Nord, le delta du Nil risque de souffrir de la hausse du niveau de la mer et de la salinisation des zones agricoles. De même, dans la région de l’Inde, du Bangladesh et du Pakistan, la diminution des glaciers de l’Himalaya mettra en péril l’approvisionnement en eau. « Pour des millions de personnes, les changements lors de la mousson annuelle auront une incidence sur l’agriculture et la hausse du niveau des mers ainsi que les cyclones menaceront l’habitat autour de la baie peuplée du Bengale », met en garde l’expert. Ce phénomène aura des effets négatifs sur l’économie, l’industrie et la production agricole entraînant des disparités économiques, politiques voire militaires, pouvant aboutir à des conflits. Le changement climatique n’est pas seulement un problème pour les pays pauvres, il représente également un véritable défi pour les pays industrialisés. « La magnitude des catastrophes naturelles augmente, on a pu le voir récemment avec le cyclone Katrina qui a ravagé une partie des États-unis ou encore avec le fameux tremblement de terre du Sichuan », souligne M. Bogardi. Les migrants climatiques La perspective d’un réchauffement de la planète a, par ailleurs, donné naissance à un nouveau concept : l’« immigration climatique ». Selon les Nations unies, on dénombrera d’ici à 2020 des millions de migrants environnementaux. Mais c’est un processus qui est déjà en route, « la migration issue du réchauffement climatique va augmenter d’ici aux 10 années à venir », estime Janos Bogardi. En Afrique, par exemple, le changement climatique va favoriser l’augmentation des populations du Sahel. « Le réchauffement crée une véritable ligne qui traverse l’Afrique. La situation devient critique : manque d’eau, perte de fertilité des sols, agriculture dévastée. Toutes ces composantes sont des signes avant-coureurs de migration », explique le spécialiste. Le phénomène des migrations climatiques n’est pas seulement international, il est également national et régional « ce qui constitue un véritable défi de sécurité de certains pays qui vont devoir faire face à une explosion démographique dans certaines zones », ajoute M. Bogardi. Or une forte concentration de personnes en un endroit pas nécessairement prêt, en matière d’infrastructure notamment, à accueillir ces personnes n’est pas sans risques en matière de sécurité. Face à cette situation, l’UNU-EHS a lancé, cette année, un projet appelé « Environment and climate change towards Europe ». « Les chercheurs ont travaillé sur 22 pays et ont interrogé des migrants ou bien des migrants potentiels. À première vue, ces personnes sont des migrants économiques, toutefois se sont souvent des agriculteurs qui n’arrivaient plus à cultiver leurs terres en raison de la sécheresse et qui cherchent un avenir meilleur ailleurs. Donc la base de leur migration est le réchauffement climatique », indique le spécialiste. Les populations africaines sont les plus touchées par le changement climatique. « 10 % des migrants africains arrivent en Europe. Récemment, 2 à 4 millions d’Africains sont arrivés sur le Vieux Continent. On ne peut pas connaître le chiffre exact, vu que la plupart de ces personnes viennent illégalement », explique le professeur. Cependant, la plus grande part de migration se fait au sein même du continent africain. « Il y a dix fois plus de migrants au sein même des pays africains. Cela favorise la fragilité et l’insécurité du continent noir », poursuit M. Bogardi. Ainsi, deux millions de Maliens se trouvent en Côte d’Ivoire pour travailler dans les plantations de noix de coco. Lorsque la situation devient instable dans ce pays, ces deux millions de Maliens rentrent chez eux, un pays qui compte déjà 11 millions de personnes. « Vous imaginez les problèmes que ça peut créer ? », ajoute le spécialiste. Y a-t-il une solution ? Pour gérer le problème des migrations climatiques, M. Bogardi propose « l’approche des 5 doigts », à savoir cinq angles de travail qui doivent être lancés en simultané. « Tout d’abord, il faut avoir une connaissance exacte des sources et des différentes cibles des flux migratoires. Il faut qu’il y ait une vulgarisation du problème, non pas pour alarmer les politiques et les populations, mais pour leur expliquer la raison humanitaire du phénomène. Les dirigeants politiques aident les réfugiés politiques, mais il n’y a aucun instrument international pour reconnaître les réfugiés climatiques. Il y a d’ailleurs un débat à l’ONU sur cette question », explique le spécialiste. Ensuite, il faut créer un cadre légal pour justement reconnaître ces réfugiés. « Certaines personnes veulent coupler la notion de réfugié politique à celle de réfugié écologique. Mais ici, c’est une question d’interprétation et cela pourrait être dangereux de jumeler les deux », estime M. Bogardi. « Par ailleurs, il faut donner des moyens et des mandats aux organisations humanitaires pour aider ces personnes. Et il faut, enfin, créer une institution sur la migration nationale et internationale pour éviter qu’elle ne se déroule de façon illégale », conclut le spécialiste.
Karine JAMMAL

Accès aux ressources, migrations climatiques... Janos Bogardi, directeur de l’Institut de l’université des Nations unies pour l’environnement et la sécurité humaine, analyse l’impact sécuritaire du réchauffement climatique.
Le réchauffement climatique n’a pas seulement un impact sur la nature, c’est aussi « un multiplicateur de menaces qui...