Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Faux parallèles et vraies différences Edmond CHIDIAC

J’ai lu attentivement l’interview donnée par le général Michel Aoun à Mlle Scarlett Haddad dans L’Orient-Le Jour du mercredi 19 novembre, intitulée « Ma visite à Damas sera comme celle de De Gaulle en Allemagne ». Intéressé par la comparaison, j’appelle mon pote aouniste pour avoir de plus amples explications. Je commence d’abord par l’introduction : « Quand il fait la guerre, les Libanais tremblent, et quand il fait la paix, ils poussent un soupir de soulagement. » Si je ne m’abuse, le général Aoun n’a fait que la guerre quand il était aux commandes. Et les Libanais ont bien tremblé face aux résultats dramatiques qu’elle a engendrés à l’époque. Dans un passé plus récent, ce n’est pas lui qui a fait la guerre, ni la paix d’ailleurs. Les Libanais ont tout de même tremblé devant celles déclenchées par ses alliés du Hezbollah en 2006 puis en 2008. Des guerres pour lesquelles il n’a pas été consulté. À quand le soupir alors ? Je lis également dans l’interview : « Ce qui facilite les choses, c’est que ceux qui étaient au pouvoir à cette époque en Syrie ne le sont plus aujourd’hui. » Alors, je dis à mon pote aouniste que la vieille garde est toujours là, que le régime n’a pas changé. « Mais non, me répondit-il, tu ne comprends rien ! Tout a changé. Les méchants ne sont plus là : Ghazi Kanaan, le général Sleimane, Khaddam… » Suis-je bête. Seul Michel Kilo et quelques autres sont toujours là, à la même adresse d’ailleurs, pour nous rappeler que la Syrie est la terre du lait et du miel. « Nous avions tous les deux hérité d’une situation très difficile, mais il était impossible de la traiter à l’époque (1989) car les difficultés dépassaient la région. » Alors là, je donne ma langue au chat. Pourquoi, dans ce cas, déclencher une guerre de libération ? Bref, c’est trop compliqué, la haute stratégie. Passons à autre chose. Par exemple : « Après la guerre israélienne de 2006, on a cherché à imposer une nouvelle donne au Liban. Mais forts de l’expérience des années 80, nous avons tiré la leçon du passé et nous avons empêché la réalisation de ce scénario, sauvant ainsi notre pays. » Je cherche dans ma mémoire puis dans mes archives. Durant les premières semaines de la guerre de 2006, le général Aoun a gardé un étonnant mutisme. En politique, quand on ne dit rien, c’est seulement pour voir qui va gagner. « Mais non, me dit mon pote aouniste. C’est le général qui a sauvé le pays ! Certes, il n’était pas représenté au gouvernement qui, pour la première fois, a fait preuve durant cette période d’une étonnante cohésion, de l’aveu même du président Berry. Certes, ce sont les combattants du Hezbollah qui ont été au casse-pipe ! Certes, c’est Siniora qui a refusé le premier projet (humiliant) de résolution de l’ONU et qui a obtenu la 1701 avec l’accord du Hezbollah. Mais c’est le général qui a sauvé le pays ! Si tu ne le comprends pas, c’est que tu es payé pour ne pas comprendre ! » Le problème est que je ne comprends pas, mais je n’ai toujours rien encaissé. Puis le général Aoun compare sa prochaine visite à Damas à celle du général de Gaulle en Allemagne. Je compare les deux généraux : quelques années-lumière les séparent. Le premier s’est battu contre ses ennemis et même ses alliés pour défendre les intérêts de sa patrie occupée. Le second combat ses alliés de 2005 avec ses ennemis ancestraux devenus alliés indéfectibles. Puis je revois mes références. Devinez quoi : quand le général de Gaulle se rend en Allemagne en visite officielle (en 1963 pour la première fois, si je ne me trompe), le régime nazi avait depuis longtemps cessé d’exister. La RFA était devenue une démocratie dirigée par un grand homme, Konrad Adenauer, qui tentait sincèrement, depuis 1949, de se rapprocher de la France. Ici, nous allons avoir des relations diplomatiques avec un État qui ne veut pas délimiter les frontières, qui maintient au Liban des milices armées, palestiniennes ou autres, qui traite plus avec des chefs de parti qu’avec l’État. Heureusement qu’il voue pour notre pays une affection sans bornes. En fait, il n’aime que les éléments représentatifs, c’est-à-dire tout le monde sauf le patriarche, Dar el-Fatwa, le 14 Mars et même les neutres. Et moi qui entends encore le bruit des obus syriens, durant les bombardements des régions chrétiennes en 1978 et 1981, de 1984 à 1986, puis en 1988 et 1989. J’entends aussi la voix du général Aoun dénonçant le régime de Damas à cause du 13 octobre 1990 puis de l’occupation du Liban entre 1991 et 2005. Je l’entends encore l’accuser d’avoir assassiné le président Rafic Hariri, dire que les fermes de Chebaa ne sont pas libanaises, que le Hezbollah devrait être désarmé… Bachar est donc un démocrate incompris, un fils spirituel d’Henri Dunant avec un zest de Baden-Powell. Il y a eu tant de changements en Syrie et je n’ai rien vu. « T’as besoin d’un ophtalmologue, me dit mon pote aouniste. J’en connais un à Damas… » Non merci, ça ira. Alors comme ça, la visite du général de Gaulle en Allemagne est à l’origine de la création de l’Union européenne ? « Mais oui, me dit mon pote aouniste, c’est lui qui a tout fait, les généraux font tout ! » Pourtant, à la création de la CECA en 1951, à la conclusion du traité de Rome en 1957 instituant la CEE, le général de Gaulle n’était pas au pouvoir. À la conclusion du traité de Maastricht en 1992, il célébrait sa 22e année dans l’au-delà… Alors, terminons sur un point : dans l’énumération des pays de la région d’où les chrétiens ont tendance à émigrer, le général Aoun cite Israël et l’Irak. Quand il ira à Damas, il verra peut-être qu’en Syrie, ils ne sont plus si nombreux. Sauf si Ghawar el-Toché se déguise en curé mixant l’hymne du Baas avec les vêpres. En Iran, on lui a bien présenté un pauvre bougre qui lui a dit que les chrétiens sont heureux en Iran, qu’ils y prospèrent. Pauvre général ! S’il avait su que depuis 30 ans, le nombre de chrétiens en Iran a été réduit des deux tiers1, que les minorités sont persécutées, que les convertis au christianisme sont passibles de mort, il aurait poussé un cri « persan »… Edmond CHIDIAC Professeur d’histoire 1-Voir « L’Iran au XXe siècle », Digard, Hourcade et Richard, Fayard, 2007, p. 452. Article paru le mercredi 26 novembre 2008
J’ai lu attentivement l’interview donnée par le général Michel Aoun à Mlle Scarlett Haddad dans L’Orient-Le Jour du mercredi 19 novembre, intitulée « Ma visite à Damas sera comme celle de De Gaulle en Allemagne ». Intéressé par la comparaison, j’appelle mon pote aouniste pour avoir de plus amples explications.
Je commence d’abord par l’introduction : « Quand...