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Revenir quand tout le monde songe à quitter Paul MAAKAD

J’ai pu comprendre réellement que j’étais le fruit d’une diaspora dont les origines étaient inévitablement la guerre du Liban. J’ai pu le comprendre, bien plus qu’à travers les livres d’histoire, par la rencontre de personnes qui, comme moi, sont nées et ont grandi loin du pays mais qui aujourd’hui reviennent pour une raison ou une autre. J’ai commencé à découvrir toute la superficialité de la stabilité dans laquelle le Liban vit aujourd’hui par une rencontre également ; celle d’une fille, chrétienne, qui me confia qu’elle en « avait marre de la vie ici ». Et quand je lui dis que j’avais la double nationalité – française et libanaise – et que j’étais venu à Beyrouth pour apprendre l’arabe et vivre dans le pays d’où j’étais originaire pour comprendre ce que cela voulait dire d’être libanais, elle me rétorqua, étonnée : « Mais qu’est-ce que tu viens faire ici ? C’est la “fawda”, on ne trouve de travail que grâce à un clientélisme latent : les salaires sont de misère et puis la mentalité des gens est horrible » – allusion au célèbre « show-off » libanais. Ce dégoût pour le Liban, je l’ai senti chez elle d’autant plus qu’elle cherchait par tous les moyens à quitter le pays, à obtenir un passeport étranger, européen ou américain, par mariage en l’occurrence, fût-ce en payant l’époux. Tout se passait comme si elle était la preuve – et avec elle une partie de la jeunesse, voire de la population libanaise – que les effets de la guerre se font sentir jusqu’à aujourd’hui. Et voilà que je perçois dans l’histoire de cette fille la même volonté que celle que mes parents ont eue à l’époque de la guerre du Liban – s’en aller. Alors que, dans le cas d’une guerre, une telle attitude, à savoir celle de vouloir fuir, est logiquement compréhensible, semblable désir dans un contexte de paix apparente pousse à se demander justement si, de paix, il n’y a que l’apparence. De cette question, elle me dressa un portrait pessimiste : paix sociale tout d’abord, loin d’être acquise au vu d’une économie incapable d’intégrer entièrement les forces vives du pays, lesquelles n’ont souvent comme seul recours que de plier bagage, privant ainsi le Liban des compétences d’une jeunesse pourtant indispensable à sa bonne santé. Paix civile d’autre part, jamais atteinte durablement dans un pays qui, comme le dit Samir Kassir dans son livre La guerre du Liban, se caractérise par une « sensibilité structurelle aux changements survenant dans son environnement ». C’est ainsi que cette jeune fille me faisait part de son inquiétude face à un éventuel conflit entre l’Iran ou la Syrie, et les États-Unis d’Amérique, et à ses répercussions inévitables sur le sol libanais. . Élevé en Europe, j’ai ressenti un manque identitaire qui m’a poussé à revenir découvrir mes racines. Comme d’autres, j’essaie de saisir toute l’étendue de la culture et la complexité de l’histoire millénaire dont je suis le porteur et l’héritier. Les cours de sciences politiques du Moyent-Orient que je suis en train de suivre m’aident en ce sens ; plus encore, c’est la rencontre de personnes, comme cette fille, qui m’aide à percevoir le malaise des enfants du Liban. Je n’ai voulu écrire ces quelques paragraphes qu’afin de relater naïvement le sentiment d’une société qui, derrière le « show-off » de ses 4x4, derrière la vie nocturne des pubs de Gemmayzé et discothèques de Maameltein, cache un vide existentiel qui, face à l’incapacité de l’État à s’occuper de son avenir, trouve souvent une échappatoire dans son désir de départ pour l’étranger et qui donne tout son sens à cette phrase qui m’a souvent été lancée : « Comment se fait-il que tu reviennes au Liban alors que les gens ici essaient de partir ? » Article paru le mercredi 26 novembre 2008
J’ai pu comprendre réellement que j’étais le fruit d’une diaspora dont les origines étaient inévitablement la guerre du Liban. J’ai pu le comprendre, bien plus qu’à travers les livres d’histoire, par la rencontre de personnes qui, comme moi, sont nées et ont grandi loin du pays mais qui aujourd’hui reviennent pour une raison ou une autre.
J’ai commencé à...