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Actualités - OPINION

De Sparte à Beyrouth, en passant par Athènes Pr Antoine COURBAN

La lecture du document dit de stratégie de défense proposé par le général Michel Aoun aux membres de la commission de dialogue national peut surprendre de prime abord. Un examen attentif du contenu du document laisse rêveur car ce qui est ainsi décrit est une situation peu commune dont il existe quelques exemples historiques, pas très nombreux, il est vrai. Le Liban dont parle le général Aoun est aux antipodes du « message » qu’évoquait le pape Jean-Paul II. Ce Liban « orange » fait écho à la société édifiée par Ho Chi Minh durant les guerres du Vietnam. Certaines propositions étonnantes, comme ces comités chargés de sélectionner les habitants (et non les citoyens ) selon des critères physiques et moraux afin d’accéder au statut de « résistant », ne sont pas sans rappeler le nazisme des grandes manifestations de Nuremberg. L’acharnement que met ce document à asservir l’individu à la masse, fût-elle résistante, n’a rien à envier à certains aspects de la société sioniste des premières colonies du début du XXe siècle. L’ironie du sort veut donc que le Liban du général, supposé devenir une société de guerre totale antisioniste, prenne son modèle chez l’ennemi. Mais par-delà les siècles, le modèle le plus complet et le plus éclairant qui puisse rendre intelligible le Liban de Michel Aoun est celui de Sparte, l’ennemie jurée d’Athènes et de sa démocratie. Tout homme cultivé a entendu parler de la guerre du Péloponnèse qui opposa Sparte à Athènes et dont le magnifique récit historique, soigneusement consigné par Thucydide, demeure la bible de toute réflexion sur la notion de cité, de son organisation politique et, surtout, de l’esprit de citoyenneté qui caractérisait Athènes et auquel Sparte demeurait imperméable. Je me suis surpris à anticiper le résultat des futures législatives libanaises. Le risque est grand de les voir ressembler aux élections allemandes de novembre 1932 qui, en toute légalité, permirent à Hitler et ses bandes nazies de prendre le pouvoir en janvier 1933. Ce vote du peuple allemand de 1932 coûtera 55 millions de morts à l’humanité. Ainsi, les électeurs libanais peuvent suivre le général Aoun et décider que leur Athènes, Beyrouth la débonnaire, a assez vécu et qu’il est temps qu’elle se transforme en une Sparte austère et belliqueuse à outrance. Comme dans l’issue de la guerre du Péloponnèse, ils peuvent librement mettre fin à la démocratie, au pluralisme, à leur désordre bon enfant, au profit de la tyrannie d’une société entièrement vouée au combat et à la culture de la mort. Tel est l’enjeu, il n’y a pas d’alternative intermédiaire. L’électeur est acculé au pied du mur. Il lui appartient de choisir entre la liberté et la soumission librement consentie. Le Liban stratégique de Michel Aoun est une Sparte revue et corrigée par Naïm Qassem. Déjà, du temps de la guerre du Péloponnèse, Sparte était l’alliée de la Perse qui la comblait d’argent et d’armes. La Sparte libanaise est une société où la qualité suprême que peut acquérir un individu est le titre non de citoyen, mais de résistant. Le régime est une oligarchie entièrement tournée vers la chose militaire, vivant au bruit des bottes, des hurlements d’entraînements intensifs et de fracas des armes. Pour combattre qui ? Le général est décidé à éradiquer Israël, ce qu’on savait déjà. Mais il nomme un autre ennemi qu’il appelle les « terroristes intégristes » qui semblent pulluler à l’intérieur. Ainsi, il existerait un ennemi intérieur. Il n’est pas interdit de penser qu’il puisse s’agir de ce « sunnite » qui, comme chacun le sait, est un terroriste sanguinaire dans l’âme, auquel le général voue une haine que seule une analyse de ses affects inconscients pourrait expliquer. Si, pour éradiquer l’ennemi extérieur, des fusées, des bombes et tous les accessoires militaires peuvent suffire, on se demande comment fera le général pour débarrasser sa Sparte libanaise, revue et corrigée par Naïm Qassem, de l’ennemi intérieur. Le grand chef athénien, Périclès, savait pourquoi il fallait s’opposer à Sparte. L’enjeu, au-delà des intérêts de puissance, était celui de civilisation : « Nous sommes les seuls à penser qu’un homme qui ne s’occupe pas de politique n’est pas un citoyen paisible mais un citoyen inutile. » Athènes la démocratique était opulente grâce à son commerce et ses alliances plus ou moins labiles au sein de la Ligue de Délos. Elle était comme Beyrouth, comme le Liban de toujours. « Chez nous, il n’est pas honteux d’avouer sa pauvreté ; il l’est bien davantage de ne pas chercher à l’éviter. » Critiquant l’éducation spartiate, Périclès ajoute : « D’autres peuples, par un entraînement pénible, accoutument les enfants dès le tout jeune âge au courage viril ; mais nous, malgré notre genre de vie sans contrainte, nous affrontons avec autant de bravoure qu’eux des dangers semblables. » Par-delà les siècles, il n’y a pas meilleure réponse au document stratégique du général Aoun. Que chaque homme libre du Liban se rassure ! Pour défendre le Liban, ce sont les vertus de la démocratie et de la liberté qu’il faut mettre en œuvre. Le programme spartiate du général Aoun, revu et corrigé par Naïm Qassem, est antidémocratique, non respectueux de la personne humaine et de sa dignité éminente en tant qu’individu. En cela, cette vision se révèle foncièrement antichrétienne. Par son projet spartiate, revu et corrigé par Naïm Qassem, Michel Aoun ne représente que lui-même et certainement pas les Libanais chrétiens dans leur ensemble. Il est historiquement vrai qu’Athènes fut vaincue, et à la démocratie succéda la tyrannie. Mais depuis 25 siècles, toute nation civilisée se reconnaît dans la fragile Athènes Seuls certains régimes barbares, comme les nazis, ont glorifié Sparte. L’électeur libanais, au moment de choisir, devra avoir présent à l’esprit le mot de Périclès : « Loin d’imiter les autres, nous donnons l’exemple à suivre. » Oui, Beyrouth restera le modèle à suivre. Beyrouth ne sera pas Damas, Téhéran ou Nuremberg. 1- Toutes les citations sont tirées de l’ « Oraison funèbre » de Périclès telle que la rapporte Thucydide dans « L’Histoire de la guerre du Péloponnèse » Article paru le mercredi 26 novembre 2008
La lecture du document dit de stratégie de défense proposé par le général Michel Aoun aux membres de la commission de dialogue national peut surprendre de prime abord. Un examen attentif du contenu du document laisse rêveur car ce qui est ainsi décrit est une situation peu commune dont il existe quelques exemples historiques, pas très nombreux, il est vrai.
Le Liban dont parle...