Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

L’histoire du Liban à travers ses sites inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco

À l’occasion du 65e anniversaire de l’indépendance du Liban, nous constatons que nous manquons toujours d’un livre d’histoire commun à tous les Libanais. C’est un travail que les autorités libanaises sont appelées d’urgence et de manière prioritaire à accomplir. Il me semble utile de retracer cette histoire libanaise à travers les sites du Liban inscrits au patrimoine de l’humanité de l’Unesco. Le Liban a cinq sites inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité de l’Unesco. Ce programme est l’un des programmes phares de l’Unesco régi par la convention du patrimoine mondial de 1972. Les sites sont répartis entre sites culturels, sites naturels et paysages culturels soumis à des critères spécifiques de sélection. La demande d’inscription émane des autorités du pays concerné, mais elle n’est reçue que sur base d’un solide dossier rigoureux et précis par le comité du patrimoine mondial, sur avis consultatif de comités d’experts (Icomos; UICN). Une fois inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité, le site est protégé par certaines réglementations dont les défaillances pourraient entraîner sa radiation ou sa mise sur la liste du patrimoine en péril. L’État national en requérant l’inscription sur la liste du patrimoine mondial s’engage à respecter certaines contraintes assorties à cette inscription. L’entretien du site demeure du ressort de l’État et le suivi de la préservation du site relève de la compétence de l’Unesco. La liste du patrimoine mondial place donc côte à côte les sites considérés comme patrimoine de l’humanité. Par cette forme de reconnaissance, ils passent du niveau national au niveau mondial, tout en restant à la charge de l’État national en vertu du principe sacro-saint en droit international de la souveraineté nationale (l’autorité de l’Unesco reste morale et intellectuelle). La liste des sites inscrits sur le patrimoine mondial fournit d’autre part des indications précises sur l’histoire d’un pays et sa capacité à assumer sa propre histoire. On donne à l’humanité ce qu’on considère être le meilleur chez soi. Le Liban, à l’instar des autres pays, a cinq sites inscrits sur la liste du patrimoine mondial. Quatre sites culturels (Tyr, Byblos, Baalbeck et Anjar) et un paysage culturel (la montagne des Cèdres et la vallée sainte de la Qadisha). Ces cinq sites donnent dans leur ensemble une idée globale de l’histoire libanaise et de sa diversité géographique : deux sites sur la côte (Tyr, Byblos), deux sites dans la plaine (Baalbeck, Anjar) et un site dans la montagne (Cèdres et Qadisha). Les deux sites de la côte (Tyr et Byblos) témoignent du passé phénicien du Liban (deux villes sur les quatre villes phéniciennes importantes identifiées au Liban, les deux autres étant Sidon et Beryte). Certes ces deux villes comportent d’autres vestiges (romains, arabes, croisés) mais elles demeurent à la base reliées au passé phénicien du Liban et à l’invention du premier alphabet phonétique, ancêtre de l’alphabet grec (dont sont issus les alphabets latin, cyrillique, gothique et copte) et de l’alphabet araméen (dont sont issus les alphabets hébreux, syriaque, arabe et mandéen). Les deux sites de la plaine (Baalbeck et Anjar) témoignent de la vocation de la plaine du Liban d’être une terre de passage et un passage obligé pour les empires qui ont régné au Proche-Orient, l’Empire romain avec Baalbeck et l’Empire omeyyade arabe avec Anjar. Le site de Baalbeck est monumental et fort imposant. Il témoigne de la grandeur de l’Empire romain et aussi de son extrême tolérance. En effet, ce centre uniquement cultuel nécessita trois siècles pour être achevé et fut construit non point par les Romains mais par les autochtones, auxquels il fut permis, en échange de la construction des temples à la gloire de Rome (Jupiter, Bacchus, Vénus), de célébrer leurs propres dieux (Baal), ce qui explique la grande superficie du site. En effet, les Romains et les Grecs célébraient leurs dieux à l’intérieur des temples alors que les sémites s’acquittaient de leurs devoirs religieux sur des autels dressés en plein air à l’intérieur de vastes cours, ce qui explique la combinaison de ces deux éléments à Baalbeck (temples et autels en plein air). Les Romains, qui croyaient au dieu-père (Jupiter : Diu Pater), essayaient d’en découvrir l’équivalent chez les peuples qu’ils avaient conquis (Jupiter-Baal en Phénicie, Jupiter-Amon en Égypte). Ainsi, ils laissaient la liberté du culte religieux en contrepartie de l’allégeance politique. Tout en étant romain, le site de Baalbeck a été érigé par les Phéniciens. Quand on visite aujourd’hui Rome avec ses vestiges de l’Antiquité, on apprécie encore plus la grandeur de Baalbeck et la tolérance de l’Émpire romain antique. Quant au site de Anjar, il témoigne de la proximité avec l’Empire arabe omeyyade (661-750) et sa capitale Damas. Les califes omeyyades avaient leur palais d’été à Anjar. La civilisation arabe omeyyade a été, longtemps, à son apogée et dans ses prolongements (Andalousie 711-1492) une civilisation d’ouverture et de rayonnement culturel. Les deux empires arabes historiques ont été : celui des Omeyyades(661-750) qui eut pour capitale Damas, et celui des Abbassides (750-1258) et qui eut pour capitale Bagdad avant sa prise tragique par Holako le Mogol (fin des empires arabes). Le cinquième site est le premier classé par l’Unesco au titre de paysage culturel (produit par la nature mais avec une connotation culturelle). J’avais moi-même eu l’honneur de représenter le Liban nouvellement élu à la réunion du comité exécutif du patrimoine mondial en décembre 1993 à Carthagène en Colombie. C’est lors de cette réunion que le concept de paysage culturel avait été élaboré. La candidature de la montagne des Cèdres et de la vallée sainte venait d’être refusée au titre de site naturel (qui doit être intact et non entamé, exemple la forêt d’Amazonie ou les chutes du Niagara). Par ailleurs, plusieurs sites ont été classés plus tard au titre de paysage culturel, notamment aux États-Unis qui œuvraient à l’époque à séparer (autonomie) le centre du patrimoine mondial (qu’ils finançaient en grande partie) avant leur retour en 2003 à l’Unesco après une absence de presque vingt ans (1984). Le site de la montagne des Cèdres et la vallée de la Qadisha est très important à un niveau symbolique pour l’identité libanaise car il témoigne du culte de la liberté religieuse (Qadisha) et de la liberté tout court (Cèdres). Ces cinq sites libanais inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco devraient aider les Libanais à revoir la richesse de leur histoire et la complexité de leur terre en tant que lieu de rayonnement au cœur de la Méditerranée (côte), voie de passage obligée (plaine) et montagne refuge pour les minorités persécutées. Cet héritage, bien sûr, appartient aujourd’hui dans son ensemble à tous les Libanais et demeure leur bien commun le plus éloquent et le plus précieux. Bahjat RIZK
À l’occasion du 65e anniversaire de l’indépendance du Liban, nous constatons que nous manquons toujours d’un livre d’histoire commun à tous les Libanais. C’est un travail que les autorités libanaises sont appelées d’urgence et de manière prioritaire à accomplir. Il me semble utile de retracer cette histoire libanaise à travers les sites du Liban inscrits au...