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Actualités - ANALYSE

Analyse Que reste-t-il de la France du général de Gaulle ?

Abou Dhabi – Rania MASSOUD Souvent accusé par ses détracteurs de vouloir rompre avec l’héritage du « père » fondateur de la Ve République, le président français Nicolas Sarkozy serait-il, au contraire, tenté de renouer avec le pragmatisme gaullien? Plus de 38 ans après la mort du général Charles de Gaulle, la Fondation Charles de Gaulle, l’Institut du monde arabe et l’Université Paris Sorbonne à Abou Dhabi ont organisé, les 16, 17 et 18 novembre, un colloque autour du thème « Le général de Gaulle et le monde arabe ». L’événement est venu rappeler la vitalité du souvenir laissé par l’ancien chef d’État français sur le monde ainsi que la force pérenne de son discours face à des problématiques plus contemporaines. Ce colloque est par ailleurs une occasion d’évaluer ce qui reste de l’héritage du père fondateur de la Ve République, notamment en matière de politique étrangère et militaire. Plus de quarante ans sont passés depuis que le général de Gaulle a pris ses distances avec les États-Unis, quittant l’organisation militaire intégrée de l’OTAN, critiquant la guerre américaine contre le Vietnam et décrétant un embargo sur les armes à destination des protagonistes de la guerre des Six-Jours, notamment Israël. Depuis, les successeurs du général ont progressivement renoué avec Washington, sans toutefois remettre en cause la ligne gaullienne. Et en 2003, l’ancien président Jacques Chirac fit entendre à nouveau « la voix dissidente de la France » à travers son opposition à l’invasion américaine de l’Irak. « La vision gaullienne est une vision qui défie le temps », a estimé l’ancien Premier ministre français Dominique de Villepin, lors de son allocution devant plusieurs personnalités politiques arabes et françaises, et de nombreux chercheurs et historiens, présents à la conférence d’Abou Dhabi. « C’est une vision de l’avenir qui nous interpelle, nous, plus que toute autre époque, a-t-il poursuivi. À l’heure où une autre grande vision du Moyen-Orient, radicalement différente, a mené les États-Unis à l’impasse politique, la vision gaullienne du monde arabe prend une signification nouvelle. » « Le Grand Moyen-Orient élaboré par les néoconservateurs américains s’oppose point par point au projet gaullien : idéalisme contre réalisme, force contre influence, renversement contre équilibre, acculturation contre dialogue des cultures. Car c’est bien là l’enjeu : au sein de toute vision sommeille un dessein », a affirmé M. de Villepin. Une nette rupture ? Aujourd’hui, la politique, notamment défensive et militaire, de la France de Nicolas Sarkozy, souvent accusé d’atlantisme, laisse entrevoir, pour certains, une nette « rupture » avec le passé. Le développement le plus important qui semble confirmer cette thèse est l’annonce par Sarkozy, en avril dernier, de la réintégration complète de la France au sein du commandement militaire de l’OTAN dès 2009, à l’occasion du 60e anniversaire de l’organisation transatlantique. Cette décision, sévèrement critiquée par l’opposition française qui accuse le président de faire un « coup politique », a permis l’amélioration des relations entre Paris et Washington. Et pour gage de sa volonté de rapprochement, Nicolas Sarkozy a annoncé l’envoi de renforts militaires français en Afghanistan. Autre développement militaire majeur: la France va disposer d’une base militaire stratégique permanente aux Émirats arabes unis en vertu d’un accord signé mi-janvier à l’occasion d’une visite du président Sarkozy à Abou Dhabi. Le chef d’état-major particulier du président français, l’amiral Édouard Guillaud, y a vu « une petite révolution géopolitique », étant donné que cette base est la première base française à être ouverte depuis plus de cinquante ans et, de surcroît, en dehors de l’ancien domaine colonial africain de la France. Politiquement, la décision est forte, surtout en des temps de confrontation diplomatique avec Téhéran, dossier sur lequel la France a durci sa position depuis que Nicolas Sarkozy dirige le pays. Stratégiquement, elle est tout aussi importante. En cas de conflit dans la région, la France se trouvera quasi automatiquement impliquée dans la bataille. L’ouverture de cette base à Abou Dhabi, qui sera opérationnelle en 2009, suscite de nombreux doutes à Paris. Plusieurs y ont vu un changement de politique de la France, qui, jusqu’ici, avait choisi d’être, au Proche-Orient, une puissance d’équilibre diplomatique et non une puissance militaire. Alors que pour le général de Gaulle, « la porte de l’Orient » passe par le Levant – et plus particulièrement le Liban –, le président Sarkozy semble avoir choisi de faire son entrée dans la région par la voie des riches monarchies pétrolières du Golfe. Outre sa relation avec les Émirats arabes unis, Paris est également lié au Qatar par un accord de défense et devrait bientôt y ouvrir une branche de l’école militaire de Saint-Cyr, la première en dehors de la France. L’école formera les officiers des armées de terre du Qatar et de plusieurs autres États du Golfe. Un accord lie également le Koweït à la France, qui maintient, par ailleurs, des consultations étroites avec l’Arabie saoudite dans le domaine de la coopération militaire. Certes, la politique sakozienne a tranché avec l’approche traditionnelle française. Mais aller jusqu’à dire que la rupture avec l’héritage gaullien a été consommée est inadéquat. Le président français s’est peut-être voulu plus proche de Washington, mais il a réussi à se démarquer de la politique américaine tant au Moyen-Orient, avec l’ouverture de la France à la Syrie, que dans le Caucase, notamment à la suite du conflit russo-géorgien. Nicolas Sarkozy cherche à montrer qu’il sait, comme de Gaulle, s’adapter aux réalités de son temps. « De Gaulle a été l’homme de toutes les ruptures », se plaît-il d’ailleurs à affirmer.
Abou Dhabi – Rania MASSOUD

Souvent accusé par ses détracteurs de vouloir rompre avec l’héritage du « père » fondateur de la Ve République, le président français Nicolas Sarkozy serait-il, au contraire, tenté de renouer avec le pragmatisme gaullien?
Plus de 38 ans après la mort du général Charles de Gaulle, la Fondation Charles de Gaulle, l’Institut du monde...