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Actualités - OPINION

II. - Instaurer un langage politique qui s’appuie sur l’appartenance citoyenne Fady FADEL

Nous pouvons schématiser ainsi les différentes conceptions que nous avons rencontrées (voir L’Orient-Le Jour du jeudi 6 novembre 2008) : – Position romaine et religion coïncident dans le culte de Rome. – Position des Sadducéens politique et religion sont hétérogènes (eau+huile) et se partagent le cœur de l’homme. On va au temple, mais on collabore avec les Romains. – Position théocratique. La politique ne devrait avoir aucune place. Le royaume de Dieu est le seul reconnu et il s’identifie à la terre de Palestine. Mais il reste prisonnier de sa concurrence avec le royaume de César qu’il veut rejeter à ses frontières. – Position de Jésus. Le royaume de Dieu est « ouvert » et pénètre toute réalité politique au même titre que toutes les réalités humaines. Selon cette interprétation, Jésus, s’il ouvre un espace possible pour la responsabilité politique, ne remplit pas positivement cet espace. Il en fait une activité humaine. Aux hommes de chercher eux-mêmes leur responsabilité, sous réserve qu’ils respectent toujours les exigences éthiques de l’Évangile. - Pour un engagement politique au Liban à la lumière de la foi chrétienne On entend souvent dire, pourquoi le patriarche n’impose-t-il pas aux chrétiens une seule ligne de conduite politique ? Le texte sur « les constantes maronites »(1) comporte par exemple, dans sa partie pratique, une proposition de solution politique au problème du blocage actuel des pouvoirs. On ne peut cependant renier à la hiérarchie maronite l’importance de son rôle durant la période de tutelle syrienne, notamment entre les années 2000 et 2005. Dans des situations de gravité extrême, qui touchent le sens et l’existence d’une communauté politique ou religieuse, on peut comprendre, voire même saluer un tel engagement. Mais on ne peut pas en faire une norme d’engagement ordinaire. Le compendium rappelle que « l’Église n’a pas un domaine de compétence spécifique en ce qui concerne la structure de la communauté politique »(2). Appelant l’Église à respecter l’autonomie légitime de l’ordre démocratique, Jean-Paul II précise qu’elle « n’a pas qualité pour exprimer une préférence de l’une ou l’autre solution institutionnelle ou constitutionnelle »(3). Dans ces deux recommandations, il s’agit de l’Église en tant que telle. On peut dire qu’elles seraient plus vraies encore quand il s’agit de la hiérarchie ecclésiale. A- Deux processus devraient remédier à ce problème : la déconfessionnalisation et la décléricalisation de l’engagement politique au Liban. Déconfessionnalisation signifie avant tout d’instituer un langage politique qui s’appuie réellement sur l’appartenance citoyenne et non confessionnelle. C’est un processus culturel avant qu’il soit politique. C’est pourquoi il fait partie de la mission de l’Église dans son engagement pour un renouveau de la culture politique au Liban. Défini comme étant « une déformation dangereuse de la religion et une contradiction flagrante avec le sens de l’Église »(4), le confessionnalisme est ramené par les patriarches catholiques d’Orient au système de dhimmitude imposé jadis par l’islam politique de l’Empire ottoman, ayant deux caractéristiques. La première est le souci de la survie et de la défense des intérêts propres vis-à-vis de l’islam ou des autres Églises. La deuxième est la concentration de tous les pouvoirs en la personne du chef religieux(5). C’est donc avec cette culture qu’il faut rompre. C’est ce que les patriarches semblent eux-mêmes demander. Cela exige donc d’une part le rétablissement de la priorité du lien spirituel et non confessionnel entre la hiérarchie avec l’ensemble des fidèles et, d’autre part, ramener certains pasteurs au « bercail », je veux dire demander aux responsables religieux d’abandonner un discours politique qui reflète leurs opinions personnelles ou celles des groupes auxquels sont affiliés, et d’adopter plutôt un discours politique représentatif des valeurs de leur communauté. J’en énumère celles qui me semblent primordiales et urgentes : la non-violence, la solidarité avec les pauvres et les exclus ou démunis, la libération de toute aliénation et l’amour inconditionnelle du prochain, le pardon et la réconciliation. À partir de ces valeurs, intégrées dans sa culture et sa vie, le chrétien lui-même, en tant que citoyen libre ou en tant que chef politique, devient responsable de ses choix politiques, de la cohérence et de l’unité de sa vie dans ses deux dimensions spirituelle et politique. B- Ma deuxième réponse porte sur le discours dans sa qualité constituante d’un esprit et d’un inconscient collectifs et sa capacité de modeler l’espace culturel auquel il s’adresse. Or, une analyse rapide du discours chrétien religieux nous montre qu’il est en général, et à l’exception de quelques exemples, le reflet de l’état d’âme des Libanais et des chrétiens en particulier, qui semble être enfoncé dans une angoisse chronique vis-à-vis de sa situation nationale et citoyenne. Les plaintes réitérées et reprises par le discours religieux assombrissent l’horizon et rendent imperceptible l’universel historique des Libanais. Il est certes légitime de croire que les pasteurs sont la voix du peuple, et de louer leur désir de faire parvenir cette voix aux instances politiques nationales et internationales. Mais cela peut-il se faire au détriment de la mission première des pasteurs, dans leur qualité de prophètes, d’être surtout et avant tout la voix de Dieu pour le peuple ? Quand le discours ecclésial perd sa capacité d’être, non le reflet de la réalité dans ce qu’elle a de plus sombre et inquiétant, mais le prometteur d’un regard croyant sur la réalité, il ne faut pas s’étonner de la démoralisation et de la démobilisation des fidèles et de leur choix d’émigrer. Qui rappellera aux chrétiens que toute leur vie et leurs engagements sont fondés sur l’espérance invincible du chrétien, que le Christ est vraiment ressuscité et que « la victoire divine » est garantie, non à la manière du monde, mais selon le désir de Dieu de rassembler tous ses enfants dans une seule famille ? Ils le font sans doute, mais dit-on que les médias ne transmettent que la partie politique de leur discours. Je crois que le problème n’est pas seulement celui des médias. Il y a une sorte de dichotomie dans le discours religieux qui, en effet, enseigne les valeurs chrétiennes sur le plan proprement religieux et spirituel, mais analyse et parle de la réalité politique en se référant plutôt aux valeurs du monde et moins à celles de l’Évangile. L’engagement de l’Église dans le renouveau de la culture politique au Liban devrait commencer par l’adoption d’un discours religieux qui parle d’une politique de l’espérance. La recommandation de saint Pierre « Soyez toujours prêts à rendre compte de l’espérance qui est en vous » (1P 3,15) devrait être notre nouveau leitmotiv en théologie politique. Ma dernière réponse concerne la question du « bien-vivre-ensemble », et le rôle de l’Église dans son renouveau en tant qu’élément constitutif de la culture politique libanaise. Sur ce point, le discours de l’Église catholique au Liban et en Orient est clair. Les constantes maronites ont rappelé l’engagement définitif de l’Église dans cette voie. La lettre pastorale des patriarches déjà citée va plus loin pour donner une raison théologique à cette question culturelle et politique. Ils disent : « Cette coexistence est voulue par Dieu comme un lieu de rencontre, d’échanges et de collaboration »(6). Il y a là un croisement entre l’universel eschatologique des chrétiens et leur universel historique et politique. Pour le fonder théologiquement, deux contre-concepts seraient me semble-t-il à développer : le dé-messianisme et le dé-communautarisme. Les chrétiens ne doivent jamais oublier que la mort du Christ est un événement éminemment politique. Le Christ est mort de cette mort-là parce qu’il a refusé d’adopter la logique messianique-mondaine d’une partie de son peuple. La douloureuse expérience des chrétiens avec le messianisme politique est à transformer en leçon politique pour nous et pour les autres, contre tout type de messianisme politique. Cette idée est à compléter par le second contre-concept : le dé-communautarisme. Pour qu’il y ait un universel historique fondateur du bien-vivre-ensemble, il faut que chaque communauté religieuse refuse de coïncider sa réalité avec la communauté politique. Elle doit le faire d’une manière définitive. L’acceptation provisoire de cette réalité par certains groupes qui espèrent se retrouver un jour dans des conditions plus favorables à la coïncidence des deux communautés est mortelle pour la culture de la convivialité. Le provisoire est à exclure, car jamais il ne peut fonder une culture. Les chrétiens, munis de la théologie de l’Église comme sacrement du royaume, sont invités à développer une théologie du dé-communautarisme politique, et à exiger des autres partenaires de la cité d’être clairs avec eux-mêmes et avec tous les partenaires du projet national. Fady FADEL o.a.m. Professeur de droit public Secrétaire général de l’Université antonine 1- Synode des évêques maronites, « Les constantes maronites », publié dans le quotidien an-Nahar (en arabe), 7/12/06. 2- Compendium, op. cit., n. 424. 3- Jean-Paul II, Centesimus annus, 1991, n.47. 4- Conseil des patriarches catholiques d’Orient, Mystère de l’Église, 1996, n.11. 5- Cf. ibid, n.10. 6- Ibid, n.2. Article paru le samedi 8 novembre 2008
Nous pouvons schématiser ainsi les différentes conceptions que nous avons rencontrées (voir L’Orient-Le Jour du jeudi 6 novembre 2008) :
– Position romaine et religion coïncident dans le culte de Rome.
– Position des Sadducéens politique et religion sont hétérogènes (eau+huile) et se partagent le cœur de l’homme. On va au temple, mais on collabore avec les Romains.
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