Rechercher
Rechercher

Actualités - RENCONTRE

Rencontre Connaissance, audace et engagement Maya GHANDOUR HERT

Roger Assaf, fraîchement honoré par la Biennale de Venise qui lui decerne le Lion d’or 2008 pour l’ensemble de son œuvre théâtrale, s’attelle aujourd’hui à une vaste entreprise : celle de raconter la fabuleuse histoire du théâtre. Un projet phénoménal auquel il s’est attaqué, vaillamment, tout seul. Son dernier one-man-show, en quelque sorte. Le conseil d’administration de la Biennale, présidé par Paolo Baratta et sous une proposition du directeur de la section théâtre, Maurizio Scaparro, a voulu distinguer un homme « étroitement lié à la créativité théâtrale dans les pays du pourtour de la Méditerranée ». Roger Assaf « est l’un des plus grands metteurs en scène et acteurs des pays arabes liés à la formation et à la diffusion de l’art du théâtre, et qui se distingue par son engagement artistique et civil qui cherche à faire cohabiter jeunes acteurs et spectateurs chrétiens et musulmans », souligne le communiqué. L’organisation remettra le prix à l’artiste libanais le 8 novembre 2008, à Venise, après la présentation de sa pièce La porte de Fatima. Roger Assaf se dit le premier étonné de cette distinction. Mais reconnaît quand même qu’elle est bien justifiée. Né en 1941 à Beyrouth d’une mère française et d’un père libanais, Roger Assaf dirige aujourd’hui le théâtre Tournesol. Il a créé en 1999 l’association culturelle al-Shams qui a pour objectif d’aider les jeunes Libanais passionnés de théâtre et de cinéma à surmonter les clivages confessionnels ou sociaux qui déchirent leur société. Talentueux, innovateur, audacieux, engagé, son discours, ses performances et ses mises en scène ont toujours été brillants, constituant des étapes charnières dans les annales de l’histoire théâtrale libanaise. Le premier volume de L’encyclopédie universelle du théâtre, de l’Antiquité à la fin du vingtième siècle est actuellement sous presse. Il doit paraître à l’occasion du Salon du livre arabe de Beyrouth, à la fin novembre. « Il s’agit là d’une vieille idée », reconnaît Assaf. Ce qui devait être, au début, un simple répertoire du théâtre à l’intention de ses étudiants est devenu, au fil des recherches et des écritures, « une encyclopédie synthétique, globale, qui accorde la première importance aux hommes et aux œuvres. » C’est une promenade dans l’histoire, avec des arrêts significatifs. « À chaque étape, une entrée en matière historique explique le cadre politique, social et culturel dans lequel cette œuvre se situe. Pour, ensuite, analyser ces œuvres en fonction de leur rapport avec leur société. » Il précise : « Il n’y a pas seulement des analyses de pièces de théâtre. Il y a les théories, les acteurs, les scénographies, bref toute la vie théâtrale d’une époque. » Le premier tome commence avec les petites apparitions dramatiques à Babylone et en Égypte. Puis il parle de la Grèce principalement, l’époque hellénistique, Rome jusqu’à l’Empire romain. C’est l’Antiquité. Le deuxième est le Moyen Âge qui commence en Inde avec le théâtre sanskrit puis toutes les formes de théâtre médiéval, en Chine, au Japon, en Indonesie, au Proche-Orient, puis le Moyen Âge européen qui commence juste avant la Renaissance. Le tome 3 est consacré au théâtre moderne, à la Renaissance, etc. « Je n’isole pas le monde arabe. De nombreuses références du monde arabe sont rédigées ici. Une place importante est accordée au théâtre d’ombre qui florissait en Égypte au temps des Mamelouks. » Le plus difficile dans tout cela ? « Concevoir le plan, le système de pensée et l’orientation de l’ouvrage. » Il a finalement adopté le contexte chronologique avec une approche synthétique de chaque étape. Roger Assaf indique qu’il existe très peu d’ouvrages historiques de ce genre-là. « Il existe, certes, une pléthore d’ouvrages spécialisés sur le théâtre, ce travail se distingue par son caractère universel, sa vue d’ensemble historique. Sous format d’encyclopédie, il y a une seule que je connaisse, elle date déjà d’une quarantaine d’années. Elle a été écrite par un Italien, Vito Pandolfi. Puis traduite dans plusieurs langues, dont une française et une en arabe (une version rébarbative, désagréable à lire, les traductions sont réductrices). Elle est très incomplète par rapport à celle que j’ai faite : le théâtre arabe est par exemple très négligé. Il existe par ailleurs des périodes très peu développées et d’autres très étoffées, dont celle, par exemple, en relation avec le théâtre italien. C’est, certes, la meilleure référence pour la commedia dell’arte. Mais elle donne une vision marxiste de l’histoire et elle date. » Bref, le théâtre est rendu à sa totalité : manifestation et reflet de la vie des peuples. Euripide Roger Assaf a-t-il un souci d’objectivité ? « Cela n’existe pas, l’objectivité. Je suis un passionné. J’essaie d’être raisonnable et équilibré. Par exemple, ma très grande admiration pour Euripide se fait sentir. » « Une chose que j’essaie de rendre, c’est de raconter des pièces comme si on les voyait. Ce que je souhaite, c’est que les spectateurs d’une pièce sachent la voir comme s’ils la lisaient et les lecteurs sachent la lire comme s’ils la voyaient. C’est le point de vue d’un homme de théâtre. Pas celui d’un critique littéraire. » Le travail d’un historien mâtiné du regard d’un homme de théâtre. Et d’un sociologue ? « Un homme de théâtre est obligé de par son métier d’être un peu sociologue, un peu historien, un peu architecte, un peu musicien. Les connaissances sont assez ouvertes. » L’histoire du théâtre appartient à l’histoire de l’art, des sociétés, à l’histoire politique, à l’histoire culturelle, tout court. Quelle est l’œuvre qui représente le plus Roger Assaf ? Le metteur en scène cite deux : « Jnaynet el-Sanayeh et Ayyam el-Khyam. Deux pôles différents qui forment un ensemble assez complet. Elles sont deux étapes importantes et qui se complètent. Ayyam el-Khyam, c’est juste avant 1982. C’était l’époque de l’ascension militante et le sommet de l’époque résistante autour du Liban-Sud, jusqu’au siège de Beyrouth. » « Le Jardin de Sanayeh, réalisée en 1996, c’est l’autre versant, celui de la désarticulation de notre société. La fin de la grande histoire de Beyrouth qui disparaît de la carte où elle tenait une place importante dans le monde arabe de la créativité et de la production, devenue une capitale financière, vide de culture et de connaissances. La période de la division, de la déception, de la décomposition. » Ces œuvres sont différentes, mais un même esprit les anime : celui de la volonté de souder la solidarité intercommunautaire et d’un regard sur le théâtre comme lieu d’expression libre et collective. Roger Assaf regrette-t-il une pièce de théâtre ? La réponse fuse : « Celle que je n’ai pas faite. » Et il s’empresse d’ajouter : « Mais le théâtre n’a jamais été pour moi un but. C’est un moyen, un moyen de connaissance de soi, des autres, d’expression individuelle et collective, un lieu de création et de rencontre. »
Roger Assaf, fraîchement honoré par la Biennale de Venise qui lui decerne le Lion d’or 2008 pour l’ensemble de son œuvre théâtrale, s’attelle aujourd’hui à une vaste entreprise : celle de raconter la fabuleuse histoire du théâtre. Un projet phénoménal auquel il s’est attaqué, vaillamment, tout seul. Son dernier one-man-show, en quelque sorte.
Le conseil...