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Concurrence La protection du patrimoine culinaire, un enjeu économique Bachir EL-KHOURY

La commercialisation à l’étranger de spécialités libanaises, présentées comme étant turques, grecques ou israéliennes, constitue un manque à gagner pour les producteurs libanais. Le ministère de l’Économie et du Commerce dit vouloir se saisir de l’affaire. Depuis des années, des mets libanais traditionnels, tels que le hommos ou la labneh, sont vendus en France, aux États-Unis ou au Maroc sans que le Liban puisse profiter de la commercialisation de son patrimoine culinaire. Ce sujet a été récemment remis sur le tapis par le président de l’Association des industriels, Fady Abboud, qui a défendu l’idée de création d’une appellation d’origine pour chaque mets traditionnel et sa protection sur le plan légal. « Notre objectif pour le moment est de pouvoir protéger ces produits sur le marché européen. En ce qui concerne les marchés des autres pays du monde, il faudra saisir l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), chose impossible à faire avant l’adhésion du Liban à l’OMC », a-t-il indiqué à L’Orient-Le Jour. L’appellation d’origine protégée (AOP) est un label européen datant de 1992 qui protège la dénomination d’un produit dont la production, la transformation et l’élaboration devraient avoir lieu dans une aire géographique déterminée. Le fromage de Roquefort en France, le jambon de Parme en Italie et le beurre d’Ardenne en Belgique sont quelques exemples de milliers de produits ayant fait l’objet de demandes d’enregistrement en AOP auprès de la Commission européenne ces dernières années. « Le hommos, par exemple, est de nos jours un plat très populaire dans le monde. Si le Liban détenait l’AOP pour ce produit, aucun produit portant l’étiquetage hommos et produit en dehors du Liban n’aurait pu être commercialisé sur le marché européen. Cela aurait dopé les exportations des industriels libanais, et par conséquent aidé à générer plus de revenus sur le plan économique », explique un responsable dans une compagnie agroalimentaire libanaise sous le couvert de l’anonymat. L’enjeu est donc de taille sur le plan économique. C’est la raison principale pour laquelle le fromage grec « feta » est resté, pendant près de 10 ans, au cœur d’une bataille juridique opposant la Grèce au Danemark, à l’Allemagne et à la France, qui produisent également des quantités importantes de ce type de fromage ; une saga juridique dont l’épilogue a finalement porté sur l’octroi de l’AOP de la feta à la Grèce. Les industriels laitiers des autres pays membres de l’UE avaient ainsi jusqu’à octobre 2007 pour éliminer totalement le mot « feta » de leur étiquetage. Au Liban, rien de concret n’a été encore réalisé en ce sens, même si un début de mobilisation se profile à l’horizon. Une première réunion a eu lieu en début de semaine entre le président de l’Association des industriels et le ministre de l’Économie et du Commerce pour débattre justement des mesures à prendre. Le bureau s’occupant à l’heure actuelle du projet des indications géographiques (IG) et des appellations d’origine contrôlée (AOC) pourrait prendre en charge ce dossier, affirme une source informée. Ce bureau aura comme tâche principale de définir, en coordination avec des experts juridiques, le cadre légal adéquat, mais aussi de préparer des dossiers exhaustifs sur chaque spécialité libanaise pour démontrer l’origine libanaise de l’appellation. Force est de constater que le projet de loi sur les IG et les AOC, qui constitue une sorte de prélude au projet des AOP, n’a toujours pas été voté au Parlement. Il porte sur la protection, sur le plan local, de certains produits comme l’huile d’olive de Koura, le savon de Tripoli et tant d’autres, dont la réputation est attribuée à une région pour des raisons historiques, climatiques ou de savoir-faire acquis sur des années. L’importance du vote d’un tel projet est qu’il permet de passer à l’étape suivante : obtenir, pour ces produits déjà protégés au Liban, le label européen AOP. « En revanche, ce projet de loi ne prévoit pas l’attribution des IG ou des AOC à des recettes comme le taboulé, d’où la nécessité de créer un nouveau cadre légal », explique une source informée ayant requis l’anonymat. Falafel israélien à New York En attendant, une multitude de mets et de plats traditionnels libanais sont vendus à l’étranger par des commerçants non libanais. « Le labneh, la mankouché et les mélasses de caroubier, parmi d’autres produits faisant partie du patrimoine culinaire libanais, sont victimes de ce phénomène », souligne Fady Abboud. Selon lui, les commerçants israéliens sont même à la tête d’une campagne intelligemment orchestrée pour « délibaniser » certains produits. « Que ce soit les foires culinaires internationales, le Guinness Book ou même l’audiovisuel, tous les moyens sont exploités pour enraciner dans l’inconscient du consommateur européen ou américain l’idée que ces spécialités sont israéliennes. Aujourd’hui, si vous allez à New York et que vous osez prétendre que le falafel ou le hommos est libanais, vous risquez d’être pris pour un fou ! » ironise Abboud avant d’ajouter : « Le problème ne se limite pas cependant à Israël. Même en France ou au Maroc, on vend aujourd’hui une salade appelée taboulé, faite cependant à base de couscous. » Si l’origine de certains mets « levantins » peut être sujet à débat, non seulement entre le Liban et Israël, mais aussi entre le Liban et d’autres pays de la région, comme la Turquie, la Syrie ou la Jordanie, la libanité de certaines spécialités ne fait aucun doute, estime Abboud. « Dans les archives de l’Église maronite, il existe des documents montrant qu’il y a mille ans, le mélange de grains de blé concassé à du persil haché, qui sont aujourd’hui les principaux constituants du taboulé, faisait partie des habitudes alimentaires », conclut M. Abboud.
La commercialisation à l’étranger de spécialités libanaises, présentées comme étant turques, grecques ou israéliennes, constitue un manque à gagner pour les producteurs libanais. Le ministère
de l’Économie et du Commerce dit vouloir se saisir de l’affaire.

Depuis des années, des mets libanais traditionnels, tels que le hommos ou la labneh, sont vendus en France,...