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Actualités - CHRONOLOGIE

Psychiatrie Maladies mentales : oser lever le tabou

Nada MERHI Les maladies mentales continuent à être stigmatisées bien qu’elles touchent 12 % de la population mondiale. Lever les tabous qui les entourent nécessite de repositionner la psychiatrie dans la médecine à égalité avec les autres disciplines. La Fédération mondiale pour la santé mentale a lancé récemment un appel pour faire de la maladie mentale une priorité et mettre l’accent sur l’urgence d’améliorer les services à ce niveau. Un appel qui risque de rester sans écho, vu le tabou qui entoure les troubles psychiques, tant au niveau de la croyance populaire qu’au niveau de certains médecins et responsables de santé publique. Les personnes qui en souffrent continuent en fait d’être marginalisées et sont souvent traitées d’aliénées. Une réalité amère qui semblerait se prolonger si aucune initiative au niveau national n’est prise pour sensibiliser l’opinion publique à ces maladies qui touchent « 12 % de la population mondiale », selon un rapport de la Fondation mondiale pour la santé mentale. Quelque « 450 millions de personnes, soit une personne sur quatre dans le monde sera à un moment de sa vie atteinte d’une maladie mentale pouvant faire l’objet d’un diagnostic et d’un traitement », signale encore le document. Malgré ces chiffres, « le bien-être psychique » est loin de bénéficier de la même attention que les autres maladies. « La psychiatrie a sa place dans la médecine, insiste le Dr Wadih Naja, psychiatre. Nous avons affaire à des maladies à fondements biologiques et génétiques avec une dimension psychologique et environnementale. Le médicament agit sur l’aspect biologique de la maladie et la thérapie sur les composantes psychologiques, parce qu’effectivement on naît avec une prédisposition génétique, mais très souvent c’est l’environnement qui joue un rôle dans l’apparition de la maladie. » Une étude récente parue dans l’American Journal of Psychiatry souligne le rôle des facteurs extérieurs dans le développement de la dépression. Pour ce faire, les chercheurs ont pris des enfants adoptifs dans des familles et recherché le taux de dépression chez les parents d’adoption. Ils ont retrouvé une corrélation significative entre le taux de dépression chez les mères et chez les enfants adoptifs. « Dans ces cas, la génétique n’a aucun rôle dans l’apparition de la maladie, explique le Dr Naja. Celle-ci est entièrement due à l’environnement dans lequel ont vécu ces enfants. Les chercheurs ajoutent ainsi qu’en présence d’une prédisposition génétique, la prévalence de la dépression chez les enfants devient beaucoup plus importante. » « Il faut donc positionner la psychiatrie dans la médecine, sans toutefois occulter l’importance de la psychologie et des mécanismes de pensées », ajoute-t-il. Et de poursuivre : « La maladie mentale n’est pas du tout liée à la bonne ou à la mauvaise volonté de l’individu, ni à un manque d’intelligence. Elle se développe comme toute autre maladie. Mais le tabou qui l’entoure ne peut être levé que si l’on réussit à positionner la psychiatrie dans la médecine à égalité avec les autres spécialités, non seulement aux yeux de l’opinion publique, mais aux yeux des médecins eux-mêmes. À ce moment-là, la demande de soin devient plus volontaire et plus facile à formuler. Et la famille soutiendra alors le patient au lieu de lui lancer des jugements. Parce que dans le cas contraire, les malades sont submergés par le sentiment de culpabilité, ce qui entraîne le déni. » Retour à la fonctionnalité Les campagnes de sensibilisation doivent par ailleurs insister sur le fait que la maladie mentale n’est pas une fatalité. « Les patients ne sont pas condamnés, fait remarquer le Dr Naja. Les taux de guérison sont élevés. Et par guérison, on entend essentiellement un retour à la fonctionnalité, à l’instar de toutes les pathologies médicales. Oui, dans certains cas, le médicament doit être pris à vie, parce que la maladie mentale est une maladie chronique au même titre que le diabète, l’hypertension artérielle, l’hypercholestérolémie, etc., où le traitement est à vie. Où est le mal si on en a besoin ? Les médicaments administrés dans les cas des maladies mentales ne sont ni plus ni moins toxiques que ceux donnés dans les autres pathologies. Ils ne créent pas non plus une dépendance. » Mis à part l’ignorance qui entoure les maladies mentales, le principal problème rencontré par les spécialistes demeure l’accès aux soins. « Sur le plan médicamenteux, le traitement est coûteux, notamment la nouvelle génération de molécules qui est plus efficace avec moins d’effets indésirables, indique le Dr Naja. Malheureusement, tous les patients n’y ont pas accès, parce ces molécules sont chères, d’autant que le traitement peut durer des mois, voire des années. Et s’ils y ont accès, parfois ce ne sont pas les bonnes doses ni les bonnes durées. Le ministère de la Santé assure le traitement, mais il manque parfois de budget et des ruptures de stock sont souvent observées. » Sur le plan hospitalier, seul l’État couvre les factures. « Il faudrait peut-être mener une campagne de sensibilisation auprès des compagnies d’assurances, d’autant que la dépression, qui a l’une des prévalences les plus élevées dans les maladies mentales, est l’une des complications de plusieurs autres maladies, comme l’infarctus du myocarde, à titre d’exemple, note le Dr Naja. Si elle est soignée, le pronostic de l’infarctus devient meilleur. Il s’agit d’un fait que les assurances doivent prendre en compte. Si elles couvrent la psychiatrie, elles pourraient améliorer leur rentabilité. Et les chiffres le prouvent. En effet, la dépression comptait en l’an 2000 comme quatrième cause d’invalidité dans le monde. Selon les estimations, elle occupera en 2020 la deuxième place après les maladies cardiaques. De plus, la dépression accompagne pratiquement toutes les maladies. En effet, 18 % des personnes atteintes de maladies coronariennes souffrent également de dépression. Celle-ci est également diagnostiquée chez 20 à 25 % des diabétiques, 25 % des cancéreux, 35 % des patients vivant avec le sida, 17 à 31 % des personnes souffrant d’alzheimer, 20 à 30 % des cas de migraine, 50 % des cas de sclérose en plaques et près de 70 % des cas d’accidents vasculaires cérébraux. Le fait de soigner la dépression améliore les pronostics, sachant qu’une dépression mal soignée entraîne un arrêt de fonctionnalité chez la personne qui en souffre. »
Nada MERHI

Les maladies mentales continuent à être stigmatisées bien qu’elles touchent 12 % de la population mondiale. Lever les tabous qui les entourent nécessite de repositionner la psychiatrie dans la médecine à égalité avec les autres disciplines.

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