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Actualités - CHRONOLOGIE

L’humanité en partage

Maya GHANDOUR HERT Rami K. Zein signe aujourd’hui, à 19h00, au stand de la librairie el-Bourj, l’un des romans phares du Salon du livre francophone de Beyrouth. « Les ruines du ciel » est, en effet, à juste titre d’ailleurs, doublement nominé aux prix Phénix et Cadmous. Bourreau, Neil ? Il débarque en Irak l’esprit farci de préjugés, il est là pour terrasser l’ennemi, composé de « drogués et de terroristes en puissance, les frères des monstres qui avaient tué 3 000 de ses compatriotes le 11 septembre 2001 ». Il manipule les cadavres sans aucun état d’âme, il participe aux séances de tortures sans poser de question. Il assiste à l’assassinat de dissidents perpétré en présence de leurs enfants. Neil l’Américain moyen, Neil le démuni sur le plan intellectuel et limité sur le plan culturel, est « confronté à des situations extrêmes ». Le lecteur suit son « enlisement progressif dans le sable mouvant », de la guerre avec ses tanks et ses cobras, ses victimes collatérales. Et, en parallèle, la descente inéluctable aux enfers de cet antihéros par excellence. Victime, Neil ? « C’est l’histoire d’un homme qui ne comprend pas ce qui lui arrive », note Rami K. Zein, résumant en cette phrase lapidaire 207 pages d’images fortes, parfois très intenses. D’une écriture simple, fluide, qui coule de source, Rami K. Zein a tissé un roman hautement lisible. « Je ne suis pas talentueux. Je suis un travailleur, un besogneux », avoue l’écrivain qui dit appartenir à l’école de Valery. Son écriture est débarrassée de fioritures et d’autres ornements enjoliveurs. C’est clair, net et précis. Comme l’emploi de temps de son auteur, qui s’astreint à une écriture régulière, « trois heures par jour, même les dimanches ». Ayant fait ses études à Grenoble, puis à la Sorbonne, Zein est rentré à Beyrouth où il tient actuellement un poste d’enseignant à l’USJ. Il est retourné, dit-il, pour retrouver le climat, la langue de sa terre natale. Il ne cache pas, en effet, « un attachement très physique » au pays du Cèdre même si ce dernier, à l’instar des être aimés, l’exaspère souvent. « C’est ni avec toi ni sans toi », dit-il, rieur. Dans Les ruines du ciel, il expose l’ennemi vu de l’intérieur. Sans parti pris. « Je n’essaie pas de démontrer. J’essaie de montrer. » Il est entré dans la peau de ce GI et de sa mère pour montrer la souffrance de cette dernière, le trouble du garçon « qui n’arrive pas à résoudre les contradictions qui existent entre les clichés dont on lui a farci la tête et ce qu’il constate sur le terrain ». Et lorsque l’on fait remarquer à Rami Zein que même avec la meilleure des intentions, il nous est impossible de sympathiser avec son personnage principal, il acquiesce : « Le but n’est pas là. » Neil nous choque parce qu’il ne prend pas de distance face à ce discours d’extrême droite dont il a été abreuvé, notamment par le personnage de Lawry. Il nous agace aussi par son absence de culture, d’intelligence. « J’ai souhaité créer un personnage qui ressemble un peu, me semble-t-il, à ces soldats américains qui combattent en Irak. Je ne voulais pas de personnage idéal. J’aime bien les antihéros, les personnages qui ressemblent à tout le monde. C’est un personnage faible, démuni, issu d’un milieu défavorisé, à l’image de l’écrasante majorité des soldats américains engagés en Irak. Ce sont les pauvres qui constituent la chair à canons de cette guerre. Comme dit Sartre dans le Diable et le bon Dieu : “Quand les riches se font la guerre, ce sont les pauvres qui meurent”. » Rami K. Zeina souhaitait également montrer aux lecteurs arabes ou orientaux que les Américains eux-mêmes sont également victimes de cette guerre. L’écrivain ne croit absolument pas à la fameuse théorie de choc des civilisations prônée par Samuel Huntington. « Le véritable clivage, s’il existe, est situé plutôt du côté des dominants et des dominés. Il y a beaucoup plus de parenté entre Neil et un pauvre soldat irakien qu’entre Neil et ses gouvernants qui l’ont entraîné dans ce désastre. » Aucune trace du Liban dans ce roman... « Et pourtant..., sourit mystérieusement Rami Zein. Le Liban est cœur de mes romans. En écrivant Le partage de l’infini, c’est à mon pays que je pensais. » En décrivant les barrages, l’oppression des Palestiniens, l’absence de dialogue entre les communautés. « Et là, quand je parle de cette mère, je pense aux mères des disparus. » Les soldats manipulés, la propagande de masse, les mensonges véhiculés par les médias… « C’est, dit-il, une façon détournée de parler du Liban, peut-être parce que parler de ce pays m’est trop difficile. » Le titre ? « Il est inspiré d’un poème d’Yves Bonnefoy. La symbolique est claire. Le jeune Neil était habité d’un ciel, d’une utopie et voilà qu’il est tombé en ruines », conclut Rami K. Zein. Ou comment être à la fois le bourreau et la victime.
Maya GHANDOUR HERT

Rami K. Zein signe aujourd’hui, à 19h00, au stand de la librairie el-Bourj, l’un des romans phares du Salon du livre francophone de Beyrouth. « Les ruines du ciel » est, en effet, à juste titre d’ailleurs, doublement nominé aux prix Phénix et Cadmous.

Bourreau, Neil ? Il débarque en Irak l’esprit farci de préjugés, il est là pour terrasser...