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Actualités - REPORTAGE

Les défis du monde arabe après Bush

Rania MASSOUD Une série de développements politico-militaires majeurs a, ces dernières années, profondément bouleversé l’équilibre du pouvoir au Moyen-Orient et mis en lumière les limites de la stratégie de l’administration Bush dans la région. Depuis l’arrivée de George W. Bush à la tête des États-Unis en 2000, la stratégie américaine au Moyen-Orient a pris un tournant radical. Après les attentats du 11-Septembre, l’administration Bush a adopté un agenda unilatéraliste néoconservateur et placé la « guerre contre le terrorisme islamiste » en tête de ses priorités. Les Américains ont ainsi chassé les talibans du pouvoir en Afghanistan, renversé le régime de Saddam Hussein en Irak et renforcé la pression diplomatique et économique contre la Syrie et l’Iran, deux pays dits de « l’Axe du mal ». L’agenda néoconservateur favorisait également l’émergence d’un « Nouveau Moyen-Orient », un plan s’appuyant sur une stratégie de « destruction créatrice » visant à l’établissement d’un nouvel ordre régional pro-occidental. Ce projet, dévoilé en pleine guerre israélienne contre le Liban en été 2006, a toutefois été rapidement avorté. Huit ans après l’accession de Bush au pouvoir et cinq ans après l’invasion de l’Irak, la politique américaine au Moyen-Orient a donc clairement montré ses limites. Résultat : la région est dangereusement instable et l’équilibre du pouvoir politique et militaire au Moyen-Orient a été considérablement bouleversé. En Irak, le renversement de Saddam Hussein a donné libre cours aux ambitions hégémoniques du régime des mollahs en Iran. La République islamique a ainsi réussi à renforcer sa position régionale grâce, d’une part, à la venue au pouvoir de la majorité chiite en Irak et, d’autre part, à la consolidation de son alliance avec la Syrie, le Hezbollah, au Liban, et le Hamas, dans la bande de Gaza. La montée en puissance de Téhéran, ainsi que ses ambitions nucléaires affichées, suscitent une grande inquiétude de la part des pays sunnites, dont l’Arabie saoudite, la Jordanie et l’Égypte. Cette crainte est notamment justifiée par le conflit sunnito-chiite qui ensanglante Bagdad, surtout depuis l’attentat contre la mosquée de Samarra en 2006, et qui risque de s’étendre désormais aux pays voisins. Les divisions confessionnelles ont par ailleurs été accompagnées de tensions ethnico-politiques avec la confirmation de l’autonomie du Kurdistan irakien, ce qui a ravivé les inquiétudes de la Turquie, qui lutte depuis des décennies contre les séparatistes du PKK. Les experts internationaux s’accordent par ailleurs pour dire que la politique américaine dans la région a également favorisé la montée de l’extrémisme islamiste dans la région, comme le démontrent la prise de pouvoir du Hamas dans la bande de Gaza, la montée en puissance des Frères musulmans en Egypte et la série d’actes terroristes à travers tout le monde arabe. « Les Arabes sont en train de payer le prix de l’échec de la politique étrangère américaine au Moyen-Orient », estime Oussama al-Ghazali Harb, rédacteur en chef du magazine al-Siyassa al-Dawliya, basé en Égypte, et expert en relations régionales. « Les Américains qui avaient pendant longtemps soutenu les pays totalitaires dans la région et l’extrémisme, notamment face à l’influence soviétique, ont compris après le 11-Septembre que la vraie menace réside dans l’absence de démocratie dans cette partie du monde, poursuit-il. D’où est venu le besoin d’attaquer l’Irak et de renverser le régime de Saddam Hussein. » Selon M. Harb, les Américains ont aujourd’hui une grande responsabilité envers les pays du monde arabo-musulman. « Malgré leurs échecs, les États-Unis représentent toujours la principale puissance internationale au Moyen-Orient et ils ont le devoir de combattre le terrorisme islamiste, de promouvoir la démocratie et de prévenir tout conflit confessionnel dans la région », explique-t-il, tout en déplorant le manque de leadership dans le monde arabe. Pour Marina Ottaway, responsable du programme sur le Moyen-Orient au Carnegie Foundation for International Peace et spécialiste des situations postconflits, les États-Unis ne possèdent toutefois pas une stratégie pour le Moyen-Orient et il serait irréaliste, à ce stade, de s’attendre à une initiative américaine pour stabiliser la région. « Les Américains ont certainement un devoir moral envers le monde arabe, mais le problème est qu’ils ne possèdent pas le savoir-faire, dit-elle. Nous avons vu comment l’administration Bush a voulu instaurer la démocratie, notamment en Irak, par les moyens militaires. » Mme Ottaway indique que durant le premier mandat du président George W. Bush, les Américains agissaient comme s’ils étaient la seule puissance internationale au Moyen-Orient et n’acceptaient de faire aucune concession. « Ces dernières années, souligne-t-elle, les États-Unis ont compris qu’ils ne sont pas les seuls sur la scène arabe. Ils ont remarqué la présence chinoise dans la région, du moins dans le domaine économique. Ils ont également noté l’influence grandissante de la Russie ». Selon elle, les Américains ont besoin de changer leur approche au Moyen-Orient et de revenir à une stratégie diplomatique. « Pour cela, il faudra attendre la nouvelle administration, mais la récente crise financière a tout de même détourné l’attention des candidats à la Maison-Blanche de la politique étrangère et nous avons remarqué que la question de l’Irak, par exemple, n’a pas été suffisamment débattue », note l’experte. Une analyse que partage Parag Khanna, responsable au New American Foundation, un think tank basé à Washington. M. Khanna, expert en relations internationales, a été en 2007 conseiller auprès des forces américaines en Irak et en Afghanistan et, plus récemment, a servi de consultant à la campagne du candidat démocrate à la Maison-Blanche, Barack Obama. Il estime que le recours à la force a prouvé son inefficacité dans le monde arabe. « Ce n’est désormais plus l’arsenal militaire qui détermine l’importance d’une puissance internationale, mais son positionnement dans le marché commercial, explique M. Khanna. Et les pays arabes l’ont compris. » En effet, les pays du Golfe, ainsi que la Libye, l’Égypte et, plus récemment, l’Irak, ont conclu ces dernières années une série d’accords commerciaux et énergétiques avec la Chine et l’Union européenne, qui détient la plus grande part du marché économique mondial, selon M. Khanna. « Aujourd’hui, on se dirige vers un nouveau modèle stratégique dans la région, souligne-t-il. Les pays du monde arabe ont compris, surtout après le 11-Septembre, que la région ne pouvait plus être monopolisée par une seule puissance internationale. » Selon lui, le temps est venu pour les Arabes de s’imposer sur la scène internationale. « Aux États-Unis on dit que “celui qui possède l’argent est celui qui pose les règles”, dit-il. L’argent est ici, au Moyen-Orient. Il ne reste plus qu’à prendre l’initiative. »
Rania MASSOUD

Une série de développements politico-militaires majeurs a, ces dernières années, profondément bouleversé l’équilibre du pouvoir au Moyen-Orient et mis en lumière les limites de la stratégie de l’administration Bush dans la région.
Depuis l’arrivée de George W. Bush à la tête des États-Unis en 2000, la stratégie américaine au Moyen-Orient a pris...