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Actualités - OPINION

Le billet d'humeur d’Émilie SUEUR La vie rêvée des chiens irakiens

Rabih est irakien. Il n’a pas trente ans. Il y a quelques années, Rabih et sa famille ont dû fuir leur pays. Alors que Bagdad sombrait dans le sectarisme violent, Rabih et les siens, en tant que chrétiens, n’étaient plus en sécurité dans leur quartier. Réfugié à Beyrouth, Rabih travaille comme concierge. Salaire : 300 dollars par mois. Pendant longtemps, il a partagé un minuscule appartement – une chambre et une salle de bains – au rez-de-chaussée de l’immeuble où il travaille, avec sa mère et son frère. Il y a quelques semaines, ces deux derniers ont obtenu un visa pour émigrer aux États-Unis. Rabih, lui, n’a pas décroché le précieux sésame. Pourquoi ? Mystère. Personne n’a pu lui donner d’explication valable. Rabih aura probablement son visa dans quelques mois. En tout cas, il s’accroche à cet espoir à l’instar des dizaines de milliers d’Irakiens qui, eux aussi, rêvent de vivre en paix aux États-Unis. Pour Ratchet, également irakien, le processus a été bien plus rapide. Ratchet a quitté Bagdad dimanche, il est arrivé aux États-Unis hier. Non seulement Ratchet a rapidement décroché son ticket vers les États-Unis, mais plus de 65 000 personnes, de l’Illinois à l’Italie, ont signé une pétition pour que les portes de Washington lui soient ouvertes. Il faut reconnaître que Ratchet ne manque pas de qualités : il ne parle pas, mange ce qu’on lui donne et s’assoit quand on lui dit de s’asseoir, se couche quand on lui dit de se coucher. Pour couronner le tout, son regard brille d’une intelligence toute animale, pour reprendre la formule de Desproges. Normal, Ratchet est un chien. Sa chance, à Ratchet, est d’avoir croisé, en mai dernier, le Humvee de la soldate de première classe Gwen Beberg. Le coup de foudre, du moins de la part de la soldate américaine, fut immédiat. Si Ratchet n’a pas encore livré sa version de l’histoire, des témoins affirment qu’en voyant Gwen, il a remué la queue. Il y a des signes qui ne trompent pas. Cinq mois durant, Gwen et Ratchet ont roucoulé au milieu des sacs de sable et des barbelés d’une base américaine en Irak. Gwen jetait la baballe, Ratchet rapportait la baballe. Début octobre, Gwen et Ratchet ont été rattrapés par la loi des hommes, en l’occurrence, des hommes en uniforme camouflage. Pas question que Ratchet suive Gwen à l’occasion de son transfert sur une autre base en prévision de son retour à Minneapolis. Pour Gwen, le coup fut rude. À sa mère, la soldate ouvrit son cœur brisé : « J’ai peur que Ratchet soit tué s’il reste en Irak, je veux juste qu’il rentre avec moi. » Rapidement, l’affaire prend une ampleur nationale. Le représentant au congrès de Minneapolis se lance dans la bataille. Il faut sauver Ratchet. Il appelle l’armée à revoir le cas du chien. Parallèlement, une association, « Operation Baghdad Pups », se saisit du dossier. À trois reprises, elle envoie un représentant plaider, à Bagdad, la cause de Ratchet. Le dossier est compliqué, mais « Operation Baghdad Pups » refuse de baisser les bras. L’affaire est trop importante, car l’association, comme elle l’explique sur son site, « ne se contente pas de sauver des animaux, elle apporte aux soldats un confort et une paix de l’esprit. La société internationale pour la prévention de la cruauté envers les animaux (de laquelle dépend Baghdad Pups) a déjà eu le plaisir de rencontrer plusieurs des animaux sauvés. Ils sont intelligents, résilients, curieux, joueurs, et nous croyons qu’ils sont reconnaissants pour cette opportunité de vivre sans peur aux États-Unis ». La troisième mission de « Baghdad Pups » est la bonne, Ratchet embarque enfin sur un vol pour les États-Unis, via Koweït. Que les soldats américains en Irak trouvent un réel réconfort dans la compagnie d’un animal, que ramener cet animal avec eux soit bénéfique à leur équilibre psychologique, pourquoi pas. Mais pour quelle raison Rabih n’obtient-il pas son visa pour les États-Unis ? Ne serait-il pas assez joueur ? Au cours de l’année fiscale 2008, les États-Unis ont accueilli 12 000 réfugiés irakiens. La Jordanie et la Syrie en accueillent 2 millions. Quand Rabih m’a raconté son histoire, je me souviens avoir pensé : « Mince, quelle vie de chien ! » Eh bien non, même pas. Émilie SUEUR
Rabih est irakien. Il n’a pas trente ans. Il y a quelques années, Rabih et sa famille ont dû fuir leur pays. Alors que Bagdad sombrait dans le sectarisme violent, Rabih et les siens, en tant que chrétiens, n’étaient plus en sécurité dans leur quartier. Réfugié à Beyrouth, Rabih travaille comme concierge. Salaire : 300 dollars par mois. Pendant longtemps, il a partagé un...