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Actualités - REPORTAGE

Qanater Zbaydé, un aqueduc et une vallée en péril

Sophie HUSSEINI Dans la vallée du fleuve de Beyrouth, le plus grand pont-aqueduc romain est de plus en plus étouffé par son environnement qui s’urbanise. La situation de ce site est très critique, et de nombreux problèmes se posent concernant sa protection en tant que patrimoine national. Le pont-aqueduc, connu sous le nom de Qanater Zbaydé, traverse la vallée entre les collines de Mkallès et de Fayadiyeh. Il ne représente pourtant qu’une portion du système de distribution d’eau qui alimentait Beyrouth pendant l’Antiquité, durant la période romaine, aux alentours du IIe ou du IIIe siècle de notre ère. Ce projet hydraulique transportait l’eau des sources de Daychouniyé dans des canaux vers la périphérie de la ville de Beyrouth. L’objectif de cet aqueduc était d’essayer de maintenir le canal suivant une pente définie qui permette à l’eau de couler par gravité (d’où l’expression de « pont à niveau »). Il aura fallu trois niveaux d’arches pour que le niveau du canal reste au-dessus de la rivière. Le pont-aqueduc était donc le pilier de l’organisation de l’eau qui s’écoulait vers la plaine de Chiyah et d’un autre côté vers le rond-point de Hazmieh pour déboucher au niveau de l’église Mar Mikhaël, de Furn el-Chebbak et du Palais de justice. Mais ce que beaucoup de gens ignorent, c’est la présence de traces antiques sur la falaise qui domine le fleuve : cheminées, canaux, bassins, etc. Mis à part le site archéologique et le pont-aqueduc, la vallée de Nahr Beyrouth est le poumon vert le plus proche de la capitale, à moins de 5 km de la ville. La valeur écologique du site mérite d’être également prise en considération puisque la vallée est très riche du fait de sa flore unique, sa faune et parce qu’elle est aussi un lieu de promenade à valeur touristique. Et pourtant, les projets de constructions dévalent la vallée et se multiplient. L’urbanisation se développe et détruit le paysage, la nature, mais elle a aussi des conséquences négatives invisibles à l’œil nu (pollution, dégradation des structures souterraines du système d’alimentation antique, cheminés, canaux, etc.) Ces dernières années, la route qui traverse la vallée a subi des réparations et a été éclairée. Aujourd’hui, cette voie, qui sert d’échappatoire à beaucoup d’habitants de la région voulant éviter les embouteillages de Mkallès, finit souvent par devenir très encombrée. À cheval entre les municipalités de Hazmieh et de Mansourieh, le pont-aqueduc est difficilement administrable puisqu’il concerne en même temps les cazas de Baabda et du Metn. En ce qui concerne la protection de l’aqueduc, le décret numéro 7549 du 18 novembre 1995 assure la protection du périmètre qui entoure le site : une ceinture de 50 mètres est non aedificandi, c’est-à-dire interdite de toute construction sauf autorisation spéciale de la Direction générale des antiquités. La deuxième ceinture de 50 mètres limite la construction à deux étages. En ce qui concerne la vallée, en tant que poumon de la ville, le décret-loi numéro 130.1 du 1er septembre 1998 du ministère de l’Environnement lui a assuré une protection de 500 m de part et d’autre de son axe médian. Malgré ces législations pour la protection du site et de la vallée, beaucoup de problèmes menacent encore la région. Les exploitations illégales du terrain se multiplient. La mise en valeur touristique du site est inexistante : les panneaux informatifs sont insuffisants et le monument est très peu connu. Le réseau des câbles de l’EDL a été installé tout au long de la route et au-dessus des arcades du monument, bloquant l’accès des touristes au haut de l’aqueduc. Enfin, et hélas, comme dans beaucoup de régions du Liban, la pollution et le vandalisme n’épargnent pas ce lieu non plus. Les actions préconisées Il n’est peut-être pas trop tard pour limiter les dégâts et protéger la vallée en tant que poumon vert et en tant que lieu touristique. À cette fin, la Direction de l’urbanisme a mis la région sous étude depuis maintenant deux ans. Pourtant, en deux ans, rien n’a été fait. Le plus gros problème qui se pose aux initiatives de protection est que cette vallée a été lotie en parcelles qui sont des propriétés privées ; pour élargir la zone de protection, il faudrait donc exproprier ou dédommager, et la démarche est très compliquée. Un schéma directeur d’urbanisme est nécessaire aussi pour la protection du site et des structures archéologiques. Quant à la restauration et à la mise en valeur du site archéologique, elle passe par un désherbage, une mise en place de rapports précis concernant les autres éléments constitutifs du réseau antique d’alimentation d’eau, et enfin la création de circuits culturels et paysagers, et la valorisation médiatique du site (brochures, sites Internet). Hélas, si rien n’est fait, la vallée de Nahr Beyrouth est vouée à disparaître. Le site archéologique est condamné à se dégrader. Pour résumer, les différents partenaires doivent initier les actions suivantes : – La DGA doit agrandir la zone de protection du pont-aqueduc et initier la protection des structures enfouies, restaurer et mettre en valeur le site. – La DGU doit impérativement mettre en place un plan d’urbanisme draconien qui définisse une fois pour toutes des zones non constructibles, au prix d’efforts financiers et d’une décision politique au niveau du gouvernement. – Le ministère de l’Environnement doit améliorer la protection de la vallée, et, pourquoi pas, en appliquant la loi sur la protection des sites naturels. Il doit aussi initier, avec l’aide des municipalités de Hazmieh et de Mansourieh et des ONG concernées, un plan d’aménagement de la vallée. Zenobia ou Zubaïdah ? Le nom de l’aqueduc « Zbaydé » est une vieille appellation populaire. Certains l’attribuent à la reine de Palmyre, Zenobia, mais l’appellation revient plus probablement à la femme du calife abbasside Haroun el-Rachid dont le nom était Zubaïdah. Quelques monuments historiques, d’aqueduc surtout, lui sont attribués, comme l’aqueduc de Nahr Ibrahim, également appelé Qanater Zbaydé. Références : le Dr Yasmine Makaroun Bou Assaf, « Qanater Zbaydé aqueduc du fleuve de Beyrouth, rapport de la situation », septembre 2008 ; « Les Qanater Zbaydé et l’alimentation en eau de Beyrouth et de ses environs à l’époque romaine » Michael Davie, Yasmine Makaroun, Lévon Nordiguian Baal, volume numéro 2, DGA
Sophie HUSSEINI

Dans la vallée du fleuve de Beyrouth, le plus grand pont-aqueduc romain est de plus en plus étouffé par son environnement qui s’urbanise. La situation de ce site est très critique, et de nombreux problèmes se posent concernant sa protection en tant que patrimoine national.

Le pont-aqueduc, connu sous le nom de Qanater Zbaydé, traverse la vallée entre les...