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Actualités - OPINION

Le billet d'humeur Joe le plombier Émilie SUEUR

« Papa, quand je serai grand, je serai médecin. » Lueur de fierté dans les yeux du père. « Papa, quand je serai grand, je serai avocat. » Idem. Erreur, grosse erreur. Tout parent un tant soit peu responsable ou éclairé devrait immédiatement remettre son rejeton sur le droit chemin. « Non mon fils, non ma fille, tu seras plombier. » Inconsciemment, nous le savons tous, le plombier, c’est le messie. Quand, après moult recherches, nous parvenons à le trouver, un samedi soir, alors que les toilettes viennent de nous lâcher – parce la tuyauterie nous lâche toujours le samedi soir –, le plombier apparaît comme auréolé dans l’encadrement de la porte. Quand il demande, sur le ton las du superhéros harassé par l’ampleur de sa mission, « alors, il est où votre problème de tuyauterie ? », nous lui répondons, le regard plein d’espoir, « là monsieur, derrière les toilettes ». Pendant qu’il s’active dans la salle de bains, nous attendons le verdict, angoissés, en nous tordant les mains. Quand il entre enfin dans le salon, le bas de son bleu de travail dégoulinant sur le tapis, et déclare « c’est bon ma bonne dame, la chasse tiendra ce week-end, mais il faudrait remplacer tout le système dès lundi », c’est la voix brisée par l’émotion et le regard humide que nous le remercions et lui tendons la liasse de billets verts qu’il réclame pour son intervention divine de quatre minutes trente montre en main. Si nos parents sont complètement passés à côté de l’importance du plombier au moment des choix d’orientation scolaire, elle n’a pas échappé aux candidats à la présidentielle américaine. Qui était la vedette du dernier débat entre Obama et McCain, mercredi soir ? Joe le plombier ! Au cours des 90 minutes de face-à-face, son nom a été prononcé, pour ne pas dire invoqué, à 26 reprises. À titre de comparaison, le mot « Irak » a été mentionné 6 fois et « économie » 16 fois. Joe le plombier n’est pas une métaphore, Joe le plombier existe vraiment, et il travaille dans l’Ohio. Lors d’un meeting électoral, il avait interpellé Obama sur sa politique fiscale qui, selon lui, entrave son rêve de devenir propriétaire de son business. En quelques minutes, Joe devenait une star. Les médias se l’arrachent, de la presse locale de l’Ohio à CBS. De Joe le plombier à Joe « faiseur de roi », n’y aurait-il qu’un pas ? Il faut toutefois rendre à César ce qui appartient à César. Joe n’est pas le premier plombier à faire la une. Avant lui, un autre plombier, plus anonyme, a fait couler beaucoup d’encre : le plombier polonais. En France, au printemps 2005, le plombier polonais avait été l’incarnation de l’opposition entre partisans et opposants à la directive Bolkenstein, point ultrapolémique du projet de traité constitutionnel européen. En gros, la directive Bolkenstein permettait au « Polski hydraulik » (le plombier polonais... en polonais) de travailler à Paris aux tarifs varsoviens. Des mois durant, l’ombre du plombier polonais, présenté par les uns comme le « terminator » de son homologue français, et par les autres comme le sauveur des tuyauteries bleu-blanc-rouge, avait plané sur l’Hexagone. Blessée dans sa fierté nationale, la Pologne avait lancé une contre-offensive, en organisant une campagne de promotion de ses plombiers, incarnés par Piotr Adamski, mannequin devenu « hydraulik » pour la cause, 1m86 de muscles et un regard de braise. Dans la guerre des plombiers, le Français avait toutefois gagné. En matière de plomberie, il est difficile de tricher. Si le tuyau n’est qu’à moitié réparé, il finit toujours par péter. Et là, les dégâts sont colossaux. En politique, il en va de même. D’Obama ou de McCain, qui est le meilleur plombier ? Quand Obama explique que même si personne n’aime les impôts, en fin de compte, il faut bien financer les investissements essentiels, McCain estime que, si personne n’aime les impôts, alors il ne faut les augmenter pour personne. Des deux raisonnements, il y en a clairement un qui prend l’eau. Reste à savoir si Joe saura repérer la fuite...
« Papa, quand je serai grand, je serai médecin. » Lueur de fierté dans les yeux du père. « Papa, quand je serai grand, je serai avocat. » Idem. Erreur, grosse erreur. Tout parent un tant soit peu responsable ou éclairé devrait immédiatement remettre son rejeton sur le droit chemin. « Non mon fils, non ma fille, tu seras plombier. »
Inconsciemment, nous le savons...