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Actualités - OPINION

Le point En guise d’épitaphe

de Christian Merville Paul Krugman vient de recevoir le Nobel d’économie. Extrait d’un éditorial intitulé « Moment of truth », portant sa signature, paru en fin de semaine : « Il y a un mois, quand on a laissé couler Lehman Bros, j’ai écrit que le secrétaire au Trésor Henry Paulson jouait à la roulette russe. Bien sûr qu’il y avait une balle dans le barillet. » Et de relever que malgré l’aggravation de la crise mondiale que cela avait entraîné, les dirigeants du monde – à l’exception du Britannique Gordon Brown, seul à trouver grâce à ses yeux – viennent de perdre quatre semaines. Alors ? Alors, dit-il, si l’on croit que la situation ne peut pas se détériorer davantage, on a tort ; parce que cela pourrait aller plus mal si, dans les jours à venir, rien n’est fait. Combien de fois, tout au long de ces trente jours qui ont ébranlé le monde, ne nous sommes-nous pas pincés, histoire de réaliser que, non, nous n’étions pas en train de cauchemarder, tant brutale avait été la dégringolade, et immatérielle au point de frôler l’absurde l’image des chiffres évoqués. Pensez donc : les 6 et 7 octobre, les marchés ont perdu 6,5 trillions de dollars (onze zéros à aligner…). Pensez aussi qu’en un quart de siècle, le monde avait connu quatre séismes de magnitude 7 sur l’échelle financière avant de sombrer sous la présente coulée de lave qui menace d’engloutir le pauvre Pompéi que nous ont fabriqué les hérauts d’un libéralisme sauvage autant que stupide. Les maîtres à penser, adulés hier, sont tout juste bons à être brûlés aujourd’hui et les médias s’en donnent à cœur joie, rappelant méchamment, un exemple entre tant d’autres, qu’en 2004, Alan Greenspan déclarait : « Non seulement les institutions financières sont devenues moins vulnérables aux chocs que pourraient causer les facteurs de risque, mais c’est le système tout entier qui affiche désormais une résilience plus grande. » Aux portes du nouveau temple consacré au jeu de massacre, on se bouscule, les rois mages se muant en Caïphe avec une célérité qui laisse pantois. Ainsi, rappelle-t-on, Felix Rohatyn, le sauveur de New York, et Warren Buffet, l’homme qui vaut des dizaines de milliards, avaient qualifié il y a quatre ans les produits dérivés de bombe H ou encore d’armes de destruction massive. Peut-être était-il trop tôt alors et certainement qu’il est trop tard maintenant que le temple s’est écroulé et que sa reconstruction prendra un temps indéfini. S’il n’y avait que l’archange de l’argent à connaître la déchéance… Les hommes politiques, tous pays, tous partis confondus, sont envoyés l’un après l’autre à la trappe, avec le déshonneur dû à leur rang – arx tarpeia Capitoli proxima. Il n’est jusqu’à ce pauvre George W. Bush qui ne soit prié par son propre parti de se faire tout petit à mesure qu’approche la date du 4 novembre. Tel Premier ministre table sur la chirurgie esthétique pour faire oublier sa gestion catastrophique des affaires de son pays quand tel autre se cramponne désespérément à son fauteuil avant de connaître peut-être l’ignominie du cachot et qu’une chancelière, donnée il y a peu pour la superstar d’une constellation de vingt-sept, se voit reprocher d’être, dans une large mesure, responsable de l’actuelle descente boursière aux enfers. Les militaires ne sont pas en reste, tout occupés à nous expliquer pourquoi des guerres, données au départ pour une simple promenade de santé, ont viré à des catastrophes. Il faudra bien un jour connaître la raison pour laquelle les États-Unis ont perdu les trois dernières guerres (Vietnam, Irak, Afghanistan) qu’ils ont conduites après avoir envoyé à la mort les meilleurs de leurs jeunes et y avoir englouti des sommes astronomiques ; pourquoi, à chaque fois, ils ont menti à leur peuple et à la terre entière ; pourquoi la paix, la démocratie, l’amélioration du niveau de vie n’ont jamais répondu présent à l’appel ; et pourquoi, le cas est tout récent mais non pas unique, on a laissé – sans tenir l’engagement pris de la défendre – l’ours russe étouffer la minuscule Géorgie. Cet automne de tous les renoncements, il est aussi la saison du déboulonnement d’autres veaux d’or devant lesquels on est resté des décennies durant prosternés. La déesse Françoise Dolto est ramenée à des dimensions humaines (quelques-uns des principes par elle prônés ont donné naissance à des tyrans), après le brave Dr Spock, les professeurs de Summerhill ou les héritiers de Celestin Freynet. Sans être outrancièrement pessimistes, on se doit de constater que l’échec est patent sur presque tous les fronts – et l’on est loin d’en avoir exploré toutes les conséquences. Tirant la leçon de la Première Guerre mondiale, Paul Valéry observait dans La crise de l’esprit que « l’abîme de l’histoire est assez grand pour tout le monde », après avoir noté : « Nous autres, civilisations, savons maintenant que nous sommes mortelles. » On ose espérer que d’autres civilisations naîtront, qui sauront mieux gérer le plus précieux des capitaux : l’homme.
de Christian Merville

Paul Krugman vient de recevoir le Nobel d’économie. Extrait d’un éditorial intitulé « Moment of truth », portant sa signature, paru en fin de semaine : « Il y a un mois, quand on a laissé couler Lehman Bros, j’ai écrit que le secrétaire au Trésor Henry Paulson jouait à la roulette russe. Bien sûr qu’il y avait une balle dans le barillet. »...