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Actualités - REPORTAGE

Où va la Corée du Nord ?

Karine JAMMAL Arrêt du programme de dénucléarisation, reprise du processus, rumeurs sur la santé du Kim Jong-il... Régime fermé s’il en est, la Corée du Nord a toujours suscité de nombreuses interrogations. Deux experts analysent la situation pour « L’Orient-Le Jour ». La semaine dernière, Christopher Hill, le négociateur américain, s’est rendu à Séoul, Pyongyang et Pékin pour une opération de sauvetage des négociations sur la dénucléarisation de la Corée du Nord. Pyongyang « semble avoir suggéré des moyens de résoudre de façon pacifique le différend sur le dossier nucléaire, en s’adressant au négociateur américain et a fixé un ultimatum », a rapporté le Choson Sinbo, à l’issue de cette visite, un quotidien publié à Tokyo pour les Nord-Coréens de l’étranger. La nouvelle crise avait débuté en août dernier. Le 11 de ce mois, Washington devait retirer la Corée du Nord de sa liste des pays soutenant le terrorisme en échange d’un inventaire complet sur les installations nucléaires, remis en juin par Pyongyang. La date fatidique arrive, mais rien ne se passe. Les Américains exigent, au préalable, que Pyongyang accepte un mécanisme complet de vérification, avec notamment des inspections-surprise des sites et accès à des échantillonnages de matériaux et d’équipements. La Corée du Nord prend mal ce retournement de situation et annonce le 25 août l’arrêt de son démantèlement nucléaire. « En fait, je pense que la menace nord-coréenne de remettre en route le réacteur de Yongbyon est une stratégie de la corde raide, dans le but d’assurer plus de concessions de la part des États-Unis », explique Marcus Noland, expert à la Peterson Institute for International Economics, basée à Washington. « Cela prendrait des mois aux Coréens pour le réactiver », poursuit M. Noland. Bruce Cumings, professeur à l’université de Chicago, estime, pour sa part, que ce sont les Américains qui ont fait dérailler le processus. « Bush, en donnant à l’équipe de Cheney une sorte de carte blanche pour faire pression pour qu’il y ait une vérification avancée, a dérouté le train qui était en marche », explique M. Cumings. Quelle que soit l’analyse, il semble que la visite de Christopher Hill ait porté ses fruits, puisque samedi, les États-Unis ont annoncé le retrait de la Corée du Nord de leur liste noire des États soutenant le terrorisme. Le lendemain, Pyongyang affirmait qu’elle allait reprendre le processus de dénucléarisation. C’est dans ce contexte de tensions que différentes rumeurs ont commencé à courir sur l’état de santé de Kim Jong-il, 66 ans. Le 9 septembre, date du soixantième anniversaire du pays, les services de renseignements sud-coréens divulguent que le « cher leader » a dû être opéré à la mi-août. La Corée du Nord dément, mais ce même jour, le dirigeant communiste n’apparaît pas au défilé militaire organisé pour fêter l’occasion. Les interrogations commencent à fuser de toutes parts sur l’état de santé réel de Kim Jong-il. Il y a une semaine, l’agence de presse nord-coréenne avait annoncé que le « cher leader » était apparu en public lors d’un match de football. Aucune photo n’avait toutefois été diffusée. Samedi, la Corée du Nord a diffusé plusieurs photos de Kim-Jong-il qui apparaît bien portant. Les médias officiels ont indiqué que les photos avaient été prises lors d’une visite du leader nord-coréen dans un centre militaire, mais elles ne sont pas datées. Toutefois, hier, l’agence sud-coréenne Yonhap a affirmé que ces photos « ont été prises avant l’attaque cérébrale de Kim Jong-il ». « L’analyse des photos démontre, au vu de l’environnement naturel en toile de fond, qu’elles ont été prises au mois de juillet ou août, mais on ignore de quelle année », a indiqué une source au sein des services de renseignements sud-coréens. La santé du « cher leader » pose la question de sa succession. « La Corée du Nord aura probablement des difficultés lors de la mort de Kim Jong-il. Contrairement à 1994, quand son père Kim Il-sung est décédé, il n’y a aucun indice concernant un éventuel successeur », explique M. Noland. Surtout que le dirigeant communiste n’a pas suivi la même voie que son père. Ce dernier a initié Kim Jong-il à être son successeur de 1970 jusqu’à sa mort. « Je pense que beaucoup, parmi les élites du parti, aimeraient que Kim Jong-il fasse la même chose. Mais à mon avis, l’idée d’une monarchie communiste ne lui plaît pas trop, même s’il en a beaucoup profité », ajoute M. Cumings. Le régime nord-coréen repose sur trois piliers, la famille Kim, le parti et l’armée. « Certaines rivalités apparaissent entre ces piliers. On ne saura pas vraiment qui va diriger le pays pendant les premiers mois. Le pire des scénarios serait une rupture au sein de l’armée qui pourrait dégénérer en guerre civile, avec une ou plusieurs factions qui demanderaient de l’aide extérieure, notamment à la Chine, voire même à la Corée du Sud », affirme M. Noland. De son côté, le professeur Cumings ne s’attend pas à une lutte pour le pouvoir, « parce que l’esprit de cohésion de l’élite politique est très fort depuis des décennies. C’est l’un des seuls régimes communistes où il n’y a pas de conflits visibles depuis au moins 1950 ». « Si Kim Jong-il devenait incapable de gouverner ou venait à mourir, cela rendrait beaucoup plus difficile de suivre la même ligne en matière de politique nucléaire », affirme en outre M. Noland. Les relations avec Séoul menacées ? Le Premier ministre sud-coréen, Han Seung-soo, s’est montré prudemment optimiste, fin septembre, sur la capacité de la Chine et d’autres à convaincre Pyongyang de ne pas retourner à ses activités nucléaires illégales. Prudemment, parce que les relations entre les deux Corées sont tendues depuis quelque temps déjà. « Les relations sont mauvaises et cela n’est pas surprenant, affirme M. Noland. L’opinion publique sud-coréenne n’était pas satisfaite de son précédent gouvernement qui fournissait une aide sans limite et sans condition à la Corée du Nord, sans rien recevoir en retour. Aujourd’hui, avec le nouveau gouvernement, Séoul pratique la politique de réciprocité conditionnée », explique M. Noland. « Pyongyang a provoqué le Sud plusieurs fois, essayant de l’intimider, elle a également essayé de briser les liens entre Washington et Séoul, pour que cette dernière revienne à son ancienne “politique généreuse”. Mais jusqu’à présent, cette tactique du Nord n’a pas marché. Mais je pense qu’à la fin, les deux gouvernements trouveront un terrain d’entente », poursuit M. Noland. Le rôle de la Chine Outre Séoul et la Corée du Nord, quatre pays mènent les négociations sur le nucléaire nord-coréen, les États-Unis, le Japon, la Russie et la Chine. Christopher Hill, lors de son voyage dans la région, s’est arrêté à Pékin pour discuter de certaines modalités. La Chine a indéniablement un rôle à jouer, car elle est le plus grand partenaire commercial de Pyongyang. « Mais la relation Chine-Corée du Nord est difficile. Les Nord-Coréens sont utiles à Pékin, notamment comme étant un canal indirect de coopération avec le Pakistan dans le contexte de la rivalité entre la Chine et l’Inde. Mais lorsque Pyongyang manque à ses engagements, cela a pour résultat automatique un rapprochement du Japon et de Séoul avec les États-Unis, ce qui fait de la Chine une perdante », souligne M. Noland. Les Chinois essaient d’exercer une influence sur la Corée du Nord, par exemple en encourageant des réformes économiques, mais cette influence reste limitée. De son côté, Pyongyang est dépendante de la Chine en ce qui concerne le support économique, mais elle n’a pas une confiance aveugle en Pékin dans le domaine politique. Coopération avec l’Iran et la Syrie ? La Corée du Nord a une longue histoire en matière de coopération avec les grands exportateurs de pétrole sur des sujets militaires, incluant le développement de missiles. « Elle a soutenu l’Iran dans sa guerre contre l’Irak, dans les années 1980. Il est également supposé qu’elle a coopéré avec Téhéran non seulement sur le développement de missile, mais également sur la construction de tunnels pour cacher les équipements iraniens (les Nord-Coréens sont des experts dans la construction de tunnels). Elle aurait même coopéré sur le programme nucléaire iranien », affirme M. Noland. « Il a également été dit que la Corée du Nord a coopéré avec le Hezbollah aussi bien directement qu’indirectement via l’Iran, dans le développement de ses équipements souterrains au Liban-Sud », poursuit l’expert. Plus récemment, certains affirment qu’elle aurait coopéré avec la Syrie sur son programme nucléaire. « Si nous voulons arriver à une solution sur le nucléaire nord-coréen, il faut prendre en considération trois éléments. D’abord, être sûr que le programme atomique fondé sur le plutonium traité, dans un nombre limité de sites, est terminé. Ensuite, que l’enrichissement d’uranium ait pris fin. Enfin que le processus de prolifération soit complètement arrêté », conclut Marcus Noland.
Karine JAMMAL

Arrêt du programme de dénucléarisation, reprise du processus, rumeurs sur la santé du Kim Jong-il... Régime fermé s’il en est, la Corée du Nord a toujours suscité de nombreuses interrogations. Deux experts analysent la situation pour « L’Orient-Le Jour ».

La semaine dernière, Christopher Hill, le négociateur américain, s’est rendu à Séoul,...