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Actualités - REPORTAGE

Monde arabe Un paysage médiatique peu glorieux

Nombreux sont les journalistes qui, par peur d’être accusés de délits d’opinion, font de l’autocensure leur première règle de travail. Ceux qui décident de franchir les « lignes rouges » – et elles sont nombreuses – risquent la prison, voire la mort. Dans son dernier rapport sur la liberté de la presse dans le monde, Reporters sans frontières souligne que « les journalistes (du monde arabe) sont les premières victimes des troubles qui handicapent la région ». La violence et les tensions politico-religieuses représentent les principaux dangers qu’ils rencontrent dans l’exercice de leur profession. En Irak, pays considéré comme l’un des plus dangereux pour les journalistes, 56 professionnels des médias ont été tués en 2007. Tous, sauf un, étaient de nationalité irakienne. Ils sont 207 à y avoir trouvé la mort depuis le début de la guerre, en mars 2003. En 2007, 25 prises d’otages de journalistes ont en outre été recensées en Irak. Selon RSF, « l’affiliation politique ou ethnique des médias semble expliquer en grande partie le choix des victimes ». Au Liban, la violence ainsi que la crise politique et les tensions intercommunautaires qui déstabilisent le pays entravent le travail des journalistes, dont trois ont été la cible d’attentats en moins de deux ans. Dans les territoires palestiniens aussi, la rivalité politique entre le Fateh et le Hamas a rendu difficile le travail des journalistes qui, comme le souligne RSF, « ne souhaitent pas adopter une ligne exagérément partisane ». Par ailleurs, la bande de Gaza est devenue une « zone quasi impraticable » pour les reporters étrangers, notamment après l’enlèvement par un groupe islamiste du journaliste de la BBC, Alan Johnston, en 2007. Une presse muselée Cette instabilité chronique ainsi que la menace terroriste persistante servent souvent de prétexte aux dirigeants de la région pour maintenir une grande pression sur les journalistes. « Toute critique est perçue comme une volonté de déstabiliser les régimes en place », poursuit RSF dans son rapport 2008. Selon un autre organisme pour la liberté d’expression, Freedom House, il n’existe pas de presse libre dans plus des deux tiers des pays arabes. En tête de la liste de ces pays figurent la Libye et la Syrie, où les interdits sont nombreux. La Syrie est le pays arabe qui a le plus grand nombre de prisonniers politiques, parmi lesquels des journalistes dissidents. Ces deux dernières années, cinq intellectuels syriens, dont Michel Kilo, ont été jetés derrière les barreaux de la prison de Adra pour avoir lancé un appel au changement démocratique. La Syrie, tout comme le Maroc ou encore la Tunisie, condamnent les délits de presse en vertu du code pénal. Le rapport de RSF souligne par ailleurs qu’en Égypte, une réforme de la Constitution, votée en 2007 à l’initiative du président Hosni Moubarak, « a été taillée sur mesure pour paralyser les opposants politiques mais également les journalistes indépendants ou critiques ». La semaine dernière, Ibrahim Eissa, célèbre journaliste égyptien d’opposition, a été condamné à deux mois de prison ferme pour avoir fait état de rumeurs sur la santé de Moubarak. « Ce jugement ouvre les portes de l’enfer pour la presse égyptienne », avait déclaré le journaliste en réaction à sa condamnation. Début 2008, les autorités égyptiennes se sont attaquées à un nouveau média. Après avoir intenté des procès contre une douzaine de journalistes égyptiens fin 2007, les autorités ont lancé une vague d’arrestations contre des bloggeurs, suscitant de vives critiques tant en Égypte qu’à l’étranger. Répression en ligne Dans le monde arabe, le filtrage d’Internet s’est renforcé de manière significative et le Web est désormais autant surveillé que la presse traditionnelle. En effet, Internet s’est avéré être un véritable instrument politique pour les journalistes et bloggeurs puisqu’il leur permet de traiter tous les sujets absents des publications traditionnelles. En Jordanie, les autorités ont décidé l’année dernière d’appliquer la loi sur la presse aux publications en ligne. Au Maroc, des sites Internet tels que Youtube ou des sites proches du mouvement indépendantiste sahraoui Front Polisario ont été censurés. La question des minorités ethniques ou religieuses est également un sujet tabou au Yémen, où douze journalistes ont été condamnés cette année à des peines de un à dix ans de prison ferme pour « soutien à la rébellion zaïdite ». Des fatwas contraignantes Autre forme de pression contre les journalistes du monde arabe : le recours aux fatwas, aussi extrêmes soient-elles. Récemment, le grand mufti d’Égypte et recteur de la mosquée d’al-Azhar, cheikh Mohammad Sayyed Tantawi, a émis, lors d’une cérémonie en présence du président Moubarak, une fatwa appelant à punir les journalistes reconnus coupables de diffamation de 80 coups de fouet. Trois fatwas encore plus sévères à l’encontre des médias ont été émises en Arabie saoudite en septembre par de hauts dignitaires religieux. Deux d’entre elles appellent à « punir » les journalistes qui critiquent les personnalités religieuses, la troisième incite à l’application de la peine de mort contre les propriétaires de chaînes de télévision qui diffusent des programmes « immoraux ». Dans ce contexte, les rédactions saoudiennes, conscientes des lignes rouges à ne pas franchir, pratiquent largement l’autocensure. Dans le reste du Golfe, la situation est tout aussi arbitraire, mais moins critique. À Bahreïn, au Koweït mais aussi au Qatar, si l’accès à l’information et la couverture de mouvements sociaux sont possibles, ils restent très difficiles. Dans ces pays, « les atteintes à la liberté de la presse sont peu médiatisées », note Reporters sans frontières. Des signes de changement Dans ce sombre tableau, une lueur d’optimisme : l’organisation pour la défense de la liberté d’expression souligne que la presse dans le monde arabe a connu des développements importants au cours de la dernière décennie, avec notamment la multiplication des chaînes de télévision satellitaires en langue arabe et l’expansion d’Internet. Des phénomènes qui, selon RSF, ont « déstabilisé des régimes qui, jusque-là, parvenaient aisément à contrôler les informations qui entraient et sortaient de leur pays ».
Nombreux sont les journalistes qui, par peur d’être accusés de délits d’opinion, font de l’autocensure leur première règle de travail. Ceux qui décident de franchir les « lignes rouges » – et elles sont nombreuses – risquent la prison, voire la mort.

Dans son dernier rapport sur la liberté de la presse dans le monde, Reporters sans frontières souligne que « les...