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Actualités - CHRONOLOGIE

Société civile La non-violence pour contrer la folie meurtrière qui gagne le Liban et la région Jeanine JALKH

Face aux conflits meurtriers qui continuent de gangrener les sociétés arabes, l’option de la non-violence ressurgit comme une alternative incontournable et un moyen de lutte plus efficace que le recours aux armes pour le règlement des conflits. Tel est le concept que défend une ONG libanaise qui propose, pour le Liban et la région, l’adoption d’une formule de « résistance non violente », pour tenter de réduire l’effusion de sang, en improvisant des modèles de lutte inspirés d’expériences historiques connues. Devenue l’ingrédient majeur au sein de nos sociétés, la violence s’est imposée, au cours de la dernière décennie, comme le moteur principal des relations internationales que régissent désormais aux quatre coins du monde les équilibres précaires des puissances militaires en présence. Guerre des axes, hégémonie militaire américaine, nucléaire iranien, invasions multiples, clash des civilisations, montée de l’islamisme radical, haine ethnique et religieuse, conflits confessionnels meurtriers, etc. Une réalité amère doublée d’images chargées d’une violence des plus meurtrières que véhiculent à longueur de journée les médias à travers le monde. Le Liban en est le prototype même, aujourd’hui plus que jamais, tant il est vrai qu’il sert de caisse de résonance où se répercutent l’ensemble des conflits qui l’entourent de près ou de loin. En crise permanente avec ses deux redoutables voisins, Israël et la Syrie, le pays a en outre été entraîné dans une guerre des axes des plus menaçantes, illustrée sur place par une guerre civile larvée où le conflit politique est venu se superposer à un conflit confessionnel et communautaire, accompagné de violences physique, verbale et psychologique qui se sont profondément enracinées dans les mœurs sociales. Une équation que tentent d’inverser deux pionniers du concept de non-violence au Moyen-Orient, Ogarit Younan et Walid Slaybi, qui militent depuis les années 80 pour une nouvelle approche dans les relations internes et régionales, inspirée du principe de la non-violence. Fondateurs de plus d’un mouvement et association, dont le dernier-né est l’Association libanaise pour les droits civils (LACR), Walid Slaybi et Ogarit Younan poursuivent obstinément un objectif on ne peut plus louable, consistant à trouver un règlement non violent aux multiples clivages qui minent le pays du Cèdre sous le thème : « Oui à la résistance, non à la violence ». C’est d’ailleurs le titre d’un ouvrage fondamental que vient de publier M. Slaybi et qui donne matière à réflexion dans un monde arabe déchiré par la violence et les confrontations meurtrières. Dans son ouvrage, le premier du genre dans la région, l’auteur a tablé sur une approche comparative entre « l’intifada de la pierre » dans les territoires palestiniens et « l’intifada de l’Aqsa », démontrant, exemples à l’appui, l’efficacité de la première expérience qui, dit-il, s’est fondée, dans une proportion de 95 %, sur des méthodes non violentes. « L’intifida de la pierre a fini par semer la confusion au sein de l’appareil militaire israélien face aux méthodes utilisées par la résistance palestinienne. Deux ans et demi plus tard, l’armée conventionnelle de l’État hébreu n’était toujours pas parvenue à définir la nature de cette lutte et l’action non violente à laquelle ont eu recours les Palestiniens. Avec le temps, l’appareil militaire israélien s’est transformé en bourreau s’attaquant aux femmes et aux enfants qui résistaient à l’aide d’une misérable pierre neutralisant ainsi l’efficacité des armes les plus sophistiquées utilisées par l’armée », dit-il. Inverser la culture À l’issue de plusieurs années de combat et de lutte en faveur de la création d’alternatives non violentes et non confessionnelles, M. Slaybi et Mme Younan ont gagné en crédibilité en initiant, à titre d’exemple, la campagne nationale pour le mariage civil (1997), à laquelle ont adhéré une multitude de Libanais et de chefs politiques, soit près de 70 organisations civiles et partis politiques. Les fondateurs ont, en outre, eu gain de cause à l’issue d’une campagne continue et non violente de lutte contre la peine de mort, un effort de plusieurs années qui a été couronné par un allègement substantiel de la loi. D’autres exemples sont à tirer d’une bataille remportée contre le service militaire obligatoire dont les jeunes Libanais sont désormais exemptés. Aujourd’hui, les deux activistes reviennent en force pour avancer des solutions à certains dossiers épineux, au Liban et dans le reste du monde arabe, proposant des solutions concrètes fondées sur la dynamique d’une « résistance non violente ». Pour Walid Slaybi, il s’agit essentiellement « d’un travail de fond que nous effectuons au jour le jour avec les Libanais en vue d’un changement des mentalités et des acquis culturels et politiques en présence ». Selon lui, le problème réside dans « l’ignorance des méthodes non violentes due au fait de la généralisation et de la glorification de la culture de la violence à travers le monde ». Inspirés notamment des multiples écrits du philosophe français humaniste Jean-Marie Muller sur la non-violence, les deux militants et écrivains entendent tout simplement inverser les modes de pensée qui prévalent en introduisant une série d’outils et de méthodes pédagogiques et politiques afin de proposer des alternatives non violentes, « seul moyen de rassembler les Libanais et de les unir autour d’une cause, d’une vision et d’une culture commune au-delà de leurs divisions, notamment confessionnelles », relève M. Slaybi L’approche suivie par cette association est multiple : il s’agit de s’adresser en même temps au germe du confessionnalisme et du sectarisme communautaire au Liban et dans le reste du monde arabe, en propageant, à tous les niveaux de la société, une nouvelle culture laïque fondée sur le concept de la non-violence, pour parvenir à contrer les nombreux défis sur le plan interne aussi bien qu’externe. Il s’agit aussi d’une tentative de substituer une culture désormais connue à travers le monde, grâce à des outils d’éducation et de communication bien précis qui ont été introduits par Mme Younan et M. Slaybi dans le cadre d’une série d’activités, d’alternatives et d’applications concrètes dans divers domaines pédagogiques, culturels, sociaux et politiques. Ces deux militants entendent s’adresser à l’ensemble de la société, y compris aux élites politiques et intellectuelles « censées servir de médiateurs auprès des groupes sociaux pour le bien de la société et de toute personne », relève M. Slaybi. Initié en 1983, le projet s’est développé avec le temps pour se concrétiser en une vision globale que les fondateurs œuvrent à généraliser à l’ensemble de la région, par le biais d’une fondation panarabe appelée « Chaml » (Chabab mouwatinoun la ounfiyyoun), d’un projet intitulé « Bilad » et dans le cadre de permanences, « Bouyout », installées sur l’ensemble du territoire. Alternative politique en faveur de l’unité « Au départ, toutes les fois que nous évoquions le concept de non-violence, notamment dans le cadre de nos activités ou lors de manifestations, nous faisions l’objet de critiques dues notamment à l’ignorance de ces approches considérées comme idylliques ou non applicables à un pays aux crises endémiques et complexes. Avec le temps, le concept a fini par être assimilé par un certain nombre d’acteurs sociaux et au niveau de quelques élites politiques, qui s’affichent désormais comme acteurs non violents. » Selon Mme Younan, « les idées avant-gardistes ont besoin de temps pour faire leur chemin au sein des sociétés ». Plusieurs années durant, les fondateurs se sont attelés à former des jeunes militants issus de diverses associations, syndicats et partis libanais à la logique non violente dans le cadre d’ateliers de travail, de séminaires adaptés ou au cours d’actions et de manifestations ponctuelles. « Il existe des centaines et des milliers de méthodes non violentes que les peuples du monde ont mis en place à travers l’histoire et qui ont fait leurs preuves dans de multiples cas », rappelle Walid Slaybi, qui cite au passage des personnalités illustres qui ont suivi ce chemin comme Mahatma Gandhi, Martin Luther King, Lech Walesa, César Chavez, Badshah Khan, Jacques de Bollardière, etc. Des expériences inédites qui ont prouvé avec le temps et la persévérance que les solutions non violentes sont autrement plus efficaces en politique et peuvent aboutir en terme de luttes des peuples. « Il est temps de nous rendre compte au Liban que la violence ne nous a mené nulle part à travers notre histoire sanglante. Nous sommes donc acculés à opter pour une nouvelle philosophie et des ressources alternatives. Celles-ci sont d’autant plus nécessaires que nous sommes un pays pluricommunautaire qui a besoin de se réunir autour d’un projet commun qui dépasse le sectarisme et le transcende », soutient Ogarit Younan. Car, dit-elle, « si l’on admet que les Libanais peuvent tomber d’accord sur certaines causes liées à des droits inaliénables, telles que la libération de Chebaa par exemple, la souveraineté du pays ou la paix civile interne, force est de constater que les moyens utilisés à ce jour pour la défense de ces causes continuent de faire l’objet de polémiques qui ne font qu’approfondir les clivages au sein de la société. D’où la nécessité de changer la stratégie et les moyens employés en vue de parvenir à la réalisation d’un objectif commun ». Les fondateurs du mouvement constatent à juste titre que le projet de libérer les fermes occupées de Chebaa est commun à l’ensemble des Libanais, du moins officiellement. Or, ces derniers sont divisés sur les moyens à mettre en œuvre pour atteindre ce but, « les uns se prononçant pour une résistance armée que parraine l’Iran, les autres pour une libération par la voie diplomatique cautionnée par l’Occident et par les États-Unis en particulier ». « Ainsi, poursuit M. Slaybi, nous sommes en présence d’une confrontation entre deux options soutenues par deux totalitarismes : le premier, celui d’un État théocratique autoritaire, le second celui d’une superpuissance qui ambitionne de faire prévaloir l’unipolarité militaire dans le monde justifiée par les grands intérêts économiques et l’idéologie marchande. La région s’est ainsi trouvée en proie à une guerre dans laquelle s’affrontent les deux totalitarismes. » Face à cette guerre des axes, ce stratège non violent, qui est également spécialiste en économie politique, propose de soustraire le Liban, en général, et la question de Chebaa, en particulier, à cette équation et de rassembler les Libanais autour d’une démarche non violente que la société civile libanaise devra initier, disant non à la résistance armée, non également à la diplomatie occidentale « qui n’est pas moins non violente du fait qu’elle n’exclut pas le recours ou l’appui à la violence. Car, ajoute Mme Younan, l’Organisation des Nations unies prévoit également le recours à la force qui n’est rien d’autre chose qu’une forme masquée de la violence ». M. Slaybi est convaincu qu’une société libanaise unie face à Israël dans le cadre d’un mouvement non violent aura indiscutablement plus d’impact auprès de l’opinion publique locale et internationale qu’une société en conflit, divisée sur les moyens à employer pour atteindre cet objectif. « L’expérience d’un groupe de jeunes qui ont libéré le village d’Arnoun de l’occupation israélienne en 2000 mérite d’être érigée en exemple et devrait servir d’inspiration aux Libanais et à toute une nouvelle génération qui peut tabler sur cette manifestation historique pour résoudre, non seulement la question de Chebaa, mais aussi et surtout les problèmes internes et les conflits sanglants par lesquels est en train de s’effondre, petit à petit, notre pays », conclut Ogarit Younan.
Face aux conflits meurtriers qui continuent de gangrener les sociétés arabes, l’option de la non-violence ressurgit comme une alternative incontournable et un moyen de lutte plus efficace que le recours aux armes pour le règlement des conflits. Tel est le concept que défend une ONG libanaise qui propose, pour le Liban et la région, l’adoption d’une formule de « résistance...