Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Le Point Mourir à Kauhajoki

de Christian Merville C’est une minuscule localité, l’une des vingt-six qui forment la région de l’Ostrobothnie du Sud, s’étalant sur 1 315,46 kilomètres carrés dont 16,45 kilomètres d’eau – on est en Finlande, ne l’oublions pas. Population : 14 411 habitants. Depuis mardi, ce chiffre a été réduit de onze personnes, le nombre de victimes d’un jeune de 20 ans, étudiant dans une école professionnelle de la ville, qui s’est mis à courir dans tous les sens, sur le campus, et à tirer sur tout ce qui bougeait avant de se suicider, histoire de tenir parole, lui qui, la veille surYouTube, avait menacé : « Vous serez les prochains à mourir. » Un an auparavant, dans un lycée de Tuusula, un carnage avait fait neuf morts, dont le tireur lui-même. Le monde découvre ainsi, horrifié, que le pays des 187 888 lacs n’est pas seulement celui de Nokia, ce chef-d’œuvre de la technologie ultrasophistiquée ; mais aussi celui qui figure au troisième rang des détenteurs d’armes à feu, après les États-Unis et… le Yémen. Voilà comment une cité hier encore inconnue, endormie durant l’interminable hiver nordique, se retrouve sous les projecteurs d’une sanglante actualité, alors qu’elle s’honorait jusque-là d’avoir provisoirement hébergé l’Eduskunta (Parlement) en 1939-40 et d’avoir donné au monde du sport un champion de lutte gréco-romaine, un marathonien, un spécialiste de biathlon et un grand nom du triple saut. Il faudra bien qu’un jour l’on nous explique les raisons qui peuvent pousser un adolescent à prendre ses camarades pour cible, et d’abord ce qui le porte à faire l’acquisition d’un objet hautement létal qui n’a rien à voir avec l’ordinateur, encore moins avec l’ancestral cahier à spirale. Il y a quelques années, des Docteurs Freud de pacotille s’étaient penchés sur le sujet et abouti à la conclusion que les tristes héros de ce genre d’équipées sauvages sont des êtres frustrés, furieux contre le monde entier et tournés vers eux-mêmes. Il s’agirait aussi, dans la majorité des cas, d’adolescents entre 12 et 14 ans traumatisés par des violences subies très jeunes Et certains esprits de rappeler que Billy the Kid avait commencé sa « carrière » à un âge (14 ans) où ses camarades en étaient encore à épeler « The Adventures of Huckleberry Finn ». Dans l’univers de la violence à l’école, l’Amérique est la reine incontestée : sept carnages y ont été perpétrés sur les douze enregistrés en dix ans de par le monde, compte non tenu du record absolu détenu par Beslan, avec 332 victimes. Le bilan US s’établit à 75 morts sur un total de 125, dont 33 pour la seule université de Virginia Tech, à Blacksburg. À cet égard, les chiffres en disent davantage que tous les traités spécialisés. Aux USA, il s’est commis 23 000 homicides en 1993, 43 000 Américains ont péri sur les routes en 1996. En deux ans (96-97), plus de 74 pour cent des victimes ont été des élèves ou des étudiants, alors même que 78 pour cent des établissements d’enseignement ont inscrit à leur programme des cours de lutte et de prévention contre la violence, qu’une vaste campagne a été enclenchée pour expliquer que tous les chiffres sont à la baisse et qu’un institut au moins, la South Shore School de Brooklyn, a installé des détecteurs d’armes après un incident au cours duquel un étudiant a poignardé à mort un de ses camarades. Dans une société qui a élevé le revolver, le fusil, le poignard de commando au rang de must, il est encore heureux que de telles éruptions ne soient pas plus fréquentes. Le cinéma, la télévision, les revues spécialisées sont pour beaucoup dans la banalisation de la détention d’armes de tout calibre, et donc de leur utilisation tôt ou tard. Et puis il y a cette institution sacro-sainte : la National Rifle Association, dont le président fut jusqu’à sa mort récente l’acteur Charlton Heston. Ce mouvement se drape dans la fausse liberté reconnue par le Second Amendement de la Constitution pour défendre le droit de chaque citoyen à posséder pour le moins une réplique du mythique 29.44 Magnum de Dirty Harry, quand ce n’est pas un véritable arsenal. Il possède une chaîne de télévision et un site Internet qui vient de s’enrichir d’un GunBanObama.com destiné à dénoncer l’attitude hostile à l’égard du mouvement du candidat démocrate à la présidentielle de novembre. Une armée qui compte près de 4 millions de tireurs et qui représente, de l’avis même de Washington, le lobby le plus puissant du monde politique, il faut reconnaître que cela constitue un ennemi que l’on ne saurait négliger. Retour à Kauhajoki (et où, demain ?...). Pourquoi un tranquille Dr Jekyll se transforme-t-il un beau jour en Mister Hyde ? Une des réponses a été fournie le 29 janvier 1979 par Brenda Ann Spencer, qui venait d’abattre, à la Cleveland Elementary School de San Diego, deux personnes et d’en blesser huit autres. « Parce que, devait-elle confier aux enquêteurs, je n’aime pas les lundis », un bien curieux aveu devenu une chanson de Bob Geldof. Si les carnages aussi finissent en musique, peut-être conviendrait-il de commencer à s’interroger sur ce que l’on s’obstine à appeler civilisation.
de Christian Merville

C’est une minuscule localité, l’une des vingt-six qui forment la région de l’Ostrobothnie du Sud, s’étalant sur 1 315,46 kilomètres carrés dont 16,45 kilomètres d’eau – on est en Finlande, ne l’oublions pas. Population : 14 411 habitants. Depuis mardi, ce chiffre a été réduit de onze personnes, le nombre de victimes d’un jeune de 20...